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Négociations climat : les coalitions, cette autre carte du monde

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Connaissez-vous le Groupe parapluie ? Ou l'ALBA ?
Les délégués en séance plénière au World Conference Center de Bonn, en Allemagne, en juin 2015. (Photo Patrik Stollarz.AFP)
par Isabelle Hanne, Envoyée spéciale à Bonn (Allemagne)
publié le 23 octobre 2015 à 16h17

De face, la salle plénière du World Conference Center de Bonn, où se tiennent cette semaine les dernières négociations intermédiaires avant la COP21 (pour 21e Conférence des parties) en décembre, présente un curieux planisphère, aux pays rangés par ordre alphabétique. Sur des petits écriteaux noirs figurent les noms des 195 pays et de l'Union européenne (UE), les 196 «parties» signataires de la Convention de l'ONU sur les changements climatiques. Les îles Marshall sont à côté de la Mauritanie, juste devant le rang du Paraguay. L'Inde est deux rangs derrière la Chine, et l'Argentine jouxte l'Australie.

Chaque partie est représentée aux sessions de la Convention par une délégation nationale d’un ou de plusieurs officiels chargés de négocier au nom de leur gouvernement. Si le modèle onusien suit le principe d’«un pays, une voix», les Etats ont compris depuis longtemps que l’union faisait la force. Elles sont d’abord organisées en groupes régionaux (Asie, Afrique…), pas forcément pertinents pour défendre au mieux leurs intérêts. Du coup, en parallèle, chaque pays appartient également à une ou parfois plusieurs coalitions. Ça donne des associations de pays parfois surprenantes, aux noms exotiques ou obscurs, redessinant de fait la carte du monde, avec cette nouvelle géographie climatique.

Le groupe Parapluie 

Sous cette jolie ombrelle s’abritent les pays développés n’appartenant pas à l’UE, et parmi les plus gros émetteurs historiques mondiaux de gaz à effet de serre. Dans ce groupe informel et flexible, se retrouvent habituellement les Etats-Unis, l’Australie, le Canada, l’Islande, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Norvège… Et la Fédération russe et l’Ukraine, qui se font la guerre dans la vraie vie mais sont du même côté ici.

Il est issu du groupe JUSSCANNZ (première lettre de chaque pays le composant). Avec cette nouvelle appellation très imagée, décidée après Kyoto, le groupe Parapluie s’est toujours positionné contre un prolongement du protocole de Kyoto. Et ses membres font figure de mauvais élèves face au défi climatique : le Japon a reculé sur son objectif de baisse des gaz à effet de serre pour 2020, le Canada exploite ses sables bitumineux, et l’Australie consomme 16 tonnes équivalent CO2 (téqCO2), l'un des taux les plus élevés au monde (à titre de comparaison, en Ethiopie, c'est une tonne par habitant).

Son fait d'arme cette semaine à Bonn : avoir proposé de carrément supprimer l'article sur les pertes et dommages du futur accord de Paris.

L’Union européenne 

Ses vingt-huit membres s’entendent en amont avant de pousser des positions communes dans les négociations. En tant qu’organisation d’intégration économique, l’Union est une partie à part entière à la Convention, mais n’a pas de droit de vote séparé de celui de ses membres. La présidence, qui change tous les six mois, est en ce moment assurée par le Luxembourg.

Son fait d'arme cette semaine à Bonn : son incroyable discrétion, sur les questions de justice climatique entre pays du Nord et pays du Sud notamment, alors que beaucoup attendent que l'UE soit un trait d'union entre le G77 et le groupe Parapluie.

Le groupe de l’Intégrité environnementale

Cette coalition au nom un poil solennel a été formée en 2000 par des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui n’adhéraient pas aux positions adoptées par le groupe Parapluie. Il rassemble la Suisse, le Mexique et la Corée du Sud, que Monaco et le Liechtenstein ont rejoint plus tard.


Son fait d'arme cette semaine à Bonn : Le Liechtenstein a fait rajouter une proposition d'amendement demandant de «prendre en compte la situation particulière des petits Etats avec des compétences administratives limitées».

