Après les attaques terroristes, la campagne des régionales a été suspendue. A une semaine du premier tour, elle a maintenant officiellement repris, mais le retour au terrain n'est pas une évidence pour tous les partis. Le PS a décidé d'attendre l'hommage national du 27 novembre, tandis que tous les
C’est l’une des régions qui sera la plus scrutée lors des élections régionales des 6 et 13 décembre prochains. Le Nord-Pas-de-Calais, qui va devenir le Nord-Pas-de-Calais - Picardie suite à la réforme territoriale, jadis bastion socialiste et communiste, risque de basculer dans le giron du Front national, emmené par Marine Le Pen, tête de liste. *Un reportage de Clémence Fulleda(avec les cartes de Camille Renard et mis en page par Abdelhak El Idrissi). *
Cela fait plus de 40 ans que la gauche dominait la région Nord-Pas-de-Calais, qui deviendra la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie en 2016. Et pourtant, cette hégémonie semble bel et bien finie.
A quelques semaines du scrutin, la gauche part dispersée avec trois listes : une PS, une EEVL/PG et une communiste. Et un sondage publié en septembre par La Voix du Nord et le Courrier Picard donne Marine Le Pen, tête de liste du Front national, gagnante en cas de triangulaire au second tour. Elle obtiendrait 35% des voix devant le candidat Les Républicains, Xavier Bertrand (33%), et Pierre de Saintignon, candidat socialiste (32% en comptant les voix du Front de Gauche et d’Europe Ecologie les Verts). De quoi assurer au Front national la majorité absolue des sièges.
**Alors, comment comprendre cet effritement, voire cet effondrement de la gauche ? Est-il le symbole d’un phénomène global ou est-ce dû à des spécificités de la région ?
***« En ce moment, le Parti socialiste je ne l’ai pas vraiment dans le cœur » ***
Pour le comprendre, voici à quoi ressemble une soirée de porte à porte dans le quartier populaire lillois de Balzac :
Accueillis gentiment souvent, parfois avec scepticisme, Jérôme, 42 ans, secrétaire de section, reconnaît comme ses camarades que**« ce n’est pas facile. Le fait de gouverner c’est là où on est confronté à l’exercice et le militant ce décourage quand c’est compliqué, là c’est le cas. Ce qui décourage aussi les camarades c’est qu’on a un peu perdu cette capacité de se remettre en question. Tant qu’on aura oublié ça, ça créera des difficultés. Mais je ne suis pas découragé. Je suis de la génération Mitterrand, j’ai pu avoir des études grâce aux bourses et je veux que ce que j’ai vécu soit partagé. »**
Tous ces militants, à l’image de Jean-Marc, croient à **« une victoire au second tour à l’arrachée » .
Des militants qui rendent leur carte**
Pour autant, ils sont de moins en moins nombreux à y croire, et beaucoup ont déjà claqué la porte.
Exemple : la fédération socialiste du Nord, l’une des plus puissantes de France, avait l’habitude de compter 10.000 adhérents à jour de cotisation. Ils ne sont plus que 3.500 aujourd’hui.

Parmi les « déserteurs » , Jean Pierre Desquiens, militant socialiste historique à Tourcoing, dans le Nord, depuis 1974. Longtemps trésorier de sa section, il a rendu sa carte en même temps que celle de sa femme, en juin dernier.
Tout ce qui est fait aujourd’hui par Valls n’est pas (…) socialiste.
Et de rajouter :
« Les salariés ne sont plus représentés par le PS. Quand on voit que le gouvernement veut remettre en cause le code du travail alors qu’il a fallu se battre pendant des années, ce n’est pas admissible. Ce parti est devenu un « alimentaire », si on retire tous ceux qui sont élus, tous ceux qui ont des responsabilités, il ne reste plus grand monde comme adhérent. Pour les régionales, je m’investirai sûrement pour la liste de Sandrine Rousseau (EEVL). Je ne voterai pas socialiste, ni au premier ni au second tour » :
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*Un effritement progressif : les défaites d’élection en élection *
Et ce rejet du gouvernement s’est traduit par des sanctions dans les urnes rapidement après le début du mandat de François Hollande. Ainsi, aux élections départementales en mars dernier, les candidats du FN avaient obtenu 34,2% des voix dans les deux régions, et à peu près le même score aux européennes de 2014.
La gauche a aussi fait face à une vague bleue, une forte poussée de la droite : elle a perdu de nombreuses villes, comme Roubaix ou Tourcoing, ont basculé aux dernières municipales, ainsi que l’agglomération lilloise et le symbolique département du Nord. Détenant 21 des 22 régions, la gauche ne peut donc qu’en perdre aux futures élections au vu des précédents résultats.

