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Enquête

Avec l'agroforesterie, l’agriculture retrouve ses racines

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Les arbres, décimés par les chantres de l’agriculture intensive depuis des décennies, reviennent petit à petit ombrager la campagne française, au profit d’une production plus durable.
par Coralie Schaub
publié le 14 décembre 2014 à 19h06
(mis à jour le 28 octobre 2015 à 15h53)

Fini les mornes plaines ? Fini les monocultures si monotones ? Bientôt. Lentement mais sûrement, les arbres réapparaissent dans les champs. Eux qui en avaient été exclus au XXe siècle au nom de l'intensification de l'agriculture y reviennent sous forme d'alignements, de haies, de bosquets ou d'arbres isolés. Faire cohabiter ceux-ci avec des cultures et/ou des animaux sur une même parcelle agricole, c'est pratiquer l'agroforesterie. Sujet revenu à la pointe de la tendance, si, si. Le ministère de l'Agriculture lui consacrait le 1er décembre une «journée nationale historique», qualifiant l'agroforesterie d'«un des leviers à la disposition des agriculteurs pour parvenir à la double performance économique et environnementale du projet agro-écologique pour la France» (lire EcoFutur du 17 février).

«Capital naturel»

Nestlé, le premier groupe alimentaire mondial, ne cesse de vanter la pratique, testée depuis une vingtaine d'années par sa marque Vittel dans les Vosges : préserver les écosystèmes, c'est préserver la qualité de l'eau, donc le business. Idem, plus récemment, pour ses marques Mousline, Nescafé et Nespresso, avec, à chaque fois, des milliers voire des dizaines de milliers d'arbres plantés. «Investir dans le "capital naturel" est aussi pour le groupe Nestlé une meilleure garantie de sécurisation de ses approvisionnements sur le long terme», dixit la multinationale.

Greenwashing ? Peut-être. Pragmatisme, surtout. Et tant mieux si c'est bon pour l'image. «C'est forcément une stratégie de marque mais la démarche est plutôt intéressante, cela participe à la prise de conscience», estime Amandine Lebreton, de la fondation Nicolas Hulot, qui souligne les «multiples avantages» de l'agroforesterie. Les arbres améliorent la qualité du sol, le stabilisent et le protègent de l'érosion. Ils l'aident à mieux stocker l'eau, réduisant ainsi les pics de crue, et filtrent les pollutions aux nitrates. Ils offrent le gîte et le couvert aux pollinisateurs comme les abeilles, mais aussi à toutes les bestioles (coccinelles, oiseaux, chauve-souris…) qui permettent de lutter contre les insectes ravageant les cultures. Le bétail et la volaille aiment s'abriter sous leur ombre. «En période de sécheresse, de nombreux feuillus et fruitiers - frêne, orme, mûrier, érable… - constituent d'excellents fourrages d'appoint», pointe aussi le ministère de l'Agriculture.

Des études sont en cours pour évaluer dans quelle mesure l'agroforesterie permet d'atténuer le changement climatique et de s'y adapter. Les arbres stockent en effet une à deux tonnes de carbone par hectare et par an, pour 50 à 100 arbres par hectare. «Et les cultures protégées par ces derniers souffriraient moins du réchauffement, mais cela reste à vérifier et à quantifier», ajoute Christian Dupraz, de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) de Montpellier. L'enjeu est aussi économique. Car associer arbres et cultures permet de produire davantage : «Une exploitation agroforestière de 100 hectares produit autant de biomasse qu'une exploitation conventionnelle de 140 hectares où arbres et cultures sont séparés, constate le chercheur. L'agriculteur continue à vivre de son exploitation, ses rendements sont maintenus. Et une fois qu'il vend ses fruits et son bois, il peut très nettement améliorer ses revenus.»

La pratique, explique Christian Dupraz, n'est «pas extrêmement technique» et peut s'envisager pour toutes les cultures ou presque, à condition de choisir l'espèce qui poussera bien là où on la plante. Parmi les mariages les plus réussis figurent le noyer associé à des cultures d'hiver type blé ou colza, le peuplier combiné au maïs, ou les très classiques pommiers normands servant de parasols aux vaches. «Vous verrez, la campagne va bientôt changer de visage, il y aura même des arbres au milieu des champs de betteraves à sucre», prédit Dupraz. Qui rêve pour la France d'un million d'hectares en agroforesterie en 2050. On en est loin : il y en a 170 000 aujourd'hui. Une paille par rapport aux 28 millions d'hectares de surface agricole utile nationale.

«Déminage intellectuel»

Les freins restent nombreux. Il existe encore trop peu de conseillers en agroforesterie. Et aucun diplôme ne porte spécifiquement sur le sujet, même si de plus en plus de lycées agricoles l'enseignent. Les agriculteurs ont perdu le lien avec les arbres. «Jusqu'en 2010, la PAC [politique agricole commune] les considérait comme une contrainte, ils gênaient, prenaient de la place, rappelle Alain Canet, président de l'Association française d'agroforesterie. Il y a énormément de déminage intellectuel à faire. Mais je suis impressionné par la vitesse à laquelle les curseurs bougent.»

Chaque année, désormais, 3 000 à 4 000 hectares sont plantés en agroforesterie en France, considérée comme la référence en Europe en la matière. Et le rythme s'accélérera en 2015 avec la nouvelle PAC, puisque les parcelles agroforestières pourront être considérées comme des «surfaces d'intérêt écologique» et donc permettre d'accéder à des aides. Alors, miraculeuse, l'agroforesterie ? «Elle ne fera pas tout, ce n'est pas avec elle qu'on supprimera par exemple les maladies des plantes, tempère Christian Dupraz. Mais c'est un bon chemin vers une agriculture plus écologique.»

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