Le G 77 + Chine

Ce bloc de 133 pays en développement et gros émergents s’appelle «Groupe des 77», parce qu’il rassemblait 77 pays lors de sa création en 1964 pour la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED). Il est toujours associé à la Chine, qui conserve néanmoins sa singularité (d’où le «+»). Le pays qui le préside pour un an siège aux Nations unies à New York. Aujourd’hui, ce bloc représente près de 80 % de la population mondiale. Avec, comme plus petit dénominateur commun, sa vulnérabilité et sa faible responsabilité dans le changement climatique.

Mais, des îles Marshall à l’Arabie Saoudite en passant par le Maroc, les intérêts au sein du groupe divergent parfois fortement. Les réunions internes au G 77 + Chine, à huis clos et réputées houleuses, sont des négociations dans la négociation.

«Les membres de l'Union européenne aussi ont des intérêts régionaux et nationaux : c'est pareil pour le G 77, sauf qu'on n'a pas de monnaie unique ni de Commission, sourit Amjad Abdulla, le négociateur des Maldives, membre de cette vaste coalition. Le G77, c'est comme avoir une grande famille et, comme dans toutes les familles, il y a des divergences. Si on avance collectivement, en famille, on va peut-être plus lentement mais on va plus loin.» Ces pays en voie de développement ont donc créé de nombreux petits groupes plus homogènes (AOSIS, PMA…).

Son fait d'armes cette semaine à Bonn : Plusieurs, notamment sur les questions de financement. Ce bloc a démontré une nouvelle fois sa force de frappe en étant très actif et très ferme pour défendre les positions des pays en développement et de tous les groupes qui le composent. Le tout mené par la charismatique ambassadrice sud-africaine Nozipho Mxakato-Diseko, qui assure cette année la présidence du G77 + Chine. Lundi, à l'ouverture de la session de négociations, elle a carrément parlé «d'apartheid», en réponse à l'un des coprésidents qui l'interrogeait sur la légitimité de certaines propositions du G77.

LMDC

Pour Like Minded Developing Countries (littéralement «Les pays en développement qui pensent pareil», traduit parfois par le Groupe des pays en développement homodoxes sur le climat, mais c’est moins bien), est une coalition spontanée de 24 pays qui s’est créée lors d’une session de Bonn en mai 2012. C’est un genre de G77 à l’intérieur du G77, qui rassemble les pays pour qui le changement climatique est un obstacle au développement. L’Algérie, l’Argentine, la Chine, la Bolivie, Cuba, l’Egypte, l’Inde, l’Irak, entre autres, font partie de ce groupe qui rassemble plus de la moitié de la population mondiale. Et qui demande la contribution financière des pays développés et des transferts de technologie. Pas de chef officiel, mais c’est la Malaisie qui en est porte-parole.

Son fait d'armes cette semaine à Bonn : En réponse au Japon qui, mardi, a demandé que la société civile n'assiste pas aux négociations en petits groupes (et eu gain de cause), la Malaisie s'est illustrée en rappelant l'importance de la présence d'observateurs extérieurs pour le bon déroulé du processus. Ce qui lui a valu d'être gratifié du hashtag #climatehero sur Twitter.

AOSIS

L'Alliance des petits Etats insulaires (AOSIS en anglais), fondée en 1990, est une coalition de 43 pays à faible élévation côtière et de petites îles (1% de la population mondiale), particulièrement vulnérables à la montée du niveau de la mer. C'est l'ensemble des pays en première ligne face aux effets du changement climatique : Maldives, Haïti, Kiribati, Tuvalu… «Les pays AOSIS se sont vraiment fait entendre à Copenhague, se souvient Célia Gautier, du Réseau Action Climat (RAC). Jusque-là, la question insulaire restait sous le radar.»

Cette alliance pousse pour les positions les plus radicales dans les négociations climat : pour un accord contraignant, pour la mise en place d'un fonds d'indemnisation des dégâts liés au réchauffement climatique, en faveur d'un objectif de long terme ambitieux, visant le 1,5°C d'augmentation des températures par rapport à l'ère préindustrielle comme seuil maximal à ne pas dépasser, et non les 2°C sur lesquels devrait se baser l'accord de Paris… La présidence en 2015 est assurée par les Maldives.

