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« Le Retour des absents » de la seconde guerre mondiale, vu par les archives de l’AFP

portfolio Entre le printemps et l’hiver 1945, quelque deux millions de Français sont rapatriés du Reich : « Le grand retour des absents » raconte l’histoire d’un retour difficile et leur rend un vibrant hommage.

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Publié le 14 octobre 2015 à 18h24, modifié le 15 octobre 2015 à 17h30
  • "De l’analyse de ce cliché jaillit la tension et la gêne qu’engendre le retour des prisonniers de guerre. Au centre, un soldat se prête, l’air résigné, à une mise en scène à sa sortie de la gare du Nord. Il est engoncé dans l’uniforme de la débâcle. Sa capote est défraîchie, son calot fatigué. Pour valise, un carton ceint d’une ficelle pend à un bras. L’autre est pris par un soldat rayonnant. Lui n’est pas libéré, mais libérateur. C’est un combattant de l’armée française de la victoire. Il arbore un battle-dress « austerity pattern » britannique. A la virilité en berne de l’homme à la moustache tombante, la sienne, conquérante, s’impose à notre regard. Derrière eux, des femmes et des hommes se sont massés. Ils nous regardent, peut-être inconscients de la cruauté du spectacle qui nous est donné à voir."

    Paris, avril 1945

    "De l’analyse de ce cliché jaillit la tension et la gêne qu’engendre le retour des prisonniers de guerre. Au centre, un soldat se prête, l’air résigné, à une mise en scène à sa sortie de la gare du Nord. Il est engoncé dans l’uniforme de la débâcle. Sa capote est défraîchie, son calot fatigué. Pour valise, un carton ceint d’une ficelle pend à un bras. L’autre est pris par un soldat rayonnant. Lui n’est pas libéré, mais libérateur. C’est un combattant de l’armée française de la victoire. Il arbore un battle-dress « austerity pattern » britannique. A la virilité en berne de l’homme à la moustache tombante, la sienne, conquérante, s’impose à notre regard. Derrière eux, des femmes et des hommes se sont massés. Ils nous regardent, peut-être inconscients de la cruauté du spectacle qui nous est donné à voir." AFP

  • Gare de l’Est. Paris, avril 1945

    "Photographie singulière d’un homme, un prisonnier de guerre, qu’un photographe a voulu rendre singulier car détaché de la masse de centaines de milliers d’autres soldats rapatriés en France au printemps 1945. Et voilà que le soldat inconnu, ancien combattant d’une guerre qu’il n’a pas faite, pris dans la débâcle de 1940, nous apparaît seul. Un homme solitaire. Personne ne vient l’accueillir. Peut-être son foyer s’est-il brisé durant une si longue absence… L’image a révélé un envers, enfoui en elle, du retour de l’absent." AFP

  • "Le 1er juin 1945, le caporal Jules Garron atterrit à l’aérodrome du Bourget à bord d’un avion américain.  Il est le millionième français rapatrié. Pourquoi avoir choisi un prisonnier de guerre pour incarner le « millionième » dans cette opération de communication ? Les prisonniers de guerre sont un enjeu politique d’importance. Les autorités avaient aussi retenu un résistant déporté mais comme second rôle.  Mais le « millionième + un » restera invisible. La presse de l’époque n’en soufflera mot, et il sera escamoté dans les prises de vue. Il s’agit d’un pédiatre strasbourgeois, le grand résistant Albert Rohmer."

    Paris, 1er juin 1945

    "Le 1er juin 1945, le caporal Jules Garron atterrit à l’aérodrome du Bourget à bord d’un avion américain. Il est le millionième français rapatrié. Pourquoi avoir choisi un prisonnier de guerre pour incarner le « millionième » dans cette opération de communication ? Les prisonniers de guerre sont un enjeu politique d’importance. Les autorités avaient aussi retenu un résistant déporté mais comme second rôle. Mais le « millionième + un » restera invisible. La presse de l’époque n’en soufflera mot, et il sera escamoté dans les prises de vue. Il s’agit d’un pédiatre strasbourgeois, le grand résistant Albert Rohmer." AFP

  • "Les plans initiaux ne l’avaient pas prévu ainsi, mais c’est vers Paris que convergent les « absents ». L’opération du grand retour est conçue comme un double exercice de l’Ecole de guerre et d’un  bureau d’étude fordien de travail à la chaîne. Les prisonniers de guerre sont acheminés vers le centre d’Orsay, où ils sont pris en main dans la gare réaménagée à la hâte : désinfection, rasage, interrogatoire de sécurité, distribution de papiers et remise d’un pécule."

