Menu
Libération
«Risque carbone»

Les banquiers, nouveaux amis du climat ?

COP21dossier
La banque Natixis s’est engagée jeudi à ne plus financer de centrales électriques au charbon et de mines de charbon thermique. Elle s'inscrit dans une tendance de fond, qui voit le monde de la finance s'inquiéter de plus en plus d'un risque de «bulle du carbone».
par Coralie Schaub
publié le 15 octobre 2015 à 18h30
La finance se détourne de plus en plus du charbon, l’énergie fossile la plus émettrice de gaz à effets de serre. La banque Natixis, filiale du groupe Banque Populaire-Caisse d’Epargne (BPCE), s’est engagée jeudi à ne plus financer de centrales électriques au charbon et de mines de charbon thermique, et ce «dans le monde entier, en l’état actuel des technologies». «Natixis s’engage également à ne plus accepter de nouveaux mandats de conseil ou d’arrangement liés à de tels financements», ajoute la banque dans un communiqué. Elle «renonce aussi à financer les sociétés dont l’activité repose à plus de 50% sur l’exploitation de centrales électriques au charbon ou de mines de charbon thermique».
Natixis justifie notamment cette annonce par sa «décision de renforcer son rôle d’acteur de référence dans le financement des énergies renouvelables, qui représentent déjà plus de 60% du portefeuille de production électrique financé». La banque fait aussi valoir «une impérative prise en compte des risques multiples associés à l’industrie du charbon : risques environnementaux mais également économiques et réglementaires».

«L’exposition des investisseurs est gigantesque»

De plus en plus de voix s’élèvent ces derniers temps pour tirer la sonnette d’alarme quant à ces risques économiques. Fin septembre, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, présentait un rapport qui a fait l’effet d’une bombe dans les milieux financiers. Intitulé «L’impact du changement climatique sur le secteur britannique des assurances», il reconnaît explicitement la réalité d’un «risque carbone», estimant que «l’exposition des investisseurs britanniques […] est potentiellement gigantesque».
Le «risque carbone» ? En 2012, le groupe de recherche britannique Carbon Tracker calculait que pour maintenir le réchauffement de la planète en deçà de + 2°C, seul un cinquième des réserves fossiles affichées dans les bilans des industriels de ces énergies devrait être exploité. Les sommes en jeu sont colossales : la valeur de ces réserves totalise 28 000 milliards de dollars, plus de dix fois le PIB du Royaume-Uni. Dans tous les cas, les investisseurs seront perdants : si les Etats n’agissent pas pour éviter le chaos climatique, ils perdront du fait des immenses dégâts causés sur d’autres investissements ; s’ils agissent, la plupart de leurs actifs liés aux fossiles sont voués à perdre toute valeur. Et la gigantesque bulle du carbone éclatera.
Ce mardi, le chef économiste de la compagnie pétrolière BP, Spencer Dale, le reconnaissait lui-même : «Du fait des préoccupations liées aux émissions de carbone et au changement climatique, il est de moins en moins probable que les réserves mondiales de pétrole puissent jamais être entièrement exploitées.» Peu médiatisé, ce risque carbone émeut de plus en plus le monde de la finance. De Goldman Sachs à HSBC ou la Deutsche Bank, tous s’inquiètent et sentent le vent tourner en faveur des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique.

Le charbon, particulièrement risqué

.L’affaire se corse déjà pour le charbon. En 2014, sa consommation a baissé de 2,9% en Chine. En Australie, les cours des entreprises du charbon s’effondrent. Et les principales banques françaises sont sorties en avril du plus gros projet de charbon australien à cause d’un risque lié à l’image et d’incertitudes sur les gains financiers. Aux Etats-Unis, la valeur boursière des sociétés du charbon s’est écroulée depuis cinq ans, et les investisseurs institutionnels commencent à désinvestir.
A quelques semaines de la COP 21, la conférence internationale pour le climat qui se tiendra début décembre à Paris, les choses s’accélèrent. Le Crédit agricole a annoncé fin septembre son intention de ne plus financer de nouvelles centrales ou d’extension de centrales électriques à charbon, mais uniquement dans les pays à hauts revenus, ce qui excluait de fait la Chine et l’Inde, principaux consommateurs de cette énergie fossile très polluante. Et mercredi, la ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, annonçait qu’Engie (ex-GDF Suez) allait programmer la fin de ses investissements dans les centrales à charbon.
Evidemment, les ONG se réjouissent. «L’annonce de la fin des investissements d’Engie hier et des financements de Natixis dans des nouveaux projets charbon porte un nouveau coup à un secteur climaticide de plus en plus risqué financièrement et économiquement», se félicite Lucie Pinson, des Amis de la Terre. «Natixis était la dernière banque française à arrêter de financer, en mai 2015, le mountaintop removal [ou «raclage de sommet de montagne», l’une des formes d’extraction de charbon les plus agressives, pratiquée dans la chaîne des Appalaches, dans l’Est des Etats-Unis, ndlr]. Elle est aujourd’hui la première banque internationale à annoncer la fin de ses financements de tout projet de mines et de centrales à charbon, allant plus loin que le Crédit agricole.» Mais d’autres acteurs tardent à rejoindre le mouvement. «BNP Paribas et EDF, tous deux sponsors de la COP 21, semblent ne pas avoir pris la mesure du risque financier et sont toujours massivement exposés au charbon», souligne Lucie Pinson.
Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique