Le rôle écologique essentiel des feuilles mortes

Litière de feuilles mortes et Cyclamens sauvages (Cyclamen europaeum)

Litière de feuilles mortes et Cyclamens sauvages (Cyclamen europaeum), parc de Maisons-Laffitte (Yvelines), septembre 2014.
Photographie : Ornithomedia.com

Les feuilles mortes jouent un rôle important dans la croissance des végétaux et dans l’enrichissement, le renouvellement et la structuration du sol : elles forment l’essentiel de la litière, la couche superficielle qui comprend aussi des rameaux, des brindilles, des pollens, des éléments fongiques (spores, mycéliums) et animaux (excréments et cadavres d’invertébrés essentiellement). Sous l’action de la microfaune (collemboles, acariens, lombrics, cloportes, etc.), de champignons et de bactéries, les feuilles et autres résidus végétaux se transforment peu à peu en humus en quelques mois (pour les feuillus ou quand le sol est basique à neutre) à plusieurs années (pour les résineux ou quand le sol est acide). La litière est un habitat essentiel pour de nombreuses espèces d’invertébrés qui favorisent la germination de nombreuses graines et la régénération des plantes. Elle est peu à peu décomposée et mélangée avec les particules minérales en un sol foncé et à structure grumeleuse, peu soluble dans l’eau, et riche en boulettes fécales juxtaposées aux particules minérales. Ces particules subissent des mouvements horizontaux et verticaux, notamment grâce aux vers de terre qui creusent des galeries.
Toutes les feuilles mortes ne se décomposent pas à la même vitesse : celles des peupliers, des saules, des bouleaux, des érables, des tilleuls, des noisetiers, des pruniers disparaissent avant le milieu ou la fin de l’hiver, tandis que celles des platanes, des chênes, des hêtres, des houx (et autres arbustes persistants) et des conifères mettront plusieurs années à se décomposer.
Les feuilles mortes protègent le sol de l’érosion, de l’assèchement, des ultraviolets solaires, de la lumière (de nombreuses espèces de la litière sont lucifuges) et des chocs thermiques (gel, sécheresse). Elles protègent les plantes du gel et freinent la croissance des adventices.

Les feuilles mortes, un terrain de chasse pour certains oiseaux et mammifères

Rougegorge familier (Erithacus rubecula)

Rougegorge familier (Erithacus rubecula) cherchant de la nourriture dans une litière de feuilles mortes, Cognac (Charente), le 20 novembre 2014.
Photographie : Dominique Dejean Bouyer

Les feuilles mortes constituent une source essentielle de nourriture pour les invertébrés détritivores qui eux-mêmes sont des proies pour de nombreux insectes prédateurs, reptiles, mammifères (dont les hérissons) et oiseaux. Elles servent d’abris à des auxiliaires précieux pour les jardiniers comme les coccinelles, les carabes, (grands consommateurs de limaces), les millepattes, le Staphylin odorant (Ocypus olens) ou le Gendarme (Pyrrhocoris apterus) (qui dévore des œufs d’autres insectes), en maintenant une humidité favorable et en les protégeant du gel. Cette litière servira d’abri complémentaire à un « hôtel à insectes » que vous auriez éventuellement créé (lire Faire de son jardin une oasis pour les oiseaux en plein été).
Le bruit du Merle noir (Turdus merula) remuant les feuilles à la recherche de vers, d’araignées, de cloportes, d’escargots et d’autres proies, est familier du jardinier et du promeneur, mais ce n’est pas le seul oiseau à y chasser des proies : c’est aussi le cas de la Grive musicienne (Turdus philomelos), de l’Accenteur mouchet (Prunella modularis), le Rougegorge familier (Erithacus rubecula) et de bien d’autres espèces.
Le Hérisson familier (Erinaceus europaeus) et d’autres petits mammifères et le Crapaud commun (Bufo bufo) y trouvent aussi des aliments, et les feuilles les protègent en outre du froid.

Des engins bruyants et parfois lourds

Depuis une dizaine d’années, de bruyants engins, les souffleurs de feuilles (voir une vidéo), sont de plus en plus utilisés dans les parcs, les jardins et les cimetières (lire Observer les oiseaux dans les cimetières) en automne, afin de faciliter le travail de ramassage par les agents qui autrefois se servaient de balais et de râteaux : équipés de lunettes de protection et d’un casque anti-bruit, ils parcourent les trottoirs, les pelouses et les plantations, parfois durant des heures et très fréquemment dans certaines municipalités particulièrement « maniaques ». Plusieurs rapports montrent que le seuil de nocivité pour les oreilles (85 décibels ou dB) est souvent dépassé, le niveau de puissance acoustique maximal n’étant malheureusement pas toujours indiqué dans les prospectus de vente. Des puissances de près de 100 dB ne sont pas inhabituelles. Des fabricants ont lancé ces dernières années des modèles moins sonores (65 dB) et plus économes en carburant.

