Israël : comment sortir du ghetto ultra-orthodoxe

L'anthropologue Florence Heymann raconte dans "Les Déserteurs de Dieu" le combat de ceux qui, en Israël, veulent abandonner perruques et habits noirs.

Propos recueillis par

Israël : comment sortir du ghetto ultra-orthodoxe
Israël : comment sortir du ghetto ultra-orthodoxe

Temps de lecture : 6 min

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Florence Heymann est anthropologue, chercheur au CNRS, en poste au Centre de recherche français à Jérusalem. ©  Grasset
Florence Heymann est anthropologue, chercheur au CNRS, en poste au Centre de recherche français à Jérusalem. © Grasset

Israël est un pays où la religion prend tous les jours plus de place. Mais les hommes et les femmes dont vous évoquez le destin, souvent tragique, sont résolument à contre-courant

Ce sont des ultra-religieux dont la vie a été organisée en fonction de rites très précis, très contraignants : les hommes portent été comme hiver des vêtements noirs et lourds, les femmes ne doivent rien montrer de leur corps, porter des bas très opaques même par 40 °C à l'ombre, cacher leurs cheveux pour les femmes mariées. La vie est dédiée à la prière, à l'étude et à la famille. Ceux qui partent sont en général des jeunes, pour les deux tiers des garçons. Un jour, volontairement ou non, ils quittent leur communauté. Or, ce sont des gens qui ne sont pas préparés à vivre dans une société moderne, où règnent la liberté et la compétition.

Pourquoi ?

Cela est avant tout lié au système éducatif dans lequel ils ont été élevés. Beaucoup de communautés hassidiques par exemple ne parlent que peu l'hébreu. Entre eux, leurs membres utilisent le yiddish. Les enfants sont formés dans des écoles religieuses où ils étudient les textes sacrés, mais pas de matières profanes, surtout les garçons qui ne sont pas destinés à travailler. À l'heure actuelle, dans ces communautés, seuls 40 % des hommes travaillent. Ils n'ont donc ni les compétences ni les codes indispensables pour espérer réussir dans nos sociétés.

Ils ont aussi du mal dans leurs relations avec l 'autre sexe ?

Oui. Ce sont des sociétés où les hommes et les femmes sont strictement séparés depuis la petite enfance. Il y a très peu de contacts physiques, même à l'intérieur de la famille. On s'occupe d'ailleurs peu des enfants qui quittent très vite la famille pour étudier en internat. Lorsqu'ils se marient, très jeunes en général, vers 18 ans pour les filles, ils ne connaissent rien de la sexualité. Dans l'une de ces communautés, on donne aux jeunes époux un texte écrit par des rabbins qui leur explique comment pratiquer le coït : un baiser avant, deux baisers pendant, des ablutions avant et après pour se maintenir dans un état de pureté rituelle...

Ce sont ces relations entravées qui les poussent à partir ?

Chacun a son histoire et ses motivations, bien sûr. L'adolescence est la période du questionnement. Les jeunes ont besoin de réponse. Or dans ces milieux, tout est fait pour que les fidèles vivent dans l'obéissance et la soumission. Poser des questions, c'est devenir un problème. D'ailleurs, en hébreu, on dit « venir à la réponse » quand on entre en ultra-orthodoxie, et « sortir vers la question » quand on la quitte. Exécuter les commandements de la loi juive, sans chercher vraiment à les comprendre, telle est la règle. Mais quand on n'obtient pas de réponse à ses questions, on commence à douter… Je me suis occupée d'un « sortant » qui a perdu la foi ainsi.

Les « sortants » sont-ils nombreux ?

Il est très difficile de donner des statistiques fiables sur ce phénomène. D'après une étude récente, ils seraient 12 500 entre 20 et 40 ans à avoir quitté la communauté ultra-orthodoxe. Évidemment, à l'échelle des huit millions et plus d'Israéliens, c'est peu, mais le phénomène est en hausse très nette, 1 300 « sortants » rien qu'en 2014.

Vous racontez des histoires terribles, comme celle de cet adolescent jeté à la rue en pleine nuit pour avoir possédé un smartphone !

Son père l'avait trouvé en train d'écouter de la musique. Un déviant dans une famille, c'est l'opprobre, l'impossibilité pour les frères et les sœurs de faire un mariage de « première » catégorie. Certains parents sont tellement blessés par ce qu'ils considèrent comme un échec qu'ils peuvent faire preuve d'une très grande insensibilité. À Hillel, qui est l'une des associations d'aide aux « sortants » les plus anciennes et les plus importantes du pays, nous recevons souvent des appels en pleine nuit d'un jeune aux abois.

Il n 'est pas rare pourtant que les « sortants » finissent par se suicider

Ces dernières années, certains se sont donné la mort, c'est vrai. Les ultra-religieux en ont tiré argument pour attaquer les associations qui, comme Hillel, les aident à s'intégrer en les habillant – c'est leur premier geste en général, abandonner les vêtements de la secte – en les aidant à trouver un logement, à faire des études, à se former, etc. Mais parfois, ce n'est pas suffisant. « Sortir » demande beaucoup d'énergie et de force de caractère.

D 'où le retour du marranisme ? Des centaines d 'ultra-orthodoxes qui ont cessé de croire demeurent néanmoins dans leur communauté comme si de rien n 'était, mais multiplient les transgressions

Oui, en tremblant d'être découverts. Ils sont généralement plus âgés que les « sortants », ils ont une famille, des enfants. Dire la vérité serait perdre tout cela, et pour beaucoup, c'est insupportable. Alors ils trichent. Dans un documentaire israélien, on voyait ainsi une femme qui vit à Jérusalem, mais qui part régulièrement à Tel-Aviv dans une boîte rencontrer des amis. Elle enlève sa perruque et sa jupe longue dans la voiture, elle s'habille avec une minijupe et elle part s'amuser en priant pour que personne ne la découvre.

Israël sera-t-il de plus en plus religieux, à votre avis ?

Oui, mais le rapport au religieux évolue. Les orthodoxes sont en hausse constante, du fait de la pression démographique. Ils représentaient 7 % de la population il y a quatre ans, chiffre qui a grimpé à 12 % aujourd'hui. Avec 7 ou 8 enfants par famille en moyenne, leur nombre double tous les quinze ans. Certains groupes, comme les loubavitch, sont aussi très prosélytes. De plus, il y a eu une grande vague de « retour vers la religion ». Ceux que l'on appelle les « religieux nationaux » dont l'emblème est la kippa « crochetée » sont devenus de plus en plus visibles à l'armée, tant dans les écoles d'officiers que dans les unités d'élite. Mais les nouvelles générations ne suivent pas forcément. On voit aussi apparaître d'autres manières d'être juifs, comme les datlashim, ces ex-religieux qui ne croient plus même s'ils peuvent continuer à respecter certaines pratiques comme d'allumer des bougies le soir du shabbat, ou de faire la bénédiction sur le vin, en lisant le texte sur leur smartphone. Ou ces laïcs qui veulent retrouver leurs racines, et qui fréquentent des yeshivas non religieuses pour y étudier les textes sacrés. Tout est possible…

Est-ce que l 'État israélien aide les « sortants » ?

Non, et c'est un véritable scandale. Les ultra-orthodoxes y veillent. Mais les résultats sont là : de plus en plus de « sortants » non seulement réussissent à se construire une vie, mais reprennent contact avec leur famille.

 

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Les Déserteurs de Dieu. Ces ultra-orthodoxes qui sortent du ghetto, Grasset, 377 pages, 20,90 euros

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Commentaires (22)

  • zakaria7

    D. Est utile, dites vous, pourquoi pas si il est un D. De Paix ce qui n'est pas le cas.

  • Tenor

    Je vous comprends en disant que c'est pour cela, ce dont vous expliquez, que les religions paradoxalement peuvent nous é...garer. Autrement dit, Dieu comprend, que de par notre éloignement les uns les autres, nous avons chacun un lieu pour l'adoration, mais qu'il y ait un même Dieu. Or, ce sont plein de religions diverses que nous voyons, y compris les trois plus grandes religions dites monothéistes. Et si nous voulons vraiment chercher quelle est celle qui répondrait au mieux à nos problèmes ou à nos soucis, c'est un vrai casse tête, parce qu'au lieu d'écouter Dieu on écoute les hommes.

    D'ailleurs, il y en a beaucoup qui ont quitté leur communauté, parce qu'ils disent eux même qu'ils se sont trompés ou qu'ils ont été trompés. Par qui, par Dieu ? Non, mais petit à petit nous ouvrons les yeux et comprenons, et lui aussi petit à petit nous ramène vers lui sans nous brusquer. Chacun peut se tromper, mais Dieu sait faire mieux que nous, que lorsque c'est lui qui nous guide, ce n'est pas quelqu'un d'autre. Et il nous a bien signifié à travers Jésus en disant, que si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tombent tous les deux dans le trou.

    Des deux aveugles, ni l'un, ni l'autre ne voit, tandis que si l'un des deux n'est pas aveugle, il pourra éventuellement guider l'autre. Celui qui était né aveugle, et qui soudain voyait, dans sa joie, est allé se montrer à ceux qui enseignaient, comme lui il pouvait aussi maintenant les voir, en expliquant comment il avait été guéri. C'est un des plus grands miracles que Jésus eut faits, guérir un aveugle né, c'est extraordinaire. Comment peut-on croire une chose pareille si Dieu n'est pas avec lui ?

  • Clairevoix

    En d'autres termes, les hommes s'entêtent à refuser le message divin. Pour reprendre une formule de l'Eglise, "Dieu a vi...sité les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas reçu".

    Quelle peut en être la raison ?

    La raison tient sans doute dans le fait que des "docteurs" de la foi, convaincus de détenir la bonne interprétation alors même qu'ils la trahissent par de fausses nécessités rituelles auxquelles ils se raccrochent par un manque flagrant de spiritualité, persistent dans leurs erreurs jusqu'à en appeler à la violence et à des châtiments qu'ils ont conçu de toutes pièces, en s'éloignant, par ce fait-même, du message qu'ils prétendent servir !

    L'humanité possède la prodigieuse faculté d'accroître son champ de connaissances, se rapprochant ainsi progressivement des pouvoirs qu'elle prête à Dieu. Mais elle s'ingénie à n'en retirer aucune conséquence en termes de "spiritualité collective" ! Mieux, même, les dogmes immuables qu'elle a greffés sur ses croyances religieuses vont jusqu'à nier le sens des découvertes liées aux progrès de la science !

    A la progression du savoir qui devrait la convaincre qu'elle se rapproche de Dieu, l'humanité oppose l'obscurantisme de ses rites (qui ne sont "obscurs" que parce qu'elle les a statufiés, voire "momifiés").

    C'est en cela que les religions peuvent, paradoxalement, nous égarer...