Le périlleux périple d'un journaliste français avec des réfugiés syriens

Reporter à France Inter, Omar Ouahmane a suivi jusqu'en Autriche une famille fuyant la guerre en Syrie. De simple observateur, il est devenu acteur, notamment lors de la traversée mouvementée de la mer Egée.

Par Carole Lefrançois

Publié le 22 octobre 2015 à 17h47

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h57

C'est un phénomène d'exode unique depuis la première guerre mondiale. 323 000 migrants ont débarqué sur les côtes européennes, ces huit derniers mois, fuyant les atrocités de la guerre en Syrie. Pour France Inter, Omar Ouahmane a voulu donner des visages et des voix à ces hommes, femmes et enfants noyés dans les statistiques. Pendant douze jours, il a ainsi suivi pour 12 jours dans la vie d'un réfugié — un documentaire diffusé dans Interception — une de ces familles qui a tout abandonné pour fuir en Europe.

Un long périple au départ d'Antakya (Antioche) en Turquie, près de la frontière syrienne : traversée de la mer Egée en bateau pneumatique jusqu'à la Grèce, puis la Macédoine, la Serbie, la Hongrie et enfin l'Autriche, d'où l'on peut rallier la Suède. De ce reportage, Omar Ouahmane se souviendra longtemps : il est sorti de son cadre de journaliste pour partager, bien plus qu'il ne l'aurait imaginé, l'épreuve du Syrien Wassim Tain, de son épouse Maya et de leurs deux enfants Lotus (5 ans) et Mohammed (2 ans).

Avez-vous eu des difficultés à trouver cette famille et à la convaincre d'être accompagnée par un journaliste français ?

A gauche : Lotus, dans les bras de son père, a fini par obtenir un laisser-passer pour Athènes.

A droite : Fatiguée après une nuit sur le bateau Chios-Athènes, la famille découvre le métro de la capitale grecque.

 

 

A gauche : Lotus, dans les bras de son père, a fini par obtenir un laisser-passer pour Athènes. A droite : Fatiguée après une nuit sur le bateau Chios-Athènes, la famille découvre le métro de la capitale grecque.     © Omar Ouahmane

La Turquie, qui fait face à un afflux conséquent de réfugiés, a verrouillé ses frontières. Comment cette famille est-elle parvenue à franchir cette étape ?

Cette première frontière est la plus difficile, car le secteur est escarpé, et il faut courir sur plusieurs kilomètres de nuit avec les enfants, sans faire aucun bruit, pour échapper à la vigilance des groupes armés. La clôture a été coupée à certains endroits. Les passeurs s'arrangent alors avec des soldats qu'ils payent pour fermer les yeux sur le passage des groupes de réfugiés, pendant une heure. Tout le monde est de mèche car il y a beaucoup d'argent à se faire (90 euros par personne pour entrer en Turquie). Le plus cher demeure la traversée de la mer Egée. Rallier la Grèce en bateau à ainsi coûté 3 000 euros à la famille Tain.

Qui peut se permettre un exode aussi coûteux ?

A Athènes, en attendant le bus pour la frontière macédonienne. La matinée a été éprouvante pour les enfants.

A Athènes, en attendant le bus pour la frontière macédonienne. La matinée a été éprouvante pour les enfants. © Omar Ouahmane

Quels ont été vos rapports avec la famille et les autres réfugiés qui voyageaient avec eux ?

Les migrants n'aiment pas les journalistes de télévision. Ils ne veulent pas être reconnus car leurs proches restés au pays craignent des représailles. Personnellement, pendant le reportage, j'étais hanté par la nécessité de ne pas les mettre en danger, et de ne pas les perdre de vue. Plus que journaliste, j'étais aussi un peu le tonton... Nous avons partagé des moments forts, comme ce jour à Izmir où ils essayaient les gilets de sauvetage, juste avant la traversée vers la Grèce. Ils pleuraient et j'étais aussi au bord des larmes. Nous avons embarqué au milieu de la nuit sur un bateau pneumatique conçu pour 15 personnes maximum. Nous étions cinquante passagers dont dix-sept enfants. Maya m'a confié sa fille pour que je m'occupe d'elle si jamais l'embarcation venait à chavirer, car elle ne savait pas nager et ne pourrait lui porter secours.

De journaliste spectateur et témoin vous êtes devenu acteur, en prenant la direction du bateau engagé dans la mauvaise direction, en pleine nuit...

A gauche : Après avoir traversé la Macédoine dans un vieux train, Omar Ouahmane et la famille Tain ont marché longuement en direction de la frontière serbe. A droite : Dans le train entre Vienne et Hambourg.

A gauche : Après avoir traversé la Macédoine dans un vieux train, Omar Ouahmane et la famille Tain ont marché longuement en direction de la frontière serbe. A droite : Dans le train entre Vienne et Hambourg. © Omar Ouahmane

Une fois en Europe, la route est encore longue. Quelles sont les conditions d'hygiène pour les familles rassemblées dans des camps de fortune, et comment s'alimentent-elles ?

Sur l'île de Khios, nous avons été dirigés vers un camp insalubre, sans nourriture ni eau. Les migrants s'approvisionnent dans les magasins avec les économies qu'ils ont sur eux. Globalement, peu d'ONG ou d'associations parviennent à subvenir à leurs besoins.

Vous êtes entré illégalement en Macédoine alors que vous risquiez une peine de cinq ans de prison. Comment avez-vous fait pour échapper aux contrôles ?

Je me faufilais dans le bus. La nuit, il était plus facile d'emboîter le pas au groupe sans se faire remarquer. En Serbie, les soldats ont fait le décompte et remarqué qu'une personne n'avait pas été contrôlée. Ils ont revérifié les laissez-passer de tout le monde. Evidemment, je n'en avais pas. J'ai donc fait mine de le chercher. Quand le soldat est revenu vers moi, un Kurde m'avait glissé le sien en cachette. Grâce à lui, j'ai pu mener mon reportage à son terme.

Que retenez-vous de ce périple ?

Pour moi, l'ennemi du journalisme est l'idéologie. Aujourd'hui, on façonne une opinion publique réticente à l'accueil des réfugiés. Ce qui m'intéresse, c'est de donner la parole aux gens qui ne l'ont pas, comme, pour les besoins de ce documentaire, cette famille victime de psychopathes convertis au djihadisme. L'idée, ici, c'est d'humaniser. Derrière chacun de ces réfugiés, il y a des chemins de vie, des familles, des parents soucieux de donner une vie meilleure à leurs enfants. C'est l'histoire de l'humanité.

A réécouter : Douze jours dans la vie d'un réfugié, dans Interception sur France Inter.

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