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Santé

Ebola : pourquoi l'infirmière britannique n'est-elle toujours pas guérie ?

Testicules, yeux, cerveau... Le virus Ebola fait preuve d'une persistance importante dans l'organisme des survivants. Sylvain Baize, virologue en première ligne de la lutte contre l'épidémie, explique ce qu'il y a à craindre.
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Ebola
Particules virales d'Ebola à l'assaut d'une cellule.
©NIAID

EBOLA. Pour la troisième fois en moins de deux ans, l'infirmière britannique Pauline Cafferkey, infectée par Ebola en Sierra Leone en 2014, a dû être hospitalisée en raison de complications causées par la persistance du virus dans certains organes. Déjà déclarée guérie deux fois, elle a été placée en isolement a-t-on appris des autorités sanitaires britanniques mardi 23 février 2016. Si l'épidémie d'Ebola qui a touché l'Afrique de l'Ouest entre 2013 et 2016 est officiellement terminée, c'est désormais cette persistance du virus chez les survivants de l'épidémie qui inquiète. Ainsi, une étude publiée en octobre 2015 dans la revue New England Journal of Medicine révélait que le virus Ebola pouvait être détecté dans le sperme des survivants jusqu'à 9 mois après leur guérison. Dans le cas de Pauline Cafferkey, c'est dans le cerveau que le virus s'est réactivé.

Ces données étaient jusqu'alors inconnues des spécialistes : elles posent plusieurs questions. Éléments de réponse avec le Dr Sylvain Baize (ci-contre), directeur du Centre national de référence des fièvres hémorragiques virales à Lyon (Institut Pasteur / Inserm), et responsable du laboratoire déployé à Macenta (Guinée forestière) pour la lutte contre l'épidémie.

 

Sciences et Avenir : Comment le virus Ebola peut-il persister dans l'organisme de personnes pourtant déclarées guéries ?

Dr Sylvain Baize : Ebola fait partie de ces virus qui ne se cantonnent pas à tel ou tel organe ; il se répand partout. Une personne malade est difficile à soigner car le virus se retrouve dans tous les organes. D'ailleurs les décès dus à Ebola résultent la plupart du temps d'une défaillance multiviscérale.

Lorsqu'une personne touchée par le virus Ebola est dans la phase aigüe de la maladie avec tous les symptômes que l'on connaît (cf. vidéo ci-dessous) la réponse du système immunitaire se met en place. Celui-ci élimine le virus de la plupart des organes. Mais il y a dans l'organisme des sites où le système immunitaire est très peu présent. C'est notamment le cas des testicules, du cerveau où le système immunitaire est très particulier, des yeux et, dans une moindre mesure, de l'oreille interne. Des organes qui fonctionnent un peu en vase clos. C'est pourquoi le virus peut persister dans ces zones-là. Pour prendre une image un peu simpliste, c'est un peu comme lorsque vous passez l'aspirateur dans votre salon mais que certains recoins sont inaccessibles. Vous avez enlevé la poussière partout, sauf dans ces coins où l'aspirateur ne peut pas aller. Le système immunitaire c'est pareil.

Mais il ne s'agit pas là d'une stratégie spécifique au virus Ebola. C'est pareil avec des virus comme l'herpès, les papillomavirus ou la varicelle par exemple, qui peut ressurgir à l'âge adulte sous la forme d'un zona.


2 minutes pour comprendre le virus Ebola par sciencesetavenir 

 

Pour reprendre votre image, la poussière peut-elle se redéporter vers le centre de la pièce ?

Le problème avec Ebola, c'est qu'on ne connaît pas encore tous ses processus pathogéniques. Mais oui, c'est possible. Les cas de l'infirmière britannique ou du Dr Crozier dont le virus a modifié la biologie de l'œil en sont des exemples criants. Mais cela reste des cas relativement rares. Pour reprendre l'exemple de la varicelle : presque tout le monde fait une varicelle étant enfant, mais il reste rare de faire un zona à l'âge adulte. En général, on n'entend plus parler du virus pour le restant de sa vie. Seules certaines personnes, à la faveur d'une fatigue ou d'un état de stress, vont connaître un épisode d'immunodépression transitoire (affaiblissement temporaire du système immunitaire, ndlr) permettant au virus de se réactiver. Dans le cas du virus Ebola, c'est sans doute déjà arrivé lors des précédentes épidémies sans que cela ne puisse être documenté.

 

Dans quelle mesure les personnes guéries peuvent-elles rester contagieuses ? Et combien de temps ?

Les données ne sont encore assez analysées pour donner des réponses définitives. Mais on a des éléments de réponse. On savait déjà qu'Ebola pouvait persister assez longtemps dans les liquides biologiques comme le sperme. De précédentes études avaient trouvé la trace du virus jusqu'à trois mois après la guérison. Aujourd'hui, on va beaucoup plus loin, puisque c'est neuf mois. Mais attention à ne pas faire de confusion. Ce qu'on retrouve, c'est du matériel génétique du virus. Cela ne veut pas dire qu'au bout de neuf mois le virus est toujours infectieux. À mon avis non, le virus infectieux peut éventuellement être retrouvé 2 à 3 mois après la guérison, mais au-delà ce sont des traces du virus qui ne sont sans doute pas infectieuses.

