Un cadeau fiscal que certains ont encore en travers de la gorge. Jeudi 15 octobre, le tribunal administratif de Paris a ajouté sa pierre à la polémique des 2 milliards d’euros de deniers publics reçus par la Société générale dans l’affaire Kerviel. Une somme qui a compensé presque la moitié de ses pertes.
En 2008, la banque déclare 4,9 milliards d’euros de pertes dues à la fraude commise par l’ex-trader Jérôme Kerviel. La loi veut que dans ce cas, une entreprise bénéficie d’une créance d’impôt sur les montants perdus. Aussi l’Etat accorde-t-il à la Société générale un crédit d’impôt de 1,7 milliard d’euros en 2009, puis 500 millions d’euros en 2010, pour un total de 2,197 milliards d’euros.
Demandes sans réponse
Depuis, le flou sur la responsabilité de la banque remet en question la légitimité de cette déduction fiscale. En effet, il faut que la fraude ait été commise à l’insu des dirigeants, et que ces derniers n’aient pas été, directement ou indirectement, à l’origine de la perte. Or, si en octobre 2010, Jérôme Kerviel est reconnu seul coupable au pénal et condamné à cinq ans de prison pour « abus de confiance, introduction frauduleuse de données dans un système automatisé et de faux et usage de faux », de leur côté le Trésor et la Commission bancaire (devenue Autorité de contrôle prudentiel) pointent chez la banque de graves défaillances du système de contrôle et de hiérarchie.
Résultat, en mars 2014, la Cour de cassation casse le volet civil du jugement, renvoyé à janvier 2016. Elle annule ainsi les dommages et intérêts de 4,9 milliards d’euros dus par Jérôme Kerviel et rappelle « l’existence de fautes commises par la Société Générale [qui ont] concouru au développement de la fraude et à ses conséquences financières ». Enfin, en mai 2015, Nathalie Le Roy, qui était commandante de police à la brigade financière chargée des investigations sur l’affaire Kerviel assure avoir « la certitude que la hiérarchie de Jérôme Kerviel ne pouvait ignorer les positions prises par ce dernier », dans des déclarations relayées par le site Mediapart.
L’administration fiscale a-t-elle mal ou trop vite agi ? La réponse pourrait se trouver dans un rapport interne réalisé en 2012, à Bercy, par la direction des Vérifications nationales et internationales (DVNI). Depuis deux ans, le conseiller régional EELV d’Ile-de-France Julien Bayou réclame sa publication. « Si ce rapport disculpe l’administration, très bien. Si, au contraire, il dit “on n’aurait pas dû payer”… » explique ce jeune élu qui a saisi le juge administratif après des demandes restées sans réponse auprès de Bercy et de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada). Cité par l’AFP, Michel Sapin a estimé mercredi que ce n’était « pas à l’administration fiscale de reconsidérer elle-même sa position ». Le ministre des finances a invité à attendre le procès civil en appel de Jérôme Kerviel, qui doit se dérouler du 20 au 22 janvier 2016, expliquant qu’on pouvait « reconsidérer [ce crédit d’impôt] mais dans le cadre d’une décision de justice ».
« Poil à gratter »

De son côté, la Société générale se refuse pour l’instant à tout commentaire. La banque « était en droit de prétendre [à ce crédit d’impôt], mais c’était à l’administration de refuser », estime l’empathique M. Bayou. « Si j’ai une fuite d’eau dont je suis responsable, je tente quand même auprès de mon assureur… » Pour lui, « si quelqu’un a fauté, c’est Christine Lagarde », à l’époque ministre de l’économie et des finances.
Celui qui se définit comme un « poil à gratter » n’est pas le premier à dénoncer le cadeau de « 30 euros par Français » fait à l’établissement financier. François Hollande et Nicolas Dupont-Aignan l’ont déploré en 2010. En 2013, la sénatrice socialiste Marie-Noëlle Lienemann et quatre députés UMP, dont Benoist Apparu, en ont appelé au ministre de l’économie et des finances de l’époque, Pierre Moscovici, qui a donc « demandé aux services compétents de [son] département de faire le point sur le dossier ».
Aujourd’hui, c’est au tour de Julien Bayou de se demander « pourquoi chez M. Sapin on ne s’obstine pas à récupérer ces sommes, alors que de l’autre côté on privatise des aéroports ».
Prochaine étape, le Conseil d’Etat
Jeudi, le rapporteur public a conseillé de rejeter les requêtes de M. Bayou. Le juge a indiqué qu’il rendrait sa décision d’ici deux semaines. « Dans deux semaines et un jour, je saisirai le Conseil d’Etat », a répliqué Julien Bayou à la sortie de l’audience, refusant de croire que sa démarche soit « vouée à l’échec ». Le conseiller régional, campé sur ses deux jambes parfois parcourues de trépidations nerveuses, a déploré l’absence du ministère de l’Economie.
Acerbe, l’avocat de Jérôme Kerviel, M. David Koubbi, a déclaré qu’ « au lieu de payer bêtement leurs impôts les citoyens feraient mieux d’écrire au Fisc ».
Durant toute la matinée, l’ancien trader se tenait légèrement en retrait du jeune conseiller régional, fumant plusieurs cigarettes dans la cour du tribunal tandis que son avocat préférait vapoter. En manteau noir, jean et bottines pointues, il a indiqué d’une voix basse et la tête inclinée qu’il ne « lâchait rien » sur son propre dossier.
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