
VIEILLESSE - Les quinquagénaires sont sous les feux des médias, mais de manière clivée. Les uns aspirent à une sorte de post adolescence, les autres sont confrontés au vieillissement de leurs parents âgés dépendants, qu'ils accompagnent. Deux manières d'aborder la question générationnelle, deux façons de faire avec le souci de soi ou de l'autre. Ici, le clivage médiatique consiste à ne pas mettre en relation ces deux enjeux de la cinquantaine.
On connaissait les adulescents, ces jeunes adultes qui refusent de l'être, adulte, et dont le projet vise à étirer la post adolescence. Voici un nouveau mot, les "quincados", pour qualifier ces quinquas, parents par ailleurs, qui de plus en plus nombreux, se comportent comme des trentenaires: accros aux réseaux sociaux et aux voyages improvisés, des habits au langage, en passant par les loisirs, tout les assimile à des adolescents tardifs. Une vie au présent avec ce crédo: tout est encore possible. Comme le disait une patiente, il y a peu, le projet c'est: "faire encore ce que j'ai envie, quand j'en ai envie".
Ce phénomène générationnel concernant un nombre important de femmes, ce qui est nouveau, certains ont pu l'interpréter comme une forme moderne du démon de midi, dans sa version féminine. Mais pas seulement. En fait, pour ces "quincados", femmes et hommes, ce dont il s'agit à ce moment de l'existence, c'est moins de changer d'objet d'amour ou de désir, un changement censé donner un coup de jeune à la libido, qu'un retour à un ensemble de comportements et de valeurs qui traduisent un (ré)investissement et des identifications, adolescentes.
Qu'est-ce qui dans l'adolescence est à l'origine de cette attraction, de cette fascination actuelle individuelle autant que collective, les injonctions sociétales faisant feu de tout bois dans cette direction?
D'abord, il y a l'éclat adolescent, On entend par là ce brillant spéculaire du corps jeune, cette tentation de l'image plaisante qui aveugle, bref un miroir d'autant plus parfait qu'il est sous tendu par une nostalgie active. Miroir, miroir, suis-je toujours belle/beau? Pourtant c'est oublier l'autre sens du mot éclat, c'est-à-dire un fragment d'un corps morcelé, sens qui évoque le sentiment d'implosion identitaire et les inquiétudes troubles qui accompagnent plus ou moins intensément le passage adolescent. Cliniquement, on observe des demandes d'aide croissantes de quinquas en lien avec ces questionnements identitaires et ces incertitudes générationnelles.
Ensuite on parle, joliment d'ailleurs, de la promesse adolescente, ce temps d'une existence où l'avenir semble grand ouvert et où tous les devenirs nous tendent les bras. On comprend mieux l'objectif, plus ou moins inconsciemment, de ces comportements régressifs: Un retour vers un futur.
Or, que cachent-ils ces comportements, si ce n'est une peur de mûrir. Distinguons pour plus de clarté, d'un côté l'état de maturité toujours difficile à préciser car fluctuant *, et de l'autre côté, le processus de maturation, caractéristique essentielle du monde du vivant. A la fois peur de grandir et de vieillir, nous définirons cette peur de mûrir à la fois, par une crainte du temps et de ses effets et par une difficulté à s'engager dans sa propre existence. Et ce qu'on craint alors par-dessus tout, ce qu'on combat ou évite, individuellement et collectivement, ce sont les indices anxiogènes d'irréversibilité. Refus de l'irréversible, évitement de l'engagement, nostalgie des premières fois etc.
Or l'adolescence, vous vous souvenez, c'est bien cette période de vie où l'on ne se préoccupe pas des autres générations, ni des enfants, ni des vieux et surtout pas des adultes. Nous ne sommes alors qu'à moitié étonnés du peu d'intérêt de certains quinquagénaires à l'égard de leurs parents vieillissants.
Quincados vs Aidants familiaux?
Dans une belle unanimité, tous les médias ont mis en une la réalité au quotidien des aidants familiaux lors de la journée nationale, le 6 octobre dernier. Il était question de solidarité, de souci des ainés, mais aussi d'usure et de fardeau de l'aidant, un terme gérontologique.
Si tous ont plus ou moins la cinquantaine, pour les uns, bien vieillir serait de ne pas vieillir et pour les autres, il s'agirait d'accepter d'être impacté par le vieillissement des aînés. Entre ces positions tranchées, entre solidarité familiale ou épanouissement personnel, chacun doit se situer et en assumer le poids: des loyautés générationnelles ou celui d'un inévitable sentiment de culpabilité.
On s'en rend compte tous les jours, nous vivons dans une société intranquille, traversée et en même temps structurée par de nombreuses peurs et phobies. Ainsi, comme des poupées gigognes, la peur de mûrir recouvre celle de vieillir, laquelle éclipse celle de mourir.
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* D'autant qu'on y associe souvent la notion d'apogée, à laquelle succède inévitablement, le déclin. Oups, le mot qui tue!
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