Ce 21 octobre, le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou (Likoud, droite nationaliste) s’exprimait devant le Congrès sioniste mondial. D’ordinaire feutrée, l’atmosphère y est devenue électrique lorsque les participants, abasourdis, ont entendu leur hôte déclarer ceci :

“Hitler ne voulait pas exterminer les Juifs, il voulait seulement les expulser. Mais le grand mufti de Jérusalem, Haj Amin Al-Husseini [dirigeant politico-religieux palestinien de 1922 à 1937], a rencontré Hitler [le 28 décembre 1941] et lui a déclaré : ‘Si vous les expulsez tous, ils vont tous venir ici [en Palestine]’. ‘Alors, que dois-je faire d’eux ?’, aurait demandé Hitler. ‘Brûlez-les’, aurait répondu le mufti’.”


Ce n’est pas une polémique que ces propos ont déclenchée, mais une descente en flammes de Benyamin Nétanyahou par les médias et les historiens tant israéliens qu’étrangers, pour une fois unanimes.

Ce que souligne, dans Yediot Aharonot, le journaliste Ahiya Raved :

“Pour les spécialistes israéliens et étrangers de la Shoah, les propos de Nétanyahou sont une distorsion de la réalité historique et une exagération de l’implication à vrai dire marginale (pour ne pas dire nulle) d’Amin Al-Husseini dans la Shoah. Les dirigeants européens se sont étranglés devant une déclaration qui, parce que prononcée par un dirigeant israélien, sape leur difficile travail sur la mémoire de la Shoah. Ce qu’Angela Merkel a parfaitement compris : ‘Nous nous en tenons à cette responsabilité de l’Allemagne dans la Shoah. Il n’y a aucune raison de changer cette vision de l’Histoire.’

Toujours dans Yediot Aharonot, quotidien de centre droite très lu en Israël, le journaliste Yitzhak Ben-Horin infirme les propos téméraires du Premier ministre israélien.

“Certes, le dirigeant palestinien a collaboré avec les nazis sur la question des régiments bosniaques et rencontré Adolf Hitler lors d’un entretien retranscrit et célèbre : ‘Nous avons des ennemis communs : les Juifs, l’Angleterre et les communistes. Tout ce que nous voulons, c’est que les Juifs [émigrant en masse en Palestine] retournent d’où ils viennent.’

Mais l’historiographie contemporaine, tout en n’épargnant pas le rôle d’Al-Husseini dans l’effondrement politique, militaire et moral des Palestiniens en 1936-1948, considère que le grand mufti n’a pesé en rien dans la Shoah : non seulement il n’était pas question pour les nazis de rompre avec leur politique antisémite en autorisant un quelconque retour des Juifs allemands, mais ils considéraient le grand mufti avec condescendance et méfiance.

Quand bien même la proposition d’Al-Husseini de ‘brûler les Juifs’ serait-elle corroborée, il n’en reste pas moins que les nazis n’avaient pas besoin des ‘conseils’ d’un petit dirigeant arabe – qui plus est marginalisé au sein de sa propre population – pour décider de l’extermination des Juifs. Tout était dans ‘Mein Kampf’.”

Yossi Verter, chroniqueur politique du quotidien de gauche Ha’Aretz, dans une tribune titrée “Quand le fils de l’historien se bat contre les faits”, ne dit pas autre chose :

“Et dire que Benyamin Nétanyahou est le fils d’un des historiens les plus éminemment et internationalement respectés de la Reconquista [Benzion Nétanyahou, décédé en 2012]… Avec un tel bagage, comment Nétanyahou peut-il lancer des accusations aussi légères, dont tous les historiens savent qu’elles ne reposent que sur la seule et peu plausible déposition d’un des témoins du procès d’Adolf Eichmann [Jérusalem, 1961] ?”

Son collègue de Ha’Aretz, Ofer Aderet, se fait le relais de la consternation des historiens israéliens, qui accusent Nétanyahou de rallumer “la querelle entre historiens intentionnalistes et fonctionnalistes”. Les “fonctionnalistes” estiment que la “solution finale” n’était pas préméditée mais fut la conséquence de l’entrée en guerre des Etats-Unis en décembre 1941, les nazis considérant que Roosevelt était l’otage du “lobby juif”.

“Les historiens israéliens rappellent que, avant la décision de créer un complexe industriel de camps d’extermination, la ‘Shoah par balles’ [entamée dès 1940 en Pologne et accélérée par l’invasion de l’URSS en juin 1941] avait déjà exterminé près de 3 millions de juifs. Autrement dit, l’extermination des juifs fut décidée et mise en pratique par les nazis longtemps avant que le grand mufti [expulsé de Palestine par les Britanniques] trouve refuge en Allemagne.”

Enfin, dans le quotidien de droite Maariv, l’éditorialiste Ben Caspit, pourtant considéré par certains confrères comme trop conciliant envers Benyamin Nétanyahou, fait part de sa colère.

“Connu pour rédiger lui-même ses interventions publiques, Nétanyahou n’a qu’à s’en prendre à lui-même. Les propos hallucinants qu’il a tenus ce mercredi sont un lapsus révélateur : sa haine des Arabes lui fait perdre tout sens de la mesure.

Certes, l’état actuel de la recherche historique, israélienne et internationale, brosse le portrait peu flatteur d’un Husseini aveuglé par son opposition plus irrationnelle que politique au sionisme. De même, une nouvelle génération d’historiens palestiniens pointe sa mégalomanie, son absence de stratégie politique et ses nombreuses liquidations d’adversaires politiques palestiniens. Enfin, si le grand mufti fut l’un des premiers hommes politiques non allemands à être informé de la solution finale, jamais ce musulman conservateur et judéophobe n’est intervenu directement ou indirectement dans l’extermination des Juifs d’Europe.

Faire des Palestiniens les inspirateurs de la Shoah, cela revient à absoudre Hitler de ses crimes. Le dérapage de Nétanyahou n’est pas seulement scandaleux mais dangereux : il est une aubaine inespérée pour les antisémites négationnistes et révisionnistes de tout poil en Europe.”