Nos dix chansons fétiches de Bob Dylan, de “I Want you” à “Hurricane”

À l’occasion de la sortie d’“Un parfait inconnu”, biopic consacré aux jeunes années de la légende folk, découvez notre sélection concoctée par quelques dylanophiles plus ou moins convaincus de la rédaction.

Bob Dylan en 1961.

Bob Dylan en 1961. Photo Michael Ochs Archives/Getty Images

Par Le service musiques

Publié le 30 janvier 2025 à 14h09

Un biopic de plus ? Mais pas n’importe lequel. Timothée Chalamet joue un Bob Dylan plutôt coinvaincant dans Un parfait inconnu, de James Mangold. Une bonne occasion pour collecter, en toute spontanéité et subjectivité, auprès de quelques dylanophiles convaincus et autres amateurs occasionnels de la rédaction, leur titre fétiche pioché dans un répertoire qui n’offre que l’embarras du choix. Tant pis pour l’embarras, voici nos choix. Les vôtres sont, évidemment, les bienvenus.

“Don’t Think Twice, It’s All Right” (1962)

J’ai toujours relié Dylan aux utilisations de son œuvre dans les fictions, de Hurricane dans le film avec Denzel Washington à All Along the Watchtower dans la série Battlestar Galactica… Mais c’est Mad Men qui a pour de bon connecté sa musique à mes émotions. Une scène en particulier, qui referme la saison *. Elle se déroule le soir de Thanksgiving 1960. Don Draper rentre chez lui, dans la banlieue new-yorkaise. Il songe à retrouver sa famille… mais elle est partie. Il s’assoie seul sur les marches de sa maison vide alors que résonne Don’t think twice, it’s all right. Ses premiers mots renvoient sublimement au désarrois de Don : « Ça ne sert à rien de t’asseoir là et de te demander pourquoi… ». Ainsi a débuté une riche relation entre la série, Dylan (1)… et moi.  P.L.

* On entendra Song to Woody en saison 3, Peggy ira le voir en concert, et certains le verront même apparaître en personne dans la dernière saison.

“Positively 4th Street” (1965)

Celle-là parmi cent autres et rien que pour le jour où j’ai tenu entre les mains le 45-tours en papier mince, vert irlandais plus cette photo en noir et blanc trop connue. La chanson ne se trouvait nulle part, sauf sur un Greatest Hits. Elle provient des séances de Highway 61, on l’a non tant écartée de l’album que réservée pour un single. Elle porte tous les stigmates du Dylan 65 : elle est acide, elle grince, elle pique, elle est méchante. C’est sa paire de lunettes noires et sa maigreur et son arrogance. Paraît qu’on a su à qui elle s’adressait. Je ne veux pas le savoir. Je m’en fiche. Le Dylan de l’époque ne faisait pas exprès de se hausser au-dessus de la meute. Il était seul au monde. — F.G.

“I Want you” (1966)

En vrai, j’aime Dylan à moitié. J’aime ceux qui l’aiment. Alors, j’ai essayé, j’ai insisté. Une sur cinq me plaît vraiment. Mais celle-là... Coup de foudre immédiat dès que je l’ai entendue, vue, fantasmée. Pom pam pom pam des drums, l’harmonica hennit et en avant la chevauchée de guingois. Tohu-bohu enivrant, entraînant. Pour moi, ça carillonne, ça vibre, ça électrise, ça cavale à toute allure, des paysages défilent. C’est follement grisant et follement triste. Jamais entendu un nez qui chante aussi bien, jamais entendu quelqu’un me dire « his Chinese suit » avec tant de suavité. De quoi ça parle cette flèche musicale ? De désir, j’imagine. — J.M.

“Just like a woman” (1966)

Les grincheux vous diront que c’est la chanson de Dylan qu’apprécient les gens qui n’aiment pas Dylan. Les anglophiles ajouteront que le texte est sexiste, méchant, cynique – et ils n’ont pas forcément tort, même si les Zimmermanophiles argumenteront que Bob-la-malice y pratiquait surtout le second degré (ce qu’il n’a jamais confirmé, ou infirmé, précisant juste qu’il avait ficelé le texte à la dernière minute, en studio à Nashville, en mars 66). Oublions les querelles, et gardons l’essentiel : cette fascinante sensation de navire qui tangue, non pas parce que la coque est mal fichue (au contraire : la chanson est de structure méchamment classique, voire... bateau, comme l’instrumentation), mais parce que le capitaine a l’ivresse diablement émouvante, et la voix qui traîne plus joliment que jamais. Dylan a t-il mieux chanté dans sa vie ? Faites l’expérience : écoutez Just like a woman reprise par les Byrds, par Stevie Nicks, Charlotte Gainsbourg ou même Nina Simone. Le squelette de la chanson est là, mais la chair, le sang, le cœur de travers ? Envolés. Dylan a tout gardé pour lui.  E.T.

“Sad-Eyed Lady of the Lowlands” (1966)

Je ne suis pas vraiment Dylanien. Je n’ai qu’une demi douzaine d’albums. Je n’en écoute que trois de temps en temps. Mais cette chanson m’obsède. Je peux écouter dix fois d’affilée ses onze minutes et vingt-trois lancinantes secondes quand j’écris un article. La légende veut que « La Dame aux yeux tristes des basses terres » ait été enregistrée en une seule prise, à 4h du matin, par un Dylan sous amphétamines. On sent en effet qu’il est habité, guidé par une muse. J’ai longtemps pensé que cette complainte, tellement lente qu’on la croirait enregistrée à la mauvaise vitesse, était une chanson de rupture ou d’amour à sens unique. Sans doute à cause de la façon qu’à Dylan d’allonger toutes les voyelles (« Saaaaad Eeeeeeyed laaaaaady ooooof the loooooooowlands ») comme pour prolonger une relation qui se serait arrêtée trop tôt. En fait, Dylan a écrit ce sublime poème pour Sara Lownds (Lownds > Lowlands), sa première femme et la mère de ses quatre enfants, quelques jours après l’avoir épousée. Une chanson de mariage en forme de marche funèbre. On ne se refait pas.  J.C.

“Lay Lady Lay” (1968)

Demandez à mes camarades de bureau, je la fredonne au moins une fois par jour. Mais toujours impossible de reproduire la voix de Dylan et surtout son effet lorsque je le chante. Même si je n’appartiens pas à cette génération qui aime à répéter qu’elle a « appris l’anglais en écoutant Bob Dylan »,  c’est la première de ses chansons que j’ai connue. Ou la première dont je me souviens, peut-être… Et comment se la sortir de la tête ? Ces rimes, simples et accrocheuses, ce son si particulier des percussions, ces petites salves de guitare comme des sonnettes... et la chaleur de cette voix ! Sa chanson la moins « dylanesque » ? La plus « pop » ? Et alors ?  R.C.

“Hurricane” (1975)

La chanson qui m’a fait découvrir Dylan. Une protest song de plus de huit minutes racontant l’histoire du boxeur noir Ruby « Hurricane » Carter accusé, à cause de la couleur de sa peau, d’un meurtre qu’il n’aurait pas commis. Batterie et congas lui donnent un rythme de combat de boxe avec directs et uppercuts tandis que le violon de Scarlett Rivera, omniprésent, résonne à la manière d’une plainte ponctuant la narration révoltée. À l’époque, Dylan fut attaqué pour avoir présenté une version subjective des faits. Il dut même réécrire ses paroles. Mais le succès de la chanson permit d’obtenir une révision du procès de Carter. Carter, libéré en 1985, mourut d’un cancer de la prostate en 2014, à l’âge de 77 ans. — F.P.

“Sara” (1976)

Elle en agace plus d’un, mais elle est probablement celle qui a le plus tourné, un temps, dans mes écouteurs ou dans ma tête. Un Dylan humain, ni poète abscons ouvert aux multiples interprétations, ni oracle terrifiant, non, un trentenaire romantique, nostalgique d’un amour qui se meurt. On comprend le moindre mot, le moindre souvenir, comme si on feuilletait avec lui l’album de photos d’un bonheur enfuit. On l’imagine, le voit même en jeune papa gaga regardant ses enfants « avec leurs pelles sur le sable, courant vers l’eau pour remplir leur seaux ». Un type normal. Enfin presque. Puisque nous, nous n’avons pas « passé des jours et des nuits au Chelsea Hotel à écrire Sad Eyed Lady of the Lowlands  » pour l’objet de notre désir. Avec une mélodie lancinante, enchanteresse, comme Dylan en possède une réserve à pâlir.

“Blind Willie McTell” (1983)

Cette ballade sidérante, on l’aurait échangée sans ciller contre l’intégralité d’Infidels, le disque dont elle avait été éjectée. Ne justifiait-elle pas à elle seule, en 1991, l’achat des Bootleg Series vol. 1-3 ? Vingt-quatre ans plus tard, on ne comprend toujours pas les primes réserves de Bob Dylan sur ce joyau, réhabilité depuis. Pour évoquer l’Amérique de l’esclavage, « ce pays maudit de la Nouvelle-Orléans à Jérusalem », Bob au piano, Mark (Knopfler) à la guitare, maintiennent une tension mélodique à couper au couteau. Et, c’est vrai, personne ne chante le blues comme le Dylan de Blind Willie McTell. S.Bo.

“Man in the Long Black Coat” (1989)

À l’époque, c’est un petit miracle. Dylan, qu’on peut croire fini, revient en force avec le producteur Daniel Lanois qui vient de réaliser des prodiges avec les Neville Brothers. Man In the Long Black Coat est le genre de ballade glaçante pour laquelle Nick Cave se damnerait (plutôt dix fois qu’une). Tout est plus que parfait : le récit, sombre et tordu, le chuchotement d’outre-tombe et la toile de fond, sobre et fantastique, tendue par Daniel Lanois.  L.R.

À lire Bob Dylan, La Totale : les 492 chansons expliquées, de Philippe Margotin et Jean-Michel Guesdon, Ed. du Chêne,  704 p.
Article initialement publié en 2015.

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