 

Pourquoi ? Qu'arrive-t-il au virus dans ce laps de temps ? Les particules virales se dégradent-elles ?

Ce n'est pas tant une question de dégradation que de doses, de charge virale (densité de particules virales nécessaire à l'infection, ndlr). Car une particule virale ne suffit pas à rendre quelqu'un malade d'Ebola. Pour une particule virale détectée par test de titrage dans un échantillon donné, un test de PCR permettra de trouver 100 à 1000 copies d'ARN (acide ribonucléique dont est composé le virus Ebola, ndlr). Mais vous pouvez retrouver des copies d'ARN sans que celles-ci ne correspondent à la présence de particules infectieuses.

Le système reproductif du virus Ebola est très instable. Lors de la réplication, il génère un grand nombre de particules défectives. Celles-ci ne se répliquent pas et n'infectent donc pas l'organisme. Mais elles restent néanmoins présentes dans les fluides. Ça fait partie du cycle réplicatif des virus ARN, virus dans lequel il y a un très grand nombre de déchets dans la réplication. Ce type de virus ne possède pas d'enzymes impliquées dans la réparation des erreurs de réplication. Donc au départ, on a encore des charges relativement élevées, tout au moins conséquentes dans le sperme. Mais 5 à 6 mois après, la dose devient beaucoup plus faible. 

 

Mais du coup, la personne peut-elle être contagieuse ou non ?

De fait, à ce moment là, la charge virale n'est a priori pas suffisante pour infecter quelqu'un par le biais d'une relation sexuelle. Il faut quand même qu'il y ait une certaine dose d'inoculum pour que l'infection se fasse. Tout cela reste à démontrer. Mais on imagine que la charge virale du virus est généralement trop faible pour rendre la personne contagieuse.

Par ailleurs, si le virus se réactive chez une personne, il faut savoir que le système immunitaire garde en mémoire les anticorps produits pour lutter contre la première infection. En principe, l'organisme a donc les moyens de se défendre contre cette réactivation. L'infirmière britannique est d'ailleurs en bonne voie de rétablissement. Mais il n'est pourtant pas exclu qu'elle fasse une nouvelle rechute dans 6 mois. 

 

Sur le plan de la lutte contre l'épidémie, à quelle point cette persistance du virus peut-elle compliquer la tâche des équipes sur place ?

Globalement, ça ne remet pas en question les progrès de ces derniers mois où l'on constate la disparition progressive de la maladie dans les pays touchés. Nous restons néanmoins très vigilants sur la transmission sexuelle. Car au vu du grand nombre de survivants (environ 13.000 personnes, ndlr) et du peu d'adhésion au préservatif, il y a un risque. Je me souviendrai toute ma vie de ce patient qui était sorti guéri du Centre de traitement Ebola de Macenta (Guinée) à qui on avait donné - comme à tous - une centaine de préservatifs avec des consignes d'avoir des rapports protégés pendant 3 mois. On s'était dit qu'il n'y avait dans l'immédiat pas trop de risque étant donné qu'il était quand même sorti complètement asthénique du centre. Erreur : dès le lendemain, sa femme est venue nous voir affolée expliquant qu'elle avait eu des rapports non protégés avec son mari. 

Or durant ces premières semaines, voire premiers mois donc, le risque infectieux est réel même s'il reste faible. Heureusement, ce n'est pas comme avec le VIH qui se transmet beaucoup plus facilement, sinon on aurait eu de très nombreux cas par transmission sexuelle. Mais ce n'est pas le cas. Ce phénomène s'explique notamment par le fait que le virus Ebola est très sensible au pH, en particulier dans les milieux acides où il se dégrade rapidement. Donc chez les femmes qui n'ont pas de MST préalable, les sécrétions vaginales offrent un pH plutôt acide qui favorise l'élimination du virus au moment du rapport.

 

Le suivi de ces patients guéri est-il aujourd'hui une priorité dans la lutte contre l'épidémie ?

Tout à fait. L'Inserm et l'IRD (Institut de la recherche et du développement, ndlr) ont mis sur pied le projet PostEboGui entièrement dédié à ce suivi. Il vise à mettre en place une cohorte de patients survivants en Guinée pour réaliser des études qui permettront d'en savoir plus sur ces processus pathogéniques, et notamment le suivi de la charge virale du virus dans différents fluides ou organes. Ce travail est essentiel et s'inscrit dans la continuité du diagnostic.

 

En savoir plus :

Mutations du virus Ebola : quelles conséquences ?

Ebola : comment fonctionne le vaccin ?

- Syndrome post-Ebola : quel est ce mal qui ronge les survivants

Ebola : à l'origine de l'épidémie, un enfant jouait dans un arbre

DÉCRYPTAGE. Les mathématiques, nerf de la guerre contre Ebola

- Toutes les infos de l'Institut Pasteur sur le virus Ebola 

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