Médecine

Palper virtuellement le cerveau pour détecter Alzheimer

Une nouvelle méthode d’imagerie se révèle capable de localiser des zones plus ou moins dures dans le cerveau. Elle pourrait être utile pour détecter les tumeurs ou les maladies neurodégénératives, telles que la maladie d’Alzheimer.

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Est-ce le début de la sismologie cérébrale ? C’est en tout cas des techniques utilisées par les sismologues que s’est inspirée l’équipe de Stefan Catheline, de l’Inserm, pour élaborer une nouvelle méthode d’imagerie, qui vise à mesurer les variations d’élasticité à travers le cerveau. Ces informations, habituellement recueillies par palpation dans les autres régions du corps, sont précieuses pour le diagnostic de diverses maladies.

La palpation est utilisée depuis l’Égypte antique pour détecter des anomalies physiologiques. Aujourd’hui, elle permet par exemple de repérer des zones plus dures qui correspondent à des tumeurs. Depuis le début des années 2000, des méthodes de palpation virtuelle, plus précises et accédant plus en profondeur dans le corps, sont disponibles. Le principe est de créer une petite vibration à la surface de la peau et d'analyser sa propagation par des techniques d’imagerie (telle l’échographie par ultrasons). On remonte ainsi aux propriétés mécaniques des différents tissus, la vitesse de propagation étant d’autant plus grande que le tissu est dur. Ces méthodes, moins invasives que les prélèvements de tissu, ont fait leur preuve dans plusieurs cas, par exemple pour détecter les stades précoces de la cirrhose du foie.

Elles sont cependant difficiles à appliquer au cerveau, qui est isolé de l’extérieur par le crâne et le liquide céphalorachidien. On y parvient tout de même, mais au prix de vibrations assez fortes, qui véhiculent une grande énergie acoustique. L’examen est désagréable tant pour le patient, qui ressent les vibrations dans sa tête – même si elles sont sans danger –, que pour le médecin, à cause du bruit. En outre, la précision est faible. En conséquence, cette technique reste confinée aux laboratoires et n'est pas utilisée pour des examens cliniques de routine.

Les chercheurs se sont donc inspirés d’une autre discipline où regarder en profondeur à l’intérieur d’un corps opaque et rigide est coutumier : la sismologie. Les sismologues ont aussi longtemps été confrontés à la rareté des ondes sismiques, insuffisantes pour y voir clair. En effet, la sismologie ne disposait traditionnellement que des ondes engendrées par les tremblements de terre, qui se propagent à l’intérieur de la planète d’une façon caractéristique des structures rencontrées. Mais la rareté et la répartition inégale des séismes ont poussé des chercheurs tels que Michel Campillo, de l’institut des sciences de la Terre, à Grenoble (avec qui Stefan Catheline a travaillé plusieurs années), à s’intéresser aussi au « bruit sismique ». Ce dernier résulte des innombrables sources qui font faiblement vibrer le sol, comme le choc des vagues sur la côte.

Pour rendre ce bruit exploitable, les sismologues ont dû développer de puissantes méthodes d’analyse du signal, fondées sur des corrélations. L’idée générale est qu’une même source produit des vibrations en tous points de la Terre, mais qui seront décalées dans le temps en fonction de l’éloignement à la source et des structures traversées par les ondes. En analysant les ressemblances entre les vibrations du sol mesurées en différents endroits de la surface et à différents moments, on peut remonter aux propriétés de ces structures.

Le cerveau aussi est agité d’un bruit sismique, car la pulsation du sang dans les artères et la circulation du liquide céphalorachidien y créent de multiples vibrations naturelles, dont l’amplitude peut aller jusqu’au millimètre. Les chercheurs ont mesuré ce bruit grâce à l’imagerie par résonance magnétique (IRM) : en prenant une image de l’intérieur du cerveau toutes les secondes et demi, ils ont partiellement reconstitué ses vibrations – un peu comme on reconstruit un mouvement à partir d’une série de photographies. Ils ont ensuite calculé l’élasticité des zones traversées par les « ondes sismiques cérébrales » en établissant les corrélations entre les déplacements des différents points du cerveau, grâce aux algorithmes mathématiques utilisés en sismologie. La méthode est même encore plus précise que celle des sismologues, car l’IRM donne des informations dans tout le volume du cerveau – un peu comme si la Terre était truffée d’accéléromètres !

Les chercheurs ont d’abord validé leur méthode sur un matériau d’élasticité connue, puis chez deux volontaires humains. Ils ont obtenu des valeurs en accord avec les méthodes actives, fondées sur des vibreurs. Il existait tout de même quelques différences, qui restent à expliquer. En outre, de nombreux essais précliniques et cliniques sont encore nécessaires pour prouver l’efficacité de la méthode, et des tests sur des animaux sont déjà en cours.

Selon Stefan Catheline, la résolution (de quelques millimètres cube, soit celle des images IRM) est en tout cas déjà suffisante pour le diagnostic de diverses maladies. Plusieurs pathologies déclenchent en effet des modifications physiologiques qui changent probablement l’élasticité des tissus, même si cela reste à préciser, car très peu d’études ont mesuré ce paramètre dans le cerveau. « La maladie d’Alzheimer, la sclérose en plaques et les tumeurs impliquent des changements dans la dureté des tissus cérébraux », déclare ainsi le chercheur. Le diagnostic pourrait en outre être réalisé avec les appareils d'IRM déjà disponibles en clinique. Autre bénéfice : des mesures précises des propriétés mécaniques du cerveau permettraient d’améliorer les simulateurs sur lesquelles s’exercent les neurochirurgiens. Les « vibrations inexploitées qui emplissent les tissus vivants », pour reprendre la formulation des auteurs de l’étude, sont donc pleines de promesses…

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Guillaume Jacquemont

Guillaume Jacquemont est rédacteur à Cerveau & Psycho.

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Références

A. Zorgani et al., Brain palpation from physiological vibrations using MRI, PNAS, en ligne le 5/10/2015.

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