    Paris, avril 1945 - mai 1945

    "Les plans initiaux ne l’avaient pas prévu ainsi, mais c’est vers Paris que convergent les « absents ». L’opération du grand retour est conçue comme un double exercice de l’Ecole de guerre et d’un bureau d’étude fordien de travail à la chaîne. Les prisonniers de guerre sont acheminés vers le centre d’Orsay, où ils sont pris en main dans la gare réaménagée à la hâte : désinfection, rasage, interrogatoire de sécurité, distribution de papiers et remise d’un pécule." AFP

  • "Le 2 juin 1945, des dizaines de milliers d’ex-prisonniers de guerre s’époumonent sur le grand axe symbolique de Paris, les Champs-Elysées. Ils s’estiment mal dotés pour leur retour : pas de vêtements, un pécule dérisoire… Le coupable à leurs yeux est Henri Frenay, le ministre des prisonniers, déportés et réfugiés. On crie 'Frenay au Poteau', et pire encore."

    Paris, 2 juin 1945

    "Le 2 juin 1945, des dizaines de milliers d’ex-prisonniers de guerre s’époumonent sur le grand axe symbolique de Paris, les Champs-Elysées. Ils s’estiment mal dotés pour leur retour : pas de vêtements, un pécule dérisoire… Le coupable à leurs yeux est Henri Frenay, le ministre des prisonniers, déportés et réfugiés. On crie 'Frenay au Poteau', et pire encore." AFP

  • "Le général de Gaulle ne s’est déplacé qu’une fois pour le retour des absents. On le voit ici accueillir à la gare de Lyon le premier convoi ferroviaire rapatriant des femmes déportées du camp de Ravensbrück. Sa main va à la rencontre de la main de l’une d’entre elles. 

Il n’ira pas saluer des prisonniers de guerre, pour qui il ne cache pas en privé une forme de mépris, et ne recevra que des déportés résistants. « Eux, et eux seuls ont été les gardiens de l’honneur et les témoins du courage », écrit Albert Camus dans 'Combat'. Gaullistes et communistes, aux lectures idéologiques et visées politiques opposées, les hisseront dès leur retour tout en haut de la hiérarchie des revenants dans laquelle les juifs restent hors champ."

    Paris, 14 avril 1945

    "Le général de Gaulle ne s’est déplacé qu’une fois pour le retour des absents. On le voit ici accueillir à la gare de Lyon le premier convoi ferroviaire rapatriant des femmes déportées du camp de Ravensbrück. Sa main va à la rencontre de la main de l’une d’entre elles. Il n’ira pas saluer des prisonniers de guerre, pour qui il ne cache pas en privé une forme de mépris, et ne recevra que des déportés résistants. « Eux, et eux seuls ont été les gardiens de l’honneur et les témoins du courage », écrit Albert Camus dans 'Combat'. Gaullistes et communistes, aux lectures idéologiques et visées politiques opposées, les hisseront dès leur retour tout en haut de la hiérarchie des revenants dans laquelle les juifs restent hors champ." AFP

  • "Figure de la politique culturelle du Front populaire, administrateur général de la Bibliothèque nationale, Julien Cain revient du camp de Buchenwald où il a été déporté après avoir été révoqué et persécuté par Vichy. 'Nos pensées sont sans cesse tournées vers la France dont le souvenir ne nous a jamais quittés. Je dirai un jour ce que fut notre captivité dans ce camp maudit organisé pour l'extermination', dit ce grand intellectuel. Il fait partie d’un premier groupe de personnalités, y compris des communistes qui jouèrent un rôle clef dans le camp, rapatriées par vols spéciaux sur le Bourget."

    Le Bourget, 15 avril

    "Figure de la politique culturelle du Front populaire, administrateur général de la Bibliothèque nationale, Julien Cain revient du camp de Buchenwald où il a été déporté après avoir été révoqué et persécuté par Vichy. 'Nos pensées sont sans cesse tournées vers la France dont le souvenir ne nous a jamais quittés. Je dirai un jour ce que fut notre captivité dans ce camp maudit organisé pour l'extermination', dit ce grand intellectuel. Il fait partie d’un premier groupe de personnalités, y compris des communistes qui jouèrent un rôle clef dans le camp, rapatriées par vols spéciaux sur le Bourget." AFP

  • "Les autorités vont réquisitionner tardivement le Lutetia, le grand hôtel de la rive gauche pour accueillir les déportés politiques et 'raciaux', selon l’appellation de l’époque. Mais le flou et l’opacité se font sur les quelque 3 000 rescapés juifs des camps d’extermination. Ils ne sont jamais explicitement distingués dans ces photographies qui montrent des arrivées en bus, des groupes de déportés assis dans des salles d’accueil ou regardant des fiches de « disparus » sur les murs. Images icônes du retour de déportation, images victimes, et ceux qu’elles représentent, de mésusages au fil des ans."

    Paris, mai ou juin 1945

    "Les autorités vont réquisitionner tardivement le Lutetia, le grand hôtel de la rive gauche pour accueillir les déportés politiques et 'raciaux', selon l’appellation de l’époque. Mais le flou et l’opacité se font sur les quelque 3 000 rescapés juifs des camps d’extermination. Ils ne sont jamais explicitement distingués dans ces photographies qui montrent des arrivées en bus, des groupes de déportés assis dans des salles d’accueil ou regardant des fiches de « disparus » sur les murs. Images icônes du retour de déportation, images victimes, et ceux qu’elles représentent, de mésusages au fil des ans." AFP

  • "Qui sont les deux personnages qui figurent dans une composition en pyramide sur un cliché non légendé des archives de l’AFP ? Assis dans le fauteuil, le regard de l’enfant impose un obsédant face-à-face. Une longue quête me permet d’affirmer qu’il s’agit de deux rescapés juifs d’Auschwitz photographiés au Lutetia. L’adolescent, né en Pologne, s’appelle Zenek Yehuda Schwarzbaum. Ses parents et ses deux petits frères ont péri à Birkenau. Le jeune homme, d’origine viennoise, se nomme Eric Breuer. Ses parents, capturés à Nice par des miliciens français, ont aussi été assassinés à Auschwitz. C’est dans un petit camp près de Stuttgart qu’ils se rencontreront après leur évacuation vers l’ouest par les nazis. Eric prend sous sa protection le petit Zenek. Retrouvées, leurs familles entremêlent leur récit dans le livre."

    Paris, mai ou juin 1945

    "Qui sont les deux personnages qui figurent dans une composition en pyramide sur un cliché non légendé des archives de l’AFP ? Assis dans le fauteuil, le regard de l’enfant impose un obsédant face-à-face. Une longue quête me permet d’affirmer qu’il s’agit de deux rescapés juifs d’Auschwitz photographiés au Lutetia. L’adolescent, né en Pologne, s’appelle Zenek Yehuda Schwarzbaum. Ses parents et ses deux petits frères ont péri à Birkenau. Le jeune homme, d’origine viennoise, se nomme Eric Breuer. Ses parents, capturés à Nice par des miliciens français, ont aussi été assassinés à Auschwitz. C’est dans un petit camp près de Stuttgart qu’ils se rencontreront après leur évacuation vers l’ouest par les nazis. Eric prend sous sa protection le petit Zenek. Retrouvées, leurs familles entremêlent leur récit dans le livre." AFP

