Législatives sans les Frères musulmans, une première en 30 ans
Pour la première fois en 30 ans, les législatives qui s'ouvrent ce dimanche en Egypte se joueront sans les Frères musulmans, principale force d'opposition interdite et réprimée depuis 2013.
Le président Abdel Fattah al-Sissi, l'ex-chef de l'armée qui a destitué son prédécesseur islamiste Mohamed Morsi en juillet 2013, avait promis d'« éradiquer » ce mouvement confessionnel vieux de près de 90 ans et qui remporta en 2012 les législatives et la présidentielle, les premiers scrutins libres et démocratiques en Égypte.
Dès la destitution de M. Morsi, issu de leurs rangs, les Frères musulmans ont été la cible d'une répression sanglante : plus de 1 400 manifestants pro-Morsi ont été tués, et plus de 15 000 membres ou sympathisants de la confrérie, dont la quasi-totalité de ses dirigeants, ont été emprisonnés comme le chef de l'État déchu.
La confrérie a été décrétée « organisation terroriste »
Plusieurs centaines d'entre eux, dont M. Morsi, ont été condamnés à mort dans des procès de masse expéditifs vivement dénoncés par l'ONU. La confrérie a été décrétée « organisation terroriste » fin 2013 et sa branche politique, le Parti Liberté et Justice, interdite.
« Les Frères musulmans resteront à l'extérieur du jeu politique tant que Sissi sera au pouvoir », estime Hazem Hosni, professeur de sciences politiques à l'Université du Caire. « Les Frères et le régime sont allés trop loin » dans la confrontation, ajoute-t-il.
Même s'ils étaient officiellement interdits sous le régime Hosni Moubarak, chassé du pouvoir en 2011 par une révolte populaire, les Frères musulmans étaient tolérés et avaient pu participer, sous différentes étiquettes, à toutes les élections législatives organisées depuis 1984, à l'exception de celles de 1990.
Retour à la clandestinité
La chute est d'autant plus dure que la confrérie avait connu une ascension fulgurante après la révolte de 2011, grâce à une efficace machine électorale lentement élaborée sous Moubarak.
Les Frères musulmans contrôlaient 44 % des sièges de l'Assemblée élue démocratiquement fin 2011 mais dissoute en juin 2012 par la Haute cour constitutionnelle qui avait jugé la loi électorale contraire à la Constitution.
Et, dans une Égypte où, depuis la chute de la monarchie en 1952, le président était invariablement issu des rangs de l'armée, M. Morsi était devenu en 2012 le premier civil élu à la tête du plus peuplé des pays arabes.
Ce qui reste aujourd'hui de la confrérie est donc retourné à la clandestinité qui prévalait jusqu'au début des années 1980, mais il est « totalement exclu » que la répression conduise à « la disparition de l'organisation », estime le politologue Mustapha Kamel al-Sayyid.
Détérioration du niveau de vie de la classe moyenne
« Ce n'est pas la première fois que les Frères vivent une telle expérience », souligne l'analyste, en référence à la violente répression lancée contre les Frères musulmans par le président Gamal Abdel Nasser après une tentative d'assassinat en 1954.
Pour M. Sayyid, « les conditions qui ont conduit à l'apparition de la confrérie sont toujours d'actualité : la détérioration du niveau de vie de la classe moyenne, et le caractère attractif du slogan religieux » qui continue de plaire dans une partie de la société égyptienne conservatrice.
Et selon M. Hosni, les salafistes du parti Al-Nour, seule formation islamiste à se présenter aux élections, « jouent aujourd'hui un rôle semblable à celui des Frères : ils bénéficient d'un seuil de tolérance similaire à celui de la confrérie » sous Moubarak.
Les Frères « reviendront »
Al-Nour, qui avait soutenu l'éviction de M. Morsi et ne cache pas son soutien au président Sissi, présentera près de 200 candidats aux législatives qui s'ouvrent dimanche et s'étaleront sur un mois et demi, a indiqué à l'AFP son vice-président Ashraf Thabet.
En 2012, la formation représentait la deuxième force du Parlement, contrôlant plus de 22 % des sièges. Aujourd'hui, le parti n'en n'espère pas tant. « Il y a un changement dans les inclinations de l'électeur égyptien, en raison de la situation politique », analyse M. Thabet. Al-Nour ne disputera qu'un tiers des sièges, contre 95 % en 2012.
Toujours est-il que pour M. Hosni, les Frères musulmans « reviendront sur la scène politique, même si ça leur prend des années ».