Le philosophe médiatique Raphaël Enthoven tient tous les matins une petite chronique sur Europe 1 où il vient nous expliquer « la morale de l’information ». Ce sont en général des analyses assez superficielles, où des remarques banales sont habillées de quelques citations savantes.
Ce matin Raphaël Enthoven a fait très fort. Il a pris la défense de Philippe Verdier, le responsable « météo » de France Télévisions qui a soutenu une « opinion » climatosceptique. Chacun est libre, a-t-il soutenu, d’avoir une opinion, et quiconque s’oppose à ce principe est un dangereux fanatique.
Il y aurait donc les dogmatiques d’un côté et les partisans de Voltaire de l’autre, l’écrivain français ayant soutenu qu’il défendrait toujours le droit de ses adversaires à soutenir leur point de vue. La menace des autoritaires devrait être activement combattue, il en irait de la démocratie, rien moins.
La morale de l’info serait donc que Philippe Verdier devrait être défendu, envers et contre tout.
Qu’est-ce que l’opinion ? Quel est son rôle, en démocratie ? Peut-on soutenir tout ce qui nous passe par la tête, chercher à faire le buzz, à donner dans la provocation aussi bien qu’une information étayée ? Sur le principe, oui, bien entendu. Dans une démocratie on peut en effet dire ce qu’on veut.
La limite est qu’on peut aussi être tenu pour responsable de ce qu’on affirme. Quand M. Verdier affirme que la limite à ne pas dépasser de 2°C n’est « pas scientifique », il démontre qu’il méconnaît complètement la question dont il prétend traiter. Le 2°C en effet est un objectif politique, le GIEC, souvent sollicité par les politiques sur la question a toujours refusé de prendre parti à cet égard. Donc quand M. Verdier donne une information tronquée, dans un contexte hautement politique, quand il donne des interviews à des magazines de grande audience comme Valeurs Actuelles, M. Verdier ne donne pas seulement son opinion : il fait de l’information, ou plutôt de la désinformation. Car une opinion, ce n’est pas affirmer n’importe quoi. Opiner c’est juger. Un jugement est étayé et argumenté. C’est pour cette raison qu’il est respectable. Le mensonge n’est pas une opinion.
Ajoutons que M. Verdier n’est pas n’importe qui, il est le responsable des services météo de France Télévisions. C’est à ce titre qu’il intervient dans Valeurs Actuelles et dans le débat sur le changement climatique. Être responsable d’un service météo, c’est garantir la qualité d’une information en matière de climat. Ce que l’auditeur ou le lecteur va donc chercher, c’est la vérité, l’information, et non pas le mensonge. C’est en tant qu’expert que M. Verdier va être écouté. Son opinion n’aura pas le même poids que celle de M. Tout-le-monde, et Valeurs Actuelles le sait, car sans cela pourquoi interviewer M. Verdier, et pas un climatosceptique trouvé au hasard dans la rue ?
Raphaël Enthoven se trompe donc doublement. Il se trompe en croyant qu’une opinion est respectable même si elle ment délibérément, soit en soutenant des affirmations erronées soit en mettant de côté des éléments qui sont nécessaires pour la compréhension. Il se trompe encore en prenant M. Verdier pour un homme sans qualités, dont les affirmations seraient à mettre sur un strict pied d’égalité avec celle de tous les autres. Ce que dit M. Verdier est erroné et M. Verdier n’est pas sans qualités : voilà deux opinions étayées qui ont échappé à Raphaël Enthoven.
Avec Raphaël Enthoven, la morale de l’information est toujours celle d’une forme conservatrice de libéralisme. Europe 1 trompe son auditoire, en laissant penser que ce « philosophe » ne fait que philosopher. Tous les matins, Raphaël Enthoven distille sa morale conservatrice, sa lecture politiquement orientée de l’information. En toute impunité, puisqu’il n’a jamais de contradicteur. Thomas Sotto le remercie toujours chaleureusement. Quel éclairage en effet ! Tous les matins Raphaël Enthoven est un merveilleux conteur, tous les matins il met en scène un combat dont il est le héros. Mais l’affrontement est sans péril, le triomphe est donc sans gloire, car Raphaël Enthoven, c’est la morale des puissants contre les faibles.
La veille Raphaël Enthoven avait d’ailleurs pris parti contre les salariés d’Air France, expliquant que la violence est toujours à condamner. Sans jamais mentionner la violence dont les salariés, eux, sont les victimes. Prendre le parti des forts, mentir par omission : voilà la morale de l’information selon Raphaël Enthoven.