
POLITIQUE - Cela ressemble à une opération de charme. Du moins à une tentative de reconquête de la part de François Hollande sur des terres perdues par Nicolas Sarkozy durant son passage au ministère de l'Intérieur. Presque dix ans jour pour jour après le déclenchement des émeutes en banlieue, le chef de l'Etat avait mis deux rendez-vous "banlieue" à son agenda ce mardi 20 octobre.
Avant de recevoir à l'Elysée des jeunes de l'association "Nos quartiers ont du talent", François Hollande s'est rendu à la Courneuve, commune populaire de Seine-Saint-Denis, pour y lancer l'Agence nationale de développement économique. Baptisée "France Entrepreneur", elle avait été annoncée après les attentats de janvier qui avaient focalisé l'attention sur des banlieues qualifiées par le Premier ministre Manuel Valls de territoires où s'exerce un "apartheid social". Cette ville n'avait pas été choisie au hasard par l'Elysée. C'est en effet ici qu'en juin 2005, Nicolas Sarkozy disait vouloir passer "le karcher" après un sordide fait divers.
Pendant la campagne présidentielle de 2012, François Hollande avait largement tiré profit de la mauvaise image dont jouissait son rival sur ces territoires. C'est massivement vers lui que s'était tourné cet électorat populaire. La Seine-Saint-Denis avait même offert au candidat socialiste son meilleur score au second tour. Avec 65,3% des voix, François Hollande y faisait mieux qu'en Corrèze (64,9%). Mais trois ans et demi plus tard, c'est lui qui est confronté à un désamour dont son rival ne parvient toutefois pas à tirer profit.
Hollande a déçu ses électeurs de 2012
La défiance envers François Hollande est présente dans ces territoires, comme partout en France. Au-delà du chômage qui atteint des records, la déception de cet électorat s'explique aussi par des promesses qui s'adressaient spécifiquement à lui et qui ont été déçues. "Le gouvernement aurait au moins pu envoyer des signes forts sur la lutte contre les discriminations. Or ce sont toujours les mêmes conseillers dans les ministères... Il est où le changement?", se demandait dès 2013 Mehdi Bigaderne, adjoint au maire de Clichy-sous-Bois et membre de l'Association nationale des élus de la diversité (Aneld). A son arrivée ce mardi, c'est par quelques huées qu'il a été accueilli. "J'ai entendu aussi des applaudissements. Ce qu'il faut combattre, c'est la déception", a tenté de minimiser le président de la République qui est pourtant largement responsable de la situation.
Deux exemples illustrent ces reniements qui ne passent pas en banlieue. En 2012, François Hollande promettait (comme François Mitterrand avant lui) le droit de vote pour les étrangers aux élections locales; une idée enterrée depuis, puisque le président de la République refuse un référendum (les sondages montrent l'hostilité des Français) et n'a pas la majorité au Parlement pour tenter le faire passer par la réunion du Congrès.
Dans ses 60 engagements (numéro 30), le candidat socialiste promettait également de lutter contre le contrôle au faciès dont sont victimes de nombreux habitants de ces quartiers. Pour le collectif "Stop le contrôle au faciès", il paraissait évident que François Hollande s'engagerait en faveur du récépissé. Le député socialiste de Seine-Saint-Denis, Razzy Hamadi a bien mené le combat auprès du gouvernement mais Manuel Valls, alors ministre de l'Intérieur n'a jamais voulu de ce dispositif qui n'avait pas les faveurs des forces de l'ordre. Au final, l'exécutif s'est borné à acter le retour du numéro du matricule sur les tenues des policiers.
L'UMP a raté le coche aux départementales
Mais à qui profite ce désamour envers le président Hollande? Aux municipales de 2014, la droite est parvenue à tirer son épingle du jeu dans plusieurs villes de Seine-Saint-Denis. Bruno Beschizza, le M. Sécurité de la Sarkozie a ravi Aulnay-sous-Bois tandis que Thierry Meignen a remporté Le Blanc-Mesnil et William Delannoy s'est imposé à Saint-Ouen. "21 villes sur 40 sont maintenant dirigées par des maires qui appellent de leur vœu l'alternance", a rappelé Bruno Beschizza ce mardi.
Pourtant, un an plus tard, aux élections départementales, malgré une vague bleue en Ile-de-France, le parti Les Républicains a échoué (de peu) à faire tomber le bastion rouge de Seine-Saint-Denis. Hors Paris, le fief de Claude Bartolone reste le dernier département encore dirigé par la gauche. Et la route semble très longue pour Les Républicains s'ils veulent que leur candidat soit en tête au premier tour en 2017, surtout s'il s'agit de leur actuel président.
"Kärcher" et "racailles" causent toujours du tort à Sarkozy
Car c'est peu dire que les habitants restent marqués par plusieurs sorties médiatiques polémiques de Nicolas Sarkozy. Alors ministre de l'Intérieur, il a prononcé des phrases qui l'empêchent d'apparaître aujourd'hui comme un recours sérieux. En juin 2005, à La Courneuve, après la mort d'un enfant de 11 ans tué par balles, il promettait de laver la cité des 4000 "au karcher" sans que la situation ne s'améliore depuis.
Six mois plus tard, soit en octobre, c'est à Argenteuil que se rend le premier flic de France de l'époque. Deux jours avant l'embrasement des banlieues pour trois semaines d'émeutes, Nicolas Sarkozy fait face à une mère de famille et lui promet de débarrasser les habitants de "cette bande de racailles".
Dix ans ont passé depuis ces deux épisodes mais l'ancien chef de l'Etat continue d'être pénalisé par cette sémantique si particulière. "Tout ça c'était politique mais ça a fait mal, témoigne Nadia, une habitante de la fameuse dalle d'Argenteuil. Quand Nicolas Sarkozy parle de racaille, ça touche nos enfants. Il n'a pas vu dans chaque maison combien étaient étudiants, combien travaillaient, combien se levaient le matin." A La Courneuve non plus, on n'a pas oublié. "Comment on parle de notre ville si ce n'est comme ça, se demande Yamina interrogée par France Inter. Je peux vous dire que ça nous a fait beaucoup de mal. C'est comme si notre ville était un ghetto alors que ce n'est pas vrai."
Face à ce double discrédit des partis de gouvernement, la progression du Front national est la seule à concurrencer l'abstention qui grandit de scrutin en scrutin. Aux européennes de 2014, le parti de Marine Le Pen a réalisé l'exploit de terminer en tête en Seine-Saint-Denis avec près de 21% des voix. Et l'extrême-droite ne compte pas en rester là. Le mouvement a annoncé début octobre le lancement après les régionales d'un collectif "Banlieues Patriotes". "Nous voulons déconstruire le mythe de l'opposition FN/Banlieues, et notre discours est attrayant dans ces quartiers", affirme Jordan Bardella qui en sera l'animateur. Après avoir obtenu moins de 14% en 2012 (quatrième derrière Jean-Luc Mélenchon), la présidente du FN aimerait frapper fort en 2017. La voir devancer Nicolas Sarkozy ou François Hollande serait un camouflet rare pour ces deux personnalités.