Média indépendant à but non lucratif, en accès libre, sans pub, financé par les dons de ses lecteurs

Grands projets inutiles

L’écrivain Erri De Luca : « La construction du Lyon Turin doit être bloquée, sabotée »

Le tribunal de Turin a relaxé lundi 19 octobre le grand écrivain Erri De Luca. Il était accusé d’avoir soutenu le « sabotage » du projet de liaison ferroviaire Lyon Turin. Devant les juges, il a maintenu et répété ses propos.

Actualisation Lundi 19 octobre 2015 à 16h50

Erri De Luca a été relaxé par le tribunal de Turin lundi 19 octobre lors de son procès pour « incitation au sabotage » du chantier de la ligne à grand vitesse Lyon-Turin. Ce matin, il avait pris la parole devant les juges : « Je confirme mon idée que la construction de la ligne ferroviaire doit être bloquée, sabotée. Pour une légitime défense du sol, de l’air et de l’eau. Je me considère victime d’une volonté de censure. Je suis donc là pour comprendre si les principes de notre Constitution seront invalidés par ce tribunal ».
« Ce qui est constitutionnel - avait-il ajouté - doit être défendu ici comme dans les écoles, dans les prisons, dans les lieux de travail, aux frontières traversées par les demandeurs d’asile. Ce qui est constitutionnel doit être défendu au rez-de-chaussée de la société ».


Le verdict du procès à l’écrivain italien Erri De Luca devait être prononcé lundi 19 octobre par le tribunal de Turin. L’auteur de Montedidio, de Trois chevaux ou du Poids du papillon est accusé « d’incitation au sabotage » : en 2013, dans une interview parue dans la version italienne de Huffington Post. Il avait affirmé : « Le Lyon-Turin doit être saboté. C’est pour ça que les cisailles sont nécessaires. Il ne s’agit pas de terrorisme. Elles sont nécessaires pour faire comprendre que la ligne à grande vitesse est un ouvrage nuisible et inutile. Le dialogue avec le gouvernement a échoué, les tentatives de médiation ont échoué : il ne reste donc que le sabotage ».

Il y a trois jours, l’écrivain a expliqué à Reporterre qu’il ne sais pas à quoi s’attendre de la part du tribunal : « Je ne peux pas donner des pronostics, ni moi, ni mes avocats, car il s’agit d’un procès expérimental. Je vais être jugé sur la base d’une loi sur l’instigation qui remonte au 1930, c’est-à-dire à l’époque fasciste. C’est une première. »

"On peut parler d’un procès politique"

De Luca confirme que, quoi qu’il arrive, il ne fera pas appel en cas de condamnation : « Je n’irai pas une nouvelle fois devant des juges à exprimer mes argumentations. Je comprends qu’un recours représenterait une sorte de deuxième chance pour la justice, pour éviter qu’elle condamne une personne pour ses opinions. Même mes avocats voudraient bien. Mais j’ai pris ma décision : il n’y aura pas d’appel ».

Quant aux accusations, selon De Luca, « on peut parler d’un procès politique, parce que c’est le contexte qui est évidemment politique, compte tenu de mon soutien à la lutte menée depuis désormais plus de 20 ans dans le Val de Suse ».

Lors de la dernière audience, le 21 septembre, les enquêteurs Andrea Padalino et Antonio Rinaudo ont proposé une condamnation à huit mois de prison ferme, « en raison de la force persuasive des paroles d’un écrivain » qui ont « un poids et une force suggestive déterminants » à cause de « sa notoriété internationale ».

En sortant du tribunal, De Luca - qui risquait jusqu’à cinq ans de prison - s’est dit « stupéfait par la différence entre les arguments » très durs, produits par le parquet, « et ce réquisitoire a minima. Je m’attendais le maximum ».

Dans une interview accordée à Reporterre, en janvier, l’écrivain se disait « accusé d’un délit d’opinion. Je crains qu’il y ait une volonté de condamnation et de censure contre la liberté d’expression. Il s’agit d’un procès issu d’une plainte déposée par une société privée qui n’aurait pas dû être prise en compte par les magistrats ».

De nombreux indices attestent que la mafia est impliquée dans la construction du Lyon-Turin

C’est à cette société, la LTF (Lyon-Turin Ferroviaire, entreprise publique contrôlée par les Etats français et italien) qu’une centaine de personnalités ont adressé dans les dernières semaines un appel. Ils demandent d’arrêter l’action judiciaire. Parmi eux, le sculpteur Daniel Buren, le musicien italien Paolo Fresu, l’auteur allemande Brigitte Glaser, l’actrice Isabelle Huppert, le réalisateur anglais Ken Loach et l’écrivain anti-mafia Roberto Saviano. « Au total, plus de 500 personnalités, issues de 20 pays, défendent aujourd’hui le droit à la liberté d’expression d’Erri De Luca », s’est félicité son comité de soutien.

« Cette entreprise publique, expliquent-ils dans l’appel, a mené les études préparatoires pour un tunnel TGV de 57 kilomètres au travers des Alpes pour nous entraîner encore plus dans une vie à grande vitesse. Elle a déposé plainte à Turin contre Erri De Luca pour des propos sur le sabotage du projet ».

La France est actionnaire de la société qui poursuit Erri De Luca

« Nous avons lu La Parole Contraire, un livre où il défend sa liberté de parole. Alors que la France s’est récemment mobilisée pour la liberté d’expression, comment pourrait-elle laisser un écrivain risquer la prison pour ses déclarations publiques ? », demandent-ils. « En lecteurs, nous exprimons notre solidarité avec Erri De Luca. En citoyens du monde, nous demandons aux États français et italiens de faire retirer cette plainte d’une société dont ils sont aujourd’hui les seuls actionnaires. En défenseurs de la liberté d’expression, nous n’acceptons pas qu’un écrivain soit poursuivi pour ses mots ».

La police italienne protège la construction du tunnel d’exploration, sur la commune de Chiomonte.

Une bataille qui ne s’arrête pas. Début octobre, les militants « No Tav » ont reçu une visite de la part d’une délégation de députés européens. Les parlementaires ont essayé de se rapprocher au chantier avec une cinquantaine d’activistes : les énièmes affrontements avec la police ont été filmés et publiés sur internet.

Le 15 octobre, environ deux-cents opposants se sont ressemblés devant le tribunal de Turin pour un autre procès, celui aux quatre activistes No Tav - Niccolò Blasi, Mattia Zanotti, Chiara Zenobi et Claudio Alberto - accusés de terrorisme, endommagement et incendie volontaire. L’audience a été toutefois suspendue : la reprise du procès est prévue le 30 novembre.

Fermer Précedent Suivant

legende