Jean-René Lecerf est le nouveau président Les Républicains du conseil départemental du Nord. Il considère que la gauche lui a quasiment donné le département.
***Je sais que ma victoire, l’amplitude de ma victoire, est liée a des divisions profondes de la gauche, puisque j’avais en face de moi un candidat socialiste, un écologiste, un communiste, dans un scrutin où on sait que la participation est limitée. ***
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Pour ces élections régionales, à nouveau, la gauche est divisée et présente trois listes. Sandrine Rousseau, la candidate écologiste argue que cela peut donner envie aux électeurs, comme Jean-Pierre Desquiens, déçus du socialisme d’aller voter.
C’est aussi ce que croit Jean-François Caron, candidat écologiste et maire de Loos-en-Gohelle .
Pour lui, l’effritement de la gauche s’explique surtout par un « logiciel » périmé des élus.
« On était dans une société encadrée par les houillères, dans le bassin minier on tenait (les ouvriers) par les logements gratuits et les stades de foot, alors les élus communistes ou socialistes ont développé une posture de résistants, d’élus grandes gueules, tribuns, qui défendaient les mineurs. Mais les houillères ont fermé et on ne peut pas boxer dans le vide, ni rester dans une logique d’encadrement de la société. On a besoin de développeurs. »

Il est convaincu que la gauche ne mourra pas si les élus se transforment en « animateurs » .
Ils doivent ainsi responsabiliser les habitants de leur ville, les rendre acteurs : à Loos, l’association de marche nordique nettoie le terril, les paroissiens aident à entretenir l’église et ses panneaux photovoltaïques, les agriculteurs aident à déneiger les routes.
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Des pratiques qui semblent inspirer en partie Martine Filleul. La nouvelle secrétaire de la puissante fédération PS du Nord depuis juin dernier, reconnaît que le Parti socialiste doit changer des pratiques qui ont conduit à son affaiblissement, en allant notamment vers plus de démocratie participative.

C’est vrai que nous sommes à un tournant de la vie du PS. C’est un défi, il faut aller chercher de nouveaux adhérents en faisant la preuve qu’on est capable d’animer le débat au delà de nos rangs, de faire vivre le débat politique car les citoyens veulent être mis à contribution. Il faut que l'on réussisse à faire vivre la démocratie participative. Par exemple, (à la fédération du Nord nous allons avoir, ndlr) une université permanente pour accueillir des universitaires, des proches du PS et pour construire ensemble le débat politique.
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Les « affaires » et l’abandon des classes ouvrières
Une co-construction donc, pour regagner, en creux, la confiance des adhérents et des citoyens. Car l’effritement de la gauche dans la région et plus particulièrement du PS est aussi liée aux nombreuses affaires qui ont entaché une classe politique par ailleurs peu renouvelée.
Par exemple, en janvier 2014, Jean-Pierre Kucheida, l’ancien député-maire socialiste de Liévin (Pas-de-Calais) a été mis en examen pour des faits de corruption présumée au sein de la fédération PS du Pas-de-Calais. Gérard Dalongeville, l’ancien maire socialiste d’Hénin Beaumont, ville aujourd’hui dirigée par le frontiste Steeve Briois, a été condamné à trois ans de prison ferme pour détournement de fonds publics.

