CULTURE- L'exposition Andy Warhol Unlimited qui se tient actuellement au Musée d'Art Moderne de Paris jusqu'au 7 février 2016 a vraiment tout pour plaire. On peut ainsi s'y faire portraiturer "à la manière" d'Andy Warhol, jouer avec des ballons couleur aluminium gonflés à l'hélium, et déambuler dans une immense "galerie" en longeant la série des Shadows (1978-79), réunie dans son ensemble pour la première fois en Europe.
Le visiteur pourra également passer devant des écrans géants qui diffusent les films expérimentaux de l'artiste pop, et s'immerger dans les couleurs saturées d'extraits vidéos de concert du Velvet Underground, dont des échantillons musicaux accompagnent toute l'exposition. Nous baignons ainsi dans un mélange d'images fixes et mobiles, d'objets et de sons, dans un brassage des genres qui aurait plu à celui qui disait des supermarchés qu'ils étaient les nouveaux musées. Ici le musée devient en effet un centre commercial avec ses papiers peints aux motifs branchés qui se mêlent aux peintures et sérigraphies, sa musique d'ambiance et ses spots vidéos.
Et si le musée s'enorgueillit de réunir 200 oeuvres, l'exposition se "consomme" très vite. Les visiteurs passent en effet sans vraiment s'arrêter devant les oeuvres, amusés de ces images d'images aux couleurs "sympas" qui répètent à l'envi les mêmes motifs qui vont de la célèbre soupe Campbell à une chaise électrique, en passant par Mao ou Jacky Kennedy.
Les vidéos (Screen tests, 1964-66) aussi sont "marrantes" qui filment pendant de longues minutes un visage qui se contente de nous faire face, sans parler. Mais on ne s'attarde pas non plus dessus. Tout comme la salle où est projeté le film Empire, un plan continu de l'Empire State Building de 8 heures est totalement vide. Pourquoi en effet regarder un immeuble qui ne bouge pas alors que l'on peut jouer avec des ballons?
Mais que veut dire Andy Warhol? Si Hector Obalk a pu écrire en 1992 qu'Andy Warhol n'est pas un grand artiste (aux éditions Aubier), pourquoi alors continue-t-il de déplacer les foules, et est-il encore aujourd'hui si présent dans les musées nationaux et les débats artistiques?
Répondre à cela ne viendra évidemment pas à l'idée de l'heureux visiteur qui se prend en "selfie" devant les Shadows ou un ballon qu'il trouve particulèrement "cool" à la main, et qui actualisera son Mur Facebook en disant que "Warhol c'est trop sympa". Pour lui, l'expérience esthétique chère à Jean-Marie Schaeffer cède face à la simple envie de passer un bon moment "sans se prendre la tête". L'amateur de peinture pourra quant à lui s'approcher des tableaux et impressions sur papier et se dire que quand même, ces effets de trame sont "intéressants", et ces couleurs très "belles".
Certes, mais quid du machinisme de l'artiste qui ne fait que recouvrir d'encre l'écran sérigraphique de manière mécanique? Les "effets" ne sont alors dûs qu'au tissu qui, après avoir servi plusieurs fois, ne laisse plus passer de la même manière l'encre déposée. Cette absence de contrôle de l'image produite renvoie alors à ces Campbell's soup cans que Warhol reproduit parce qu'il en mange tous les jours et à l'ensemble de ses "sujets" qu'il ne "choisit" que parce qu'ils s'imposent à lui à la télévision ou dans les magazines. Comme le client du supermarché achète sans vraiment y réfléchir tous les jours les mêmes produits, l'artiste répète tous les jours le même geste, reproduit les mêmes images, et sape ce faisant la figure de l'artiste passionné et démiurge qu'avait pu médiatisé le magazine Life avec l'Expressionniste Abstrait Jackson Pollock.
Si Andy Warhol est un grand artiste, il est alors celui d'un monde nouveau, celui des loisirs de masse et du cool.
Mais que veut dire Andy Warhol? Une critique de la société de consommation? Oui, mais d'un nouveau genre. Il n'a pas en effet la virulence avant-gardiste du Pop Art anglais d'un Richard Hamilton ou du Nouveau Réalisme français. Comment comparer la netteté des boîtes Brillo aux poubelles d'Arman? Mais alors, critique ou idolâtrie? La non-réaction et l'absence de discours manifeste d'Andy participent également au trouble. Lui qui dit de l'art pop qu'il n'est qu'une activité qui l'occupe.
Mais alors que dit Andy Warhol? Rien justement. Mais un rien qui est lourd de sens. Ses œuvres produisent en effet un méta-langage, dont il se fait l'incarnation. Toute sa vie deviendra dès lors un jeu, un rôle, une face sans reliefs qu'il portera du lever au coucher, jusqu'à dire qu'il vivra l'attentat dont il fut victime en 1968 comme une scène vue au cinema. "Euh oui", "euh non" sont alors les seules réponses qu'il donne aux journalistes curieux du phénomène pop, et édite une autobiographie dont le titre de la traduction française est éloquent: Ma philosophie de A à B, et vice versa.
Dès lors, cette "peinture" qu'on s'acharne à deviner et à interpréter derrière le masque sérigraphique de Mao en dit bien plus que ne pourra en dire l'artiste. "Je est un autre" écrivait Rimbaud. Il est ici un peintre qui semble livrer sa dernière bataille contre l'image de masse qui normalise l'individu. Il est ce que fait de lui une industrie qui colonise la pensée de clichés sans valeur. L'artiste aristocrate nietzschéen est mort, tout comme le Beau hegelien, étouffés sous les nappes d'encre sérigraphique.
Oui mais ces couleurs, ces traces de pinceau? Elles sont les dernières velléités artistiques d'un artiste qui déclarera trouver intéressante l'idée de peindre toujours la même figure, sur un format unique et dans des couleurs identiques.
Mais que dit Andy Warhol? Plus rien. Et c'est pour cela qu'il est un grand artiste postmoderne. Une personnification d'une perte du sens et des sens, dont les profils Facebook sont aujourd'hui l'actualisation hypermoderne (cf Bertrand Naivin, Roy Lichtenstein, de la tête moderne au profil Facebook, Paris, L'Harmattan, coll. "Eidos", série "Retina", 2015).
Si le musée est devenu un grand parc d'attraction ou une aire de jeu, si l'œuvre n'est plus vue que comme un fond "sympa" pour faire un selfie, Warhol le pressentit, et doit bien rire en ce moment.
Alors, que veut Andy Warhol? Rien, comme chaque hypermoderne que nous sommes vivant dans l'ennui "de tout pouvoir faire, de jouir de tout, d'avoir parcouru tout l'espace et d'être au point inerte autour duquel tout tourne" (Jean Baudrillard cité par Hector Obalk).
Également sur Le HuffPost: