Confession d'un policier «ripou»
LE FAIT DU JOUR. Pendant un an, six fonctionnaires du commissariat de Stains (Seine-Saint-Denis) ont multiplié les délits, jusqu'à devenir complices de trafiquants de drogue. Interpellé et mis en examen en mai, Benoît O., le chef de groupe, s'expliq

«La réalité du terrain est tout sauf manichéenne.» Lâchée par un haut fonctionnaire en poste dans l'institution policière, cette phrase prend tout son sens au regard des dernières affaires ayant mis en cause des fonctionnaires de police. A l'image de six policiers du commissariat de Stains (Seine-Saint-Denis) mis en examen au printemps dernier, et dont un a été incarcéré pendant deux mois, notamment pour des faits d'association de malfaiteurs en vue de la préparation du délit de trafic de stupéfiants, «vol en réunion» ou bien encore violences volontaires.
L'un d'eux, Benoît O., 36 ans et seize ans de service dont une dizaine à la brigade anticriminalité (BAC) de Stains, a décidé aujourd'hui de se défendre publiquement. Surnommé Stifler en raison de sa ressemblance avec un personnage d'«American Pie», il assure, comme ses collègues mis en cause, avoir toujours agi dans un seul but : faire de « belles affaires ». Décoré des médailles du courage de bronze et d'argent de la police nationale, le fonctionnaire prétend avoir toujours eu le soutien de sa hiérarchie.
Comment avez-vous vécu votre détention ?
BENOÃ?T O. J'ai perdu 11 kg en deux mois. J'étais à l'isolement à la maison d'arrêt d'Osny (Val-d'Oise). Le premier soir, je croyais encore que c'était une blague et qu'au bout de trois jours ce serait fini. Après, il a fallu se faire à l'idée. Je vivais dans 8 m 2. Dans la cellule de gauche, il y avait un détenu qui avait brûlé sa mère et sa sÅ?ur, et dans celle de droite, deux jihadistes... Mes anciens collègues m'ont envoyé de l'argent pour alimenter mon compte cantine mais, moi, je ne voulais rien acheter car je ne voulais pas m'installer dans ce confort-là ( sic). Pour mon fils de 7 ans, j'étais en mission en Afrique. Lorsque je suis sorti, il a cru que j'avais été hospitalisé et que je n'avais pas voulu lui dire.
Reconnaissez-vous avoir franchi la ligne jaune ?
Tout a été fait borderline, comme les faux en écriture. C'est comme ça que ça marche. Je n'ai pas menti. Pour quelles raisons on faisait ça ? Pour arrêter des dealeurs. En matière de stupéfiants, entre 70 et 80 % des procès-verbaux en France sont faux et tout le monde le sait dans la police ! Quand on en lit certains, ça saute aux yeux. Le système fonctionne comme ça et personne ne dit rien. C'est juste de l'hypocrisie. Après, notre tort est d'avoir voulu trop en faire. On ramenait des affaires de folie mais qui n'étaient pas des affaires de BAC, mais plutôt de police judiciaire. En PJ, les mecs sont beaucoup plus protégés que nous, mais, attention, ce sont des superflics...
A vous écouter, la fin justifie les moyens ?
Je ne regrette pas ce que j'ai fait. Il y aura toujours des modes opératoires qui seront borderline. Mais on a envoyé de vrais bandits en détention. Mes chefs nous félicitaient avec des bouteilles de champagne !
En vous mettant hors la loi...
J'ai mis tout le monde en danger, à commencer par ma famille. Mais j'avais trouvé ma voie et j'adorais mon métier. Et si c'était à refaire, je referais la même chose. Pendant seize ans, je me suis éclaté. Franchement, je n'aurais pas pu me mettre derrière un feu rouge à dresser cent PV par jour. Comme je ne pourrais pas être à Stains, à Pierrefitte ou à Saint-Denis et ne pas rentrer dans une cité par peur. Ma façon de faire n'était pas la meilleure. Mais la police des polices est venue chez moi et a bien vu que je n'ai jamais croqué un centime. Encore une fois, notre objectif, c'était de faire tomber des voyous.
Avez-vous divulgué des informations en violation du secret professionnel ?
Bien sûr qu'on l'a fait ! Quand mon voisin veut acheter une voiture et qu'il me demande si elle est clean, je vérifie en la passant aux fichiers des immatriculations, par exemple. Certes, c'est une violation du secret professionnel mais, je suis désolé, je ne voulais simplement pas que les gens autour de moi se fassent escroquer. Quand j'ai dit ça à la police des polices, on m'a regardé avec des yeux...
Vous pensiez vraiment être un bon flic ?
Toute ma vie tournait autour de mon métier. J'étais passionné, mais peut-être que je n'étais pas fait pour ça finalement. Si je me suis retrouvé en prison, c'est que je n'étais pas un bon flic. Mais, en même temps, pendant des années, j'étais parmi les dix meilleurs de Seine-Saint-Denis, à entendre ma hiérarchie... Et puis, d'un seul coup, j'étais devenu le pire des voyous.
La gestion de vos indics en dehors de tout cadre apparaît également contestable...
Il fallait qu'ils pensent que j'étais comme eux pour me donner une affaire. On entre dans la peau d'un personnage. C'est comme cette histoire d'arme que j'ai nettoyée pour rendre service à un tonton (NDLR : indicateur). Si je la manipule et la nettoie grossièrement sous les yeux d'un autre policier, encore une fois, c'est pour gagner la confiance de mon indic ! En revanche, concernant ma mise en examen pour association de malfaiteurs en vue de la préparation du délit de trafic de stupéfiants, j'attends qu'on m'en fasse la démonstration. Je n'ai jamais participé à un trafic de drogue ! Sur quoi cela repose ? Sur des rumeurs ! On a vraiment été traînés dans la boue.
Vous ne vous êtes jamais dit qu'un jour on allait vous demander des comptes ?
Oui, bien sûr, mais pas de cette manière. Je n'aurais jamais pu imaginer me retrouver un jour en détention...