Son fait d'armes cette semaine à Bonn : voir «G77 + Chine»

Le Groupe arabe

Il comprend 21 pays – l’Arabie Saoudite, l’Irak, le Koweït, le Qatar… – dont l’économie dépend largement du secteur de l’énergie fossile, surtout pétrolier. Ses membres insistent régulièrement sur le besoin de prendre en compte, dans les négociations, les effets négatifs des actions de lutte contre le changement climatique sur leur économie. Voire demandent aux pays développés une compensation financière. Le Groupe arabe peut s’associer au G77 + Chine ou au LMDC, avec qui il partage de nombreux membres. Il n’y a pas de chef officiel, mais l’Arabie Saoudite est l’interlocuteur traditionnel.

Son fait d'armes cette semaine à Bonn : Elément bloquant clairement identifié dans la négociation, presque aucun de ses membres n'a, à ce jour, rendu sa contribution nationale, soit les propositions de chaque pays en matière de réduction d'émissions de gaz à effet de serre et de transition énergétique.

Les PMA

Les 48 parties qui, selon les critères de l’ONU, sont les Pays les moins avancés (PMA), ont ces dernières années pris plus de place dans les négociations de la Convention. Somalie, Bangladesh, Yémen, Cambodge, Népal… Ces pays, très peu émetteurs, mettent en avant leur extrême vulnérabilité aux changements climatiques, et le besoin de recevoir des financements pour s’y adapter, et d’accepter un objectif à long terme vraiment ambitieux dans le futur accord de Paris. La présidence en 2015 est assurée par l’Angola.

Son fait d'armes cette semaine à Bonn : La superbe cravate «1,5°C signifie la survie», portée par un délégué du Bénin en séance plénière.

ALBA

L’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA) se voulait d’abord une alternative à la zone de libre-échange des Amériques soutenue par les Etats-Unis. C’est d’abord une organisation politique et économique, devenue en 2010 également une coalition de négociation sur le climat entre 11 pays d’Amérique latine et des Caraïbes – Cuba, le Venezuela, la Bolivie, le Nicaragua, la Dominique… L’ALBA adopte des positions radicales, comme la création d’un tribunal international pour la justice climatique, une idée pas franchement au goût de tout le monde.

Son fait d'armes cette semaine à Bonn : On hésite entre la tirade de la déléguée du Venezuela jeudi soir – qui a parlé de «mauvais remake de Copenhague» pour évoquer l'état actuel des négociations – et le fait que l'ALBA insiste pour que l'expression «défendre l'intégrité de la Terre-Mère» figure dans l'Accord de Paris.

AILAC

C'est un peu la version «centriste» de l'ALBA. L'Association indépendante d'Amérique latine et des Caraïbes (AILAC) est née suite à la COP de Doha en 2012, et réunit 7 pays – Chili, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Panama, Paraguay et Pérou. Ce groupe se pose de plus en plus comme une troisième voix dans les négociations, pour sortir de la division Nord/Sud. Sur le financement, par exemple, ils ne mettent pas la participation des pays développés comme préalable absolu (la position du G77). «Les membres de ce groupe affichent sans complexes qu'ils sont prêts à faire des efforts, chez eux et dehors», note Célia Gautier, du RAC. Notamment via leurs Contributions nationales, avec des pays exemplaires comme le Costa Rica.

Son fait d'armes cette semaine à Bonn : Avoir rappelé qu'il y avait d'autres forces en présence, et que la négociation ne se limitait pas à un affrontement Groupe parapluie vs. G77 + Chine.

Le Groupe Afrique

Le Groupe Afrique rassemble 54 pays du continent africain. C'est l'un des rares groupes régionaux fonctionnant vraiment comme une coalition, avec une présidence, des porte-paroles, et poussant des sujets bien identifiés comme l'adaptation, le transfert de capacités ou le financement. Les pays du groupe sont assez hétérogènes, et le Groupe Afrique doit parfois faire le grand écart entre les PMA d'un côté, et les pays pétroliers ou charbonniers de l'autre.

Son fait d'armes cette semaine à Bonn : Voir «Les PMA»

Allez, on vous épargne la Coalition des Etats à forêts tropicales (40 pays forestiers d’Afrique centrale, d’Asie du Sud-Est et d’Amazonie) et le CACAM (groupe de pays d’Asie centrale, du Caucase, de l’Albanie et de la Moldavie).

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