Le 17 janvier 1966, un Boeing B-52 de l’US Air Force et un tanker KC-135 se percutent en plein ciel, à 9500 mètres d’altitude, lors d’une manœuvre de ravitaillement en vol. Bilan: huit morts, quatre survivants ayant pu s’éjecter. L’avion-citerne, qui a décollé de la base américaine de Moron, près de Séville, est détruit. Le bombardier, parti de Turquie et se dirigeant vers les Etats-Unis, est coupé en deux, et les quatre bombes à hydrogène qu’il contenait sont larguées dans la nature. Une finit en mer, au large des côtes espagnoles, près de Palomares (province d’Almeria). Une autre est retrouvée intacte au sol, les deux dernières ont été détruites par l’impact.
La chute des deux bombes a provoqué l’explosion de leur charge conventionnelle, mais un dispositif de sécurité a empêché la réaction en chaîne qui déclenche l’explosion atomique. Pas de Hiroshima en Andalousie donc, mais des particules de plutonium en grande quantité se retrouvent dans l’atmosphère et dans la terre. A cette époque, l’Espagne n’a mis en place aucun protocole en cas d’accident atomique. Même si le pays travaille déjà à un programme nucléaire civil, sa première centrale n’entrera en production qu’en 1970. Et la sécurité n’est pas le souci majeur du régime dictatorial du général Franco.
Pêcheur contre sous-marin
La presse du lendemain rapporte la tragédie aérienne, mais sans un mot sur les bombes. Quand l'information commence à filtrer, elle est démentie tant par le gouvernement espagnol que par l'armée américaine. La bombe tombée en mer est recherchée par deux sous-marins, en vain. Elle ne sera repérée qu'en avril 1966, grâce au pêcheur Francisco Orts, qui deviendra célèbre sous le sobriquet de «Paco el de la Bomba»: Paco, le type de la bombe.
Pour tenter de sauver la saison touristique, les autorités prennent une initiative restée gravée dans la mémoire collective espagnole: le ministre de l'Intérieur Manuel Fraga Iribarne et l'ambassadeur des Etats-Unis se baignent en mer, devant une nuée de cameramen et de photographes, pour prouver qu'il n'y a aucun danger radioactif. Mais, prudemment, ils ont choisi une plage située à 15 kilomètres du lieu d'impact des bombes.
Plusieurs centaines de tonnes de terres sont retirées puis transportées aux États-Unis, puis l’affaire se tasse. Les contrôles de taux de radioactivité sont très légers, de même que l’examen de la population. En 2008, en pleine frénésie immobilière, des promoteurs s’intéressent à cette partie de la côte d’Almeria: le taux d’américium, un résidu radioactif produit par la dégradation du plutonium, est très largement supérieur au maximum autorisé. La zone est déclarée inconstructible.
Palomares sort de l'oubli, et l'achèvement de la décontamination devient un thème prioritaire dans les discussions entre Madrid et Washington. Après plusieurs années, elles viennent seulement d'aboutir: lundi, le secrétaire d'Etat américain John Kerry, en visite en Espagne, et son homologue José Manuel Garcia Margallo ont annoncé un accord de principe, rapporte le quotidien El Pais.
Les Américains s'engagent à «assainir le site de Palomares et à traiter la terre contaminée dans un lieu approprié aux Etats-Unis». Le texte ne fixe pas de date, mais un vieux chapitre de la guerre froide et de l'escalade nucléaire semble près de se refermer.