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Mémoire

Le difficile hommage aux 40 000 «fous» morts sous Vichy

Après plusieurs mois de travail, ce sont enfin les dernières finitions du rapport sur les handicapés mentaux morts de faim entre 1941 et 1945 . L'historien Jean-Pierre Azéma, fin connaisseur du régime de Vichy, y propose ses conseils sur l'hommage à rendre et l'interprétation de l'histoire. Volonté eugéniste ou drame de l'époque ? La communauté scientifique reste très partagée.

A Berlin, le monument à la mémoire des handicapés mentaux exterminés en Allemagne sous le régime nazi.
A Berlin, le monument à la mémoire des handicapés mentaux exterminés en Allemagne sous le régime nazi. Wikimedia/Petrusbarbygere
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Entre 1941 et 1945, plusieurs dizaines de milliers de handicapés mentaux sont décédés dans les établissements hospitaliers français. La plupart des historiens s'accorde pour un chiffre situé entre 40 000 et 50 000 personnes, mortes de faim et d'épuisement.

Depuis 1987 et la publication de l'ouvrage du psychiatre Max Lafont (L'extermination douce), ce drame est aussi devenu une polémique chez les scientifiques. L'auteur, très contesté sur sa méthodologie, dénonce alors la responsabilité du régime de Vichy qu'il accuse d'avoir voulu exterminer les malades mentaux. A l'époque, il va jusqu'à parler de « génocide ». Plus récemment, l'anthropologue Charles Gardou a lancé en novembre 2013 une pétition pour réclamer un « mémorial en hommage aux personnes handicapées victimes du régime nazi et de Vichy ». Signée par 80 000 personnes, dont de nombreuses personnalités, elle a obtenu une réponse du président François Hollande.

Cette thèse a largement été dénoncée par Isabelle von Bueltzingsloewen dans un livre écrit en 2007. Pour elle, il ne faut pas parler de génocide, mais d'un abandon de ces personnes à la faim. Rien de comparable avec la campagne d'extermination des nazis en Allemagne, baptisée « Aktion T4 », qui a vu assassiner des dizaines de milliers de handicapés mentaux (Nuremberg a retenu le chiffre de 275 000 victimes) aussi bien par la chambre à gaz que par l'affamement. De nombreux historiens la rejoignent, dont Jean-Pierre Azéma lui-même, et réclament régulièrement que l'on ne mélange pas vérité historique et bons sentiments.

Aucun élément ne permet d'incriminer Vichy

Pour les historiens, rien ne laisse en effet penser que Vichy ait encouragé la mort de ces malheureux. A l'époque, les handicapés mentaux, que l'on qualifie alors de « malades », sont soumis au rationnement comme toute la population. Considérés comme des personnes de catégorie A, « adultes non travailleurs de force », ils ont droit à 1 200 calories par jour. A peine deux tiers du nécessaire pour survivre. Mais contrairement aux nombreux Français dans la même situation, ces gens ne peuvent chercher à compléter le menu puisqu'ils sont enfermés dans des établissements hospitaliers.

Nombreux sont ceux qui se sont mobilisés pour tenter de les sauver. Le personnel hospitalier, notamment, a fait son possible pour obtenir les rations nécessaires ou pour détourner des vivres à leur profit. Isabelle von Bueltzingsloewen note ainsi dans son ouvrage qu'à partir de décembre 1942, ils obtiennent enfin des ministères de l'Agriculture et du Ravitaillement des compléments de rationnement.

« Jusqu'à preuve du contraire, résume l'historien de la psychiatrie Michel Caire, rien ne permets de penser que l'Etat français ait eu l'intention d'éliminer les gens internés dans les hôpitaux psychiatriques. Il y a quelques traces qui montrent que certains s'en sont satisfaits, un préfet ici, un médecin là... Mais ils restent très minoritaires. » « A l'époque, poursuit-il, je pense que les psychiatres et le personnel hospitalier ont fait dans l'ensemble tout ce qu'ils pouvaient pour sauver leurs malades. Même ceux qui étaient d'extrême droite ou qui ont fait de belles carrières sous Vichy. » C'est ainsi qu'il comprend le rapport Azéma, dont il a pu consulter une version : le régime de la France occupée n'a tout simplement pas eu de politique sur la psychiatrie et il ne faut pas distinguer les victimes au sein des populations les unes des autres.

La spécificité des personnes fragiles

Pourtant, pour Michel Gardou, la démarche est riche de sens. L'anthropologue à l'origine de l'initiative persiste et signe de nouveau : la fragilité de ces gens abandonnés à leur sort est une problématique particulièrement importante. Comment avons-nous pu, à l'époque, les laisser mourir de faim ? Dans les archives, on retrouve des documents d'un pragmatisme effrayant qui réclament des médecins de faire des choix sur les malades à sauver ou qui justifient l'absence de ravitaillement par l'urgence de la situation : tout le monde a faim... donc on favorise « les éléments actifs de la population, en particulier les enfants et les travailleurs ».

« Je ne me positionne pas en historien, rappelle Charles Gardou. Je suis anthropologue. » Pour lui, l'absence de réaction de Vichy, ou tout du moins sa lenteur, rend le régime responsable. Rappelant régulièrement les idéologies eugénistes de cette époque, il espère que l'on puisse honorer la mémoire de ces êtres fragiles, qui continue de nous questionner aujourd'hui. Un geste mémoriel devrait être fait en ce sens par les plus hautes autorités de l'Etat, entre la fin de cette année et le début de l'année 2016.

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