Une défiance renforcée par le fait que le PS mais aussi le PC se sont peu à peu éloignés des classes populaires dans une région qui a toujours été de tradition ouvrière.
Pour Jean-Pierre Delannoy, ancien président emblématique de l'Union des syndicats et travailleurs de la métallurgie CGT du Nord - Pas-de-Calais, la gauche s’est détachée peu à peu du monde du travail.
***J’ai quitté le PC à la fin des années 90 (…) Je voyais déjà coupure entre la base et le politique. Or un parti ne peut pas être qu’un parti d’élus. Ses propositions doivent reposer avant tous sur les revendications du le monde du travail. Aujourd’hui le PC semble prêt à ce rapprochement, ils m’ont proposé d’être en position d’élu sur une liste, je dis ‘chiche’. ***
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La déception à l'égard du Parti socialiste se retrouve également dans vos contributions laissées sur notre page Facebook et via notre compte Twitter @FcPixel :
Si les classes ouvrières ont été délaissées, la gauche de la région n’a pas semblé oublier les artistes de la région. Le Nord-Pas-de-Calais est l’une des régions les moins bien dotées en terme financier mais les élus de gauche n’ont cessé de promouvoir la culture et les artistes depuis Pierre Mauroy.

Selon Bruno Lajara, metteur en scène, artiste engagé et élu au conseil municipal d’Arras et de la communauté urbaine sur une liste citoyenne :**
La volonté politique culturelle est là. Daniel Percheron (actuel président de la région Nord Pas de Calais, ndlr) a tout fait pour que le Louvre-Lens existe. Mais les milieux artistiques eux se détournent de la gauche. Je pense que le conflit des intermittents a laissé des traces et que la précarisation de la profession incite l’électorat naturel du PS à aller, non pas vers l’extrême droite, mais vers la liste de Sandrine Rousseau.**
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Le Nord-Pas-de-Calais-Picardie : une région à part dans le paysage français
Alors, si la désaffection des artistes pour le parti socialiste ou le désaveu de la politique nationale se retrouvent à l’échelle de la France, la région Nord-Pas-de-Calais - Picardie est tout de même à part, comme l’explique Frédéric Sawicki, professeur de sciences politiques à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne :

« C’est une région où la part de l’électorat populaire est l’une des plus fortes de France. Ces catégories là sont les plus confrontées au chômage, sont sceptiques à l’égard de la mondialisation, on l’a vu avec le Non au référendum sur le traité européen qui l’a largement emporté en 2005. Les risques par rapport au Front national sont donc maximisés, par rapport à d’autres régions où la structure de la gauche leur permettra de mieux résister comme en Languedoc Roussillon-Midi-Pyrénées ou en Bretagne. Tout ici est réuni pour que la sanction (aux régionales) soit plus forte qu’ailleurs. »
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Cette carte de l’effondrement de la gauche dans le Nord-Pas-de-Calais présente les résultats aux dernières élections départementales (mars 2015) et les principales municipalités passées de gauche à droite aux élections municipales de 2014.
*Survolez ou cliquez sur les cantons pour obtenir des informations précises concernant les résultats des élections (% d’abstention, élus…), circulez dans la carte, zoomez ou dézoomez avec le bouton +/- : *
Mode d’emploi des élections régionales
Les élections régionales se dérouleront les 6 et 13 décembre prochain et ce seront les dernières avant la présidentielle de 2017.
C’est un scrutin à *_la proportionnelle à deux tours avec prime majoritaire _*. Au 1er tour, la liste qui obtient la majorité absolue des suffrages (la moitié des voix plus une voix) obtient automatiquement le quart des sièges à pourvoir. Le reste est réparti entre toutes les listes, y compris la majoritaire, proportionnellement au score obtenu. Seules celles ayant fait plus de 5% peuvent obtenir des sièges.
Pour se maintenir au second, si aucune liste n'obtient la majorité absolue, une liste doit avoir obtenu au moins 10% des suffrages. Les listes peuvent être modifiées ou fusionner avec celles qui ont obtenu au moins 5% des suffrages. Si personne n'obtient la majorité absolue, la liste qui obtient le meilleur score remporte un quart des sièges. Le reste est réparti selon le score de chaque liste.
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