Logement

Quand la suppléante de Claude Bartolone fait expulser une famille avec neuf enfants

Logement

par Ivan du Roy

Il est environ 9h30 quand des gendarmes mobiles investissent la cité Gagarine de Romainville (Seine-Saint-Denis) ce 13 octobre. L’opération vise à expulser la famille Diassiguy et ses neuf enfants, qui habitent l’appartement d’un rez-de-chaussée de ce grand ensemble qui compte environ 750 logements. La famille habite là depuis 27 ans. Mais elle connaît des problèmes d’impayés de loyers lorsque le père de famille se retrouve au chômage en 2013. La Caisse d’allocations familiales suspend alors le versement de l’aide au logement, suite à un jugement du tribunal d’instance. « Au moment où ils ont été expulsés, une partie de la dette était apurée », assure pourtant Jean-Baptiste Eyraud, de Droit au logement (DAL).

Ce que conteste le bailleur HLM, Romainville Habitat : « La dette a continué à s’aggraver puisqu’elle s’élevait à 9225€ au 30 septembre 2015. Depuis dix ans, la famille Diassiguy payait très irrégulièrement son loyer malgré un accompagnement social », détaille de son côté Asma Gasri, la présidente de Romainville Habitat (voir sa réponse ci-dessous).

Pour Droit au logement, la famille avait repris le versement du loyer depuis mars, sept mois avant l’expulsion. Selon l’association, il ne restait plus qu’au bailleur de signer le protocole pour que les aides au logement suspendues, correspondant à la dette résiduelle, soient débloquées et pour que la situation soit régularisée. L’office municipal refuse, malgré une pétition signée par une centaine d’habitants soutenant la famille. « Il n’a pas été possible de mettre en place un protocole d’accord avec la CAF car suite au jugement le bail a été résilié. La pétition dont vous parlez n’a pas été signée par une centaine d’habitants mais par 60 signataires dont plusieurs mineurs », se défend Asma Gasri.

Suite au jugement et à une demande de recours à la force publique, les forces de l’ordre procèdent donc à l’expulsion, sous les protestations de plusieurs voisins et militants du DAL local, dont un responsable est blessé et interpellé. L’expulsion met les habitants de la cité en émoi (voir ici la vidéo de l’expulsion, filmée par des habitants avec leurs smartphones). Le sujet y est sensible : les locataires sont inquiets d’un futur programme de rénovation urbaine, lié à l’extension prochaine de la ligne onze du métro parisien. Une opération immobilière qui risque de provoquer de nombreux relogements, ailleurs, et une inflation des loyers. « Lors des réunions publiques, nous avons rappelé à maintes reprises qu’à surface égale, le loyer sera identique avec même potentiellement des baisses de charges grâce à la meilleure isolation des logements », assure la présidente de Romainville Habitat.

Rapidement, une première manifestation d’environ 200 personnes s’organise devant la mairie, puis devant le siège de la communauté de communes, Est ensemble. « La décision de l’expulsion et du relogement appartient à la maire de Romainville, Corinne Valls », estime Jean-Baptiste Eyraud. Corinne Valls, ancienne communiste, est la suppléante de Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale et tête de liste socialiste aux élections régionales de décembre. Avant d’être élue, elle a habité dans la même cage d’escalier que la famille Diassiguy. Dans la soirée, la maire fait voter le huis-clos du conseil municipal puis suspend la séance [1]. Une marche sera organisée dimanche prochain, à 10h, au départ de la cité Gagarine.

La famille Diassiguy est pour l’instant accueillie chez des voisins. Elle rejoint la mobilisation initiée par une centaine de familles, en attente de relogement, venues de plusieurs banlieues parisiennes. Depuis le 30 juillet, celles-ci se rassemblent régulièrement Place de la République, à Paris. En vain pour le moment, alors que l’hiver approche. Selon les chiffres que le DAL s’est procuré, en 2014, le nombre de jugements d’expulsion pour impayés a progressé de 5%, dépassant les 126 400. Pour près d’un quart de ces expulsions, le concours de la force publique a été autorisé par les préfets. Un chiffre qui « n’a jamais été aussi élevé dans notre pays ! », souligne le DAL.

[Article mis à jour le 21 octobre à 11h, suite à la réponse de la présidente de l’office HLM de Romainville.]

 Pétition en ligne pour soutenir l’action contre les expulsions.

 La réponse d’Asma Gasri, Présidente de Romainville Habitat, ci dessous.

Notes

[1Nous avions écrit que la maire avait été mise en minorité par le conseil municipal de Romainville, ce qui n’a pas été le cas.