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Politique

Violences à Air France : Mélenchon trahit Jaurès et jette de l'huile sur le feu

Sur BFMTV, Jean-Luc Mélenchon a défendu les salariés d'Air France en garde à vue, suspectés d'avoir commis les violences de la semaine passé. Il appelle même à "recommencer" ce type d'actions. Est-ce bien responsable?
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Mélenchon
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AFP

Jean-Luc Mélenchon ne rate jamais un mauvais combat. C’est un mode de vie. Un genre. Une marque de fabrique. De fait, il ne pouvait pas manquer de venir au secours des salariés d’Air France placés en garde à vue pour avoir tenté de quasi-lyncher, parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, des dirigeants de leur société. Sur BFTM TV, ce mardi matin, l’ancien candidat du Front de gauche à l’élection présidentielle est venu au secours de ceux dont la garde à vue vient d’être prolongée.

"C’est une honte. C’est une honte. Qu’est-ce qu’ils ont fait ces gens? C’est des trafiquants de drogue?  C’est de gens qui comptent se sauver avec de l’argent dans un paradis fiscal? Qu’est-ce que vous voulez à la fin? Que les gens viennent et disent: 'pardon notre bon maître, pardon notre seigneur, jamais nous ne recommencerons'", a déclaré Jean-Luc Mélenchon, avant de lancer un appel pour le moins étonnant : "Moi je dis aux gens : Recommencez ! Pensez à ces cinq-là !".

Auparavant, le leader du Parti de gauche avait repris à son compte l’argumentaire consistant à réduire des violences faites aux personnes à une simple affaire de chemise déchirée, qui ne souffre d’aucune comparaison avec la violence sociale infligée aux salariés d’Air France: "Parlez-moi de la violence des puissants! De la violence qu’ils font subir aux gens! L’ouvrier il est là pour se taire et souffrir! Eh bien non, de temps à autre il y en a qui se font prendre la chemise. La chemise c’est rien!".

Est-ce bien responsable? Une violence sociale, pour insupportable qu’elle soit justifie-t-elle la violence physique, la mise en danger de l’intégrité physique d’autrui? Est-il légitime qu’un responsable politique de premier plan lance un appel, de facto, à de nouvelles violences physiques, au prétexte qu’il ne s’agit que de déchirer quelques chemises?

Mélenchon souffle sur les braises sociales

N’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon, et à tous ceux qui se reconnaissent dans ces propos, son soutien aux salariés en garde à vue, suspects d’avoir commis un quasi-lynchage est aussi dangereuse qu’irresponsable. Quel est l’objectif à la fin? Que d’autres scènes de violence exacerbée, menées par des foules haineuses ne finissent par produire le pire, ici ou là? Rien n’est plus terrible que la réduction d’une personne à sa chemise, ainsi érigée en objet symbole du capitalisme en col blanc, arrogant et dominateur, et qu’il faut détruire. Sauf que détruire l’objet, c’est détruire l’homme.

Jean-Luc Mélenchon joue avec le feu des passions françaises, soufflant sur des braises sociales qui ne demandent qu’à s’enflammer. Peut-on oser ici émettre l’hypothèse que cette posture n’a que peu à voir avec la notion de responsabilité en politique?

Depuis une semaine, les tenants de la ligne dure, incarnée encore ce jour par Mélenchon, proclament que la pire des violences, c’est le licenciement. Convenons qu’ils ont raison sur ce point: c’est une violence insupportable. En guise de riposte, à travers la défense des responsables du quasi-lynchage, ils plaident pour le recours à la violence physique qu’ils estiment seule légitime en guise de rétorsion. Est-ce la solution? Est-ce le meilleur moyen de défendre ceux qu’ils prétendent défendre?

Notons que la problématique n’est pas neuve. Elle est aussi vieille que le salariat et la lutte des classes. Les socialistes historiques, à commencer par le premier d’entre eux, Jaurès, étaient déjà confrontés au dilemme: comment arbitrer entre la violence sociale qui peut devenir intolérable au point d’engendrer de la violence physique sur fond de conflits de classes?

