
POLITIQUE - Et à la fin le vainqueur se nomme... Marine Le Pen. La présidente du Front national pourrait bien tirer à son avantage la polémique Des paroles et des actes. "C'est tout bénéfice pour Marine Le Pen", craint même François Fillon interrogé sur BFMTV. Bien que ce soit elle qui a finalement décidé de ne pas répondre favorablement à la proposition de France 2 qu'elle a qualifiée de "mascarade", la leader frontiste a en effet des raisons de penser qu'elle sortira par le haut de cette séquence.
Si elle est critiquée aussi bien à gauche qu'à droite pour son "manque de courage", ces proches et partisans saluent "une très bonne décision". Au FN, on estime en effet que les électeurs comprendront ce geste et qu'ils viendront encore renforcer son image de femme politique hors-système.
Rarement en tous cas, la préparation d'une émission de télévision n'aura été aussi mouvementée. Une illustration de plus, s'il fallait en trouver une, qu'un parfum de souffre entoure toujours Marine Le Pen et le Front national, compliquant la couverture médiatique de ce parti.
Peu de ténors à inviter sur les plateaux
Pour les médias, l'un des problèmes réside dans le manque de personnalités de poids au Front national. David Pujadas le faisait lui-même remarquer il y a quelques jours dans L'Obs. "Il se trouve que ce parti n’a qu’un leader à l’envergure nationale suffisante pour le représenter dans une telle émission, là où le Parti Socialiste ou Les Républicains partagent leur temps de parole en plusieurs voix", constatait le présentateur de l'émission DPDA.
Si le parti d'extrême-droite tente de faire monter certains responsables, dont la majorité a été élue eurodéputés au printemps 2014 ("l'enjeu, c'est de faire connaître nos cadres, leur donner une visibilité", expliquait récemment Marine Le Pen), force est de constater qu'il reste beaucoup de chemin à parcourir. Alors que le parti Les Républicains et le PS peuvent s'appuyer sur des ministres ou anciens ministres, le FN n'a jamais exercé de responsabilités qui conférerait à ses membres une telle légitimité
Les médias nationaux n'ont donc qu'un petit vivier de ténors dans lequel puiser, d'où l'impression qui peut se dégager que le FN est omniprésent à la télévision ou à la radio. Le parti ne compte que 4 députés et sénateurs, et n'a d'autre choix que d'être représenté par les mêmes responsables. Conséquence, Florian Philippot truste ainsi régulièrement le podium mensuel des personnalités les plus invitées dans les matinales radios tandis que Marine Le Pen est celle qui a été le plus invitée à Des Paroles et des Actes, réalisant les meilleures audiences (hors Sarkozy et Hollande).
Cela ne risque pas de changer rapidement après les régionales. Les deux listes qui semblent en capacité de l'emporter et donc apporter une aura importante à son chef de file sont en effet dirigées par Marine Le Pen en Nord-Pas-de-Calais-Picardie et sa nièce Marion Maréchal en Paca. Autant dire deux femmes qui ne manquent pas d'invitation sur les plateaux.
Une stratégie de victimisation qui marche à tous les coups
Si les quelques ténors sont régulièrement invités, qu'en est-il du temps de parole global du FN? Et bien le CSA évoque une répartition correcte du temps de parole entre les candidats et nie toute surreprésentation du parti frontiste que pourrait dénoncer une partie de ses adversaire. "Ces trois dernières années, celui du FN est de 12% du total soit le bas de la fourchette des obligations", note David Pujadas pour son émission DPDA.
Selon des données compilées par le compte Twitter @engageesduweb, qui se présente comme "sympathisant de gauche" et regardant l'ensemble des émissions politiques, le FN n'a même obtenu que 5,8% du temps d'antenne en 2014-2015. Il est alors facile pour les responsables de se présenter en "victime", sa stratégie favorite.
Dans son communiqué pour annoncer son refus de participer à Des paroles et des actes, Marine Le Pen utilise au maximum cette rhétorique. Elle évoque "une méthode cavalière et méprisante" de la part de France 2 pour fixer de nouvelles conditions au débat. "Y participer dans ces conditions serait indigne du respect dû aux Français, décidément mal traités par leur service public de télévision qu'ils financent pourtant par leurs impôts", ajoute la présidente du FN.
Idem pour son compagnon Louis Aliot, par ailleurs vice-président du parti.
La chaîne du service public avait pourtant essayer de concilier tous les points de vue. Mais elle semblait confrontée depuis plusieurs jours à un dilemme insoluble: maintenir le concept initial et risquer des critiques sur un manque d'impartialité ou répondre favorablement aux requêtes du PS et du parti Les Républicains et être taxé de "servilité" par le FN.
Après avoir opté pour la seconde proposition, c'est la foudre du Front national qui s'abat sur France 2. Avec en prime pour le FN, une attaque facile sur le "système UMPS" dont "les caprices" auraient forcé la chaîne à changer de programmation. Une référence à la protestation de Jean-Christophe Cambadélis à laquelle Nicolas Sarkozy a souscrit mercredi après-midi.
Le FN est-il devenu un parti comme un autre?
Mais au fond, cette polémique DPDA fait resurgir un vieux débat que la lettre du premier secrétaire du PS au chef de l'opposition mettait aussi en évidence. Le Front national longtemps dirigé par Jean-Marie Le Pen (et qui a pu être en conséquence considéré comme personna non grata sur les plateaux) est-il devenu, avec la prise de pouvoir de Marine Le Pen, un mouvement comme les autres qui doit à ce titre est traité médiatiquement comme tous?
Du point de vue juridique oui puisqu'il est en mesure de se présenter (et même de remporter) certaines élections. Politiquement c'est autre chose. Un responsable Les Républicains met bien "sur le même plan François Hollande et Marine Le Pen" mais dans l'esprit de nombreux adversaires, le FN reste un cas à part à qui il faut éviter -autant que possible- de lui donner la parole.
"Je crois qu'il faut porter un coup d'arrêt à la fascination, à la promotion morbide de l'extrême-droite dans le pays. Une démarche commune sonnerait comme un rappel à l'ordre et aux valeurs de notre pays", a écrit le premier secrétaire du PS, excluant de fait le FN du champ de ces valeurs. En janvier dernier pour l'organisation de la grande marche républicaine, la question d'inviter ou non le parti d'extrême-droite avait agité les responsables politiques. La volonté de Marine Le Pen de faire bande à part avait finalement arrangé les ténors des partis de gouvernement puisqu'elle se mettait elle-même en marge. Mais à l'approche des élections le débat revient inévitablement sans qu'une réponse évidente ne puisse être apportée.