Un souffleur de feuilles

Un souffleur de feuilles.
Photographie : Leaf Blower Vac / Wikimedia Commons

Des réactions d’habitants (pétitions, lettres, plaintes) ont déjà eu lieu : aux États-Unis, au moins 20 municipalités californiennes ont interdit leur utilisation et le comté de Montgomery (Maryland) a banni l’usage des modèles de plus de 70 dB. Au Canada, la ville de Vancouver avait voté contre leur utilisation en 2001, puis est revenue plus tard sur cette décision, n’interdisant que les engins de plus de 65 dB. En France aussi, plusieurs municipalités, comme la mairie de Paris, ont limité l’usage des modèles plus bruyants. Une page Facebook « Souffleurs de feuilles : stop ! » a été créée.
Précisons aussi que le souffleur, parfois lourd, peut provoquer de plus grandes douleurs musculaires que l’emploi d’un balai ou d’un râteau

Des engins néfastes pour le sol et pour la faune

En supprimant les feuilles mortes dans les parcs et jardins sous les arbres et arbustes et même entre les plantes vivaces, les souffleurs appauvrissent la terre, l’assèchent, détruisent la litière et ses habitants (invertébrés) et donc privent les oiseaux insectivores et les autres prédateurs de leur nourriture. De par leur bruit effroyable, ils dérangent aussi ces animaux qui sont en pleine période de recherche de nourriture et d’abris avant l’hiver.

Des dégagements de poussières et de pollens et de la pollution

Dans certains secteurs et/ou par temps sec, les souffles puissants de ces engins répandent des poussières qui ont des effets négatifs sur la santé : elles pénètrent plus ou moins profondément dans les poumons et les plus fines peuvent, même à de faibles concentrations, irriter les voies respiratoires, ce qui est particulièrement problématique pour les personnes souffrant d’asthme. Elles contribuent aussi à éparpiller les pollens automnaux et résiduels, qui représentent des allergènes pour certaines personnes.
Les modèles à essence sont parfois très polluants : le Washington Post avait signalé qu’un moteur à deux temps émettait autant de polluants (monoxyde de carbone, hydrocarbures, protoxyde d’azote) qu’une grosse voiture !

La terre nue n’existe pas dans la nature !

Il n’est pas nécessaire d’éliminer les feuilles mortes car dans la nature, une terre nettoyée et nue n’existe pas. La technique du « mulch », qui consiste à couvrir le sol d’un couche minérale, végétale (paillage par exemple) ou même d’origine animale, est d’ailleurs de plus en plus populaire car elle permet de conserver l’humidité, de limiter la levée des graines en dormance (grâce à l’absence de lumière), de protéger la terre des effets (compactage et érosion) de la pluie battante et du vent et des températures extrêmes, et de limiter le contact de certains fruits et légumes (fraises ou cucurbitacées) avec la terre (ils sont ainsi plus propres et leur pourrissement est limité). Ce qui est paradoxal, c’est que les jardiniers et les agents municipaux qui utilisent leurs souffleurs en automne pour supprimer les feuilles mortes répandent en même temps des matières végétales (herbe coupée, paille de lin, de chanvre ou de miscanthus, cosses de cacao, écorces de pins..) autour des végétaux dont ils s’occupent !

Limiter au maximum l’usage des souffleurs

Vue du parc Gradski à Zemun (Serbie) en automne

Vue du parc Gradski à Zemun (Serbie) en octobre : la présence de feuilles au sol fait partie du charme de l’automne…
Photographie : Matija sa VMO / Wikimedia Commons

Le ramassage des feuilles mortes peut être utile (ponctuellement) pour des raisons esthétiques, de sécurité (les feuilles peuvent rendre la chaussée glissante en cas de pluie) ou en cas d’infestation par des maladies cryptogamiques (comme l’anthracnose) ou de parasitage (par l’aleurode ou mouche blanche par exemple), et les souffleurs constituent alors des outils pratiques. Toutefois, il convient de limiter au maximum leur utilisation et de privilégier en tout cas les modèles les moins bruyants (puissance acoustique inférieure à 70 dB) et les moins polluants (électriques). Il faut aussi éviter de les utiliser à plein régime pour réduire le bruit et les émissions de gaz nocifs.
Les souffleurs doivent être utilisés à bon escient  et de manière rationnelle. Toute autre utilisation, par exemple pour enlever des déchets, est à proscrire. Pour souffler efficacement les feuilles mortes, il faut travailler de préférence le matin (mais pas avant 8 heures pour ne pas déranger les riverains), lorsque celles-ci sont humides. La période du repas (entre 12 et 14 heures) et la fin de journée (après 17 heures) seront épargnées.
Ces engins ne seront utilisés que là où les feuilles mortes posent vraiment un « problème » : trottoirs et places, voire pelouses très utilisées, très visibles ou couvertes d’une couche de feuilles trop épaisse. Par contre, les pieds des arbres et des arbustes et les parterres ne seront pas nettoyés.
Les feuilles collectées serviront à fabriquer de l’humus (une alternative écologique aux terreaux du commerce, généralement inertes et riches en tourbe) et/ou à protéger les plantations du froid et du dessèchement à place des matériaux végétaux (pailles diverses, écorces de pins, cosses de cacao…) achetés. Les feuilles étendues au sol devront rester entières (non broyées) et non tassées afin d’assurer une bonne circulation de l’air, améliorant ainsi l’isolation en cas de froid et diminuant les risques de pourriture due à l’humidité. Ces feuilles empêcheront que les végétaux ne soient envahis par les « mauvaises » herbes, permettant une économie de produits chimiques et de main-d’oeuvre (désherbage manuel). Elles serviront de refuge aux insectes et autres animaux.
Et si un tas de feuilles doit être brûlé, il faut vérifier avant qu’un hérisson ne s’y cache pas !

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