Les leçons de Jaurès

Justement, preuve que Mélenchon et ses semblables ont oublié les leçons du fondateur du Parti socialiste unifié de 1905, le Grand Jaurès avait apporté en son temps, la réponse à ce dilemme. Une réponse d’une autre tenue.

Suite à une série de violences ouvrières, commises au printemps 1906 et sévèrement réprimées par Clemenceau, ministre de l’Intérieur, Jaurès avait alors délivré sa vision des choses lors d’un débat à la Chambre des députés, le 19 juin, face à son vieux frère ennemi, le "Premier flic de France". L’argumentation alors déployée par le leader de la SFIO, entre la compréhension de la souffrance sociale infligée par un patronat indifférent et la recherche d’une responsabilité politique et sociale incombant à ceux qui en sont victimes, n’a rien perdu de son acuité. Elle vaut pour les mineurs de 1905 comme pour les salariés d'Air France de 2015.

Jaurès accable les pratiques patronales anti-sociales : "Ah ! Le patronat n’a pas besoin, lui, pour exercer une action violente, de gestes désordonnés et de paroles tumultueuses! Quelques hommes se rassemblent, à huis clos, dans la sécurité, dans l’intimité d’un conseil d’administration, et à quelques-uns, sans violence, sans gestes désordonnés, sans éclats de voix, comme des diplomates causant autour d’un tapis vert, ils décident que le salaire raisonnable sera refusé aux ouvriers; ils décident que les ouvriers qui continuent la lutte seront exclus, seront chassés, seront désignés par des marques imperceptibles mais connues des autres patrons, à l’universelle vindicte patronale […] Cela ne fait pas de bruit; c’est le travail meurtrier de la machine qui, dans son engrenage, dans ses laminoirs, dans ses courroies, a pris l’homme palpitant et criant, la machine ne grince même pas, et c’est en silence qu’elle le broie".

Ces derniers jours, les défenseurs du recours à la violence contre les dirigeants d'Air France ont beaucoup cité cette partie là du discours de Jaurès. Le problème, c'est qu'ils ont oublié la suite, qui les contredit. Un fâcheux oubli.

Une violence contre-productive

Car Jaurès, contempteur implacable des pratiques capitalistes, n’entend pas légitimer le recours à la violence engendrée par la souffrance sociale. Il sait que cette violence est contre-productive. Contrairement à Mélenchon, il plaide pour une éthique de la responsabilité politique: "Les violences individuelles contre les personnes et les biens ne peuvent que compromettre la victoire, et fausser le sens du combat. La révolution sociale ne se propose point de brutaliser les personnes, mais au contraire d'assurer la vie et la dignité de tous, et de ceux-là mêmes qui sont aujourd'hui des privilégiés, sous la loi commune du travail souverain. La révolution ne consiste point à détruire à endommager les biens, les usines, les mines, les machines, mais à en transférer la propriété aux travailleurs groupés et affranchis".

Les deux parties du discours sont inséparables. On comprend que cela gêne les avocats des violences commises la semaine passée. Hélas pour eux, il n’y a rien à jeter, ni à ajouter au propos, incroyablement actuel, du fondateur de la SFIO. Sauf à constater que Mélenchon, qui affiche une photo de Jaurès dans son bureau, ne s’en montre, pour le coup, guère digne.

Mélenchon est plus Thorez que Jaurès. C’est regrettable, et pour lui, et pour ses militants des gauches de la gauche qui pensent, avec lui, que la violence physique est légitime, alors qu’au bout du compte, elle dessert la cause même de ceux qu’ils prétendent défendre. Allez Jean-Luc Mélenchon et les autres! Reprenez-vous ! Renouez avec le socialisme démocratique! Encore un effort pour être Jaurésien!

 

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