  • Buchenwald, Avril 1945

    "Pour une énigme résolue sur pellicule, et des vies réanimées, combien n’ont pu l’être ! Au camp de Buchenwald, un enfant survivant est entouré de déportés résistants français. Parmi eux, Camille Sautereau, identifiable grâce à son numéro matricule cousu sur la veste. Mais l’enfant juif, qui est-il ? Le Musée mémorial de l’holocauste à Washington a mis en ligne 1 100 photographies d’enfants prises immédiatement après la seconde guerre mondiale, notamment en France, par diverses organisations afin de pouvoir retrouver leurs parents ou des membres de leurs familles qui auraient survécu. Un tiers d’entre eux ont déjà été identifiés grâce au projet Remember me." ERIC SCHWAB / AFP

  • " 'Depuis huit jours que j’ai touché à nouveau le sol de la France,  j’avoue que je suis plein de déception… J’ai l’impression de me retrouver au milieu d’un pays, comment dire, corrompu.' Il ne faudra qu’une semaine pour que Léon Blum, l’homme qui incarne le Front populaire, se laisse aller à une sorte de désenchantement. 

Revenons au 14 mai 1945 sur le tarmac de l’aéroport d’Orly. Blum revient à Paris, à l’issue d’une longue détention à la lisière du camp de concentration de Buchenwald. Sa femme est à ses côtés, dit la légende originale du cliché de l’AFP. Il s’agit en réalité de sa belle-fille Renée et de sa petite-fille, Catherine. Janot, qu’il a épousée à Buchenwald, est absente. Ils ont décidé de ne pas apparaître ensemble à l’heure du grand retour. Il y a le refus de l’exhibitionnisme médiatique, de la confusion des genres privé et politique, qui est aujourd’hui la règle. D’autres raisons sont explorées dans le livre."

    Orly, 14 mai 1945

    " 'Depuis huit jours que j’ai touché à nouveau le sol de la France, j’avoue que je suis plein de déception… J’ai l’impression de me retrouver au milieu d’un pays, comment dire, corrompu.' Il ne faudra qu’une semaine pour que Léon Blum, l’homme qui incarne le Front populaire, se laisse aller à une sorte de désenchantement. Revenons au 14 mai 1945 sur le tarmac de l’aéroport d’Orly. Blum revient à Paris, à l’issue d’une longue détention à la lisière du camp de concentration de Buchenwald. Sa femme est à ses côtés, dit la légende originale du cliché de l’AFP. Il s’agit en réalité de sa belle-fille Renée et de sa petite-fille, Catherine. Janot, qu’il a épousée à Buchenwald, est absente. Ils ont décidé de ne pas apparaître ensemble à l’heure du grand retour. Il y a le refus de l’exhibitionnisme médiatique, de la confusion des genres privé et politique, qui est aujourd’hui la règle. D’autres raisons sont explorées dans le livre." AFP

  • Paris, 7 juillet 1945

    "Au premier regard, on ne peut être qu’être frappé par la puissance symbolique du maillage de verticales et d’horizontales de la tenue d’un déporté, la croix et la tour Eiffel dressée vers le ciel. Il s’agit de la représentation inédite d’un événement oublié : la messe organisée au Palais de Chaillot à l’été 1945 par une hiérarchie catholique à la réputation entachée par la compromission avec le régime de Vichy. L’Eglise déploie son savoir-faire cérémoniel dans ce lieu profane. Exercice difficile, exercice ambigu car elle se refuse à tout mea culpa. Vu ici de dos, le révérend-père Michel Riquet a été opportunément chargé de prononcer une homélie. Résistant déporté, survivant de Mauthausen et de Dachau, il deviendra un grand prédicateur de l’après-guerre." AFP

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C’est la fin de la seconde guerre mondiale : des prisonniers de guerre, des déportés politiques et des juifs, ou des travailleurs dans les terres du Reich, sont rapatriés en France. Le Retour des absents (Ed. Stock), par Alain Navarro, raconte l’Histoire, en un puzzle d’histoires singulières.

« Je me suis plongé dans la représentation photographique de cet événement capital pour la France avec l’idée que des images de séquences et de destins jouaient un rôle essentiel de catalyseur », confie l’auteur de l’ouvrage, journaliste à l’Agence France-Presse. Il commente une sélection d’images – documents rares ou inédits provenant des archives de l’AFP et replacés dans le contexte de l’après-guerre.

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