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"Il faut toujours être ivre", enjoignait Baudelaire, et Woody Allen s'y applique. Ivre de quoi ? Ni de vin, ni de poésie, ni – à en juger son cinéma – de vertu. Si Allen s'enivre "sans trêve", c'est de philosophie. De ces fameuses questions existentielles qui le tourmentent et dont il raffole. Et s'il est vrai qu'il se projette dans chacun de ses héros alambiqués, rarement aura-t-il trouvé meilleur alter ego qu'Abe Lucas, L'Homme irrationnel de son dernier essai cinématographique. Un professeur de philosophie aussi compétent que charlatan, qui reconnaît volontiers la futilité de sa discipline. "La philo, résume-t-il, c'est de la masturbation verbale." Cela n'empêche personne d'y trouver son plaisir.
Le Point.fr : Que peut-on encore demander à Woody Allen pour piquer son intérêt ?
Woody Allen : Honnêtement, pas grand-chose. Je suis censé faire en sorte que les gens aient envie de voir mon film, mais je ne peux pas leur dire "vous devez voir ce film, il est excellent". D'abord parce que, la plupart du temps, je ne le pense pas, ensuite parce que, même si je le pensais, je serais trop modeste pour le dire. Je suis donc dans une position extrêmement inconfortable et rien de ce vous pourriez dire ne peut m'aider. Cela fait des années que je m'occupe de la promotion de mes films et j'ai toujours le même problème.
Vos films aussi traitent toujours des mêmes problèmes, ceux des questions dites existentielles…
Oui parce que ce sont les questions les plus importantes. Même si vous parveniez à résoudre toutes les autres, que vous n'aviez plus aucun problème politique, social ou sentimental, la situation resterait critique parce qu'il y aurait encore ces questions terribles. Pourquoi sommes-nous là ? Pourquoi sommes-nous nés ? Quel est le sens de la vie ? Pourquoi vieillissons-nous et pourquoi la mort ? etc.
Avez-vous une préférence ?
Celle à laquelle les philosophes n'ont jamais réussi à répondre de façon satisfaisante : comment puis-je rendre ma vie supportable sachant qu'elle n'est qu'un événement aléatoire et insignifiant ? Comment puis-je continuer à vivre alors que je sais que, quoi que je fasse, quoi que je construise, quel que soit le nombre de films que je réalise, tout finit en poussière. Tout le mal qu'on se donne pour accomplir ces choses ne sert à rien.
C'est ce que se dit Abe Lucas, le héros de L'Homme irrationnel…
Il ne croit en rien tout simplement parce qu'il n'y a rien. Mais on ne peut pas vivre sans se donner une raison de vivre. Alors, il s'en trouve une. Elle est dangereuse et irrationnelle parce que ses prémisses sont erronées, mais c'est une raison. À mes yeux, ce n'est pas si différent de la démarche des gens qui vont à l'église, par exemple. Les religions sont bâties sur des mythes et des contes de fées, mais elles aident des millions de gens à vivre. Pour éviter d'errer sans but, il faut juste choisir quelque chose en quoi l'on veut croire et parvenir à se convaincre soi-même.
Alors, en quoi avez-vous choisi de croire ?
Je suis, hélas, de ces personnes qui ne parviennent jamais vraiment à croire. Je trouve que la vie est une expérience douloureuse et vide de sens. Les existentialistes disent que la vie a le sens qu'on lui donne, mais je n'ai jamais réussi à en trouver un. J'aimerais y arriver, mais je sens qu'elle n'en a pas.
À défaut de foi, y a-t-il un philosophe à l'école duquel se placer ?
Je n'ai pas de préférence. Lire Spinoza et Descartes est distrayant, mais les existentialistes comme Kierkegaard, Sartre et Nietzsche sont bien plus amusants parce que ce sont les plus dramatiques et les plus poétiques. Si vous prenez un philosophe anglais comme Bertrand Russell, ce n'est pas très drôle parce qu'il n'y a pas moyen d'argumenter, c'est du bon sens. Les Français, comme Sartre, sont moins ennuyeux. Mais, en fin de compte, peu importe. "Whatever works". C'est le titre d'un de mes films et c'est mon état d'esprit : du moment que ça marche, tant mieux.
REGARDEZ LA BANDE ANNONCE DE "L'homme irrationnel" :
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Le dénominateur commun à tous les films de Allen est :
de très jolies jeunes femmes qui ont des histoires d'amour avec... des hommes murs riches ou cultivés.
C'est-à-dire le gros fantasme pour tous les hommes murs et pour Allen et pour quelques jeunes femmes.
J'attends toujours le film où une bourgeoise aime un prolo. Ce serait subversif.
Il faudrait que j'envoisse à Mr Allen ma copie de la lettre d'Epicure à Menacée au sujet du bonheur... Il faudrait mais,... à son âge et avec sa culture, il doit bien la connaître, non ?
Allen est pétrie de croyances du même acabit que toutes celles qu'il réduit à une simple raison de vivre mentale. "Il n'...y a rien" dit-il, mais ce rien n'existe pas, il est plein de potentialités et d'énergies qui ne demandent qu'à être libérées et mises en mouvement. La méthode employée importe peu du moment qu'elle fonctionne. Athée ou religieuse, il n'y a pas à s'arrêter à la forme, les comportements sectaires sont improductifs. Le principal est que cette "raison de vivre" soit un bouillonnement intérieur, un feu de vie, qui cherche toujours à accomplir quelque chose au-delà de lui-même dans l'instant présent.