Il vaut mieux avoir l’estomac bien accroché pour ouvrir l’application américaine Figure 1. Disponible sur smartphone, elle met en relation depuis 2013 les médecins américains qui peuvent avoir des doutes face à certains cas ou patients, et ceux qui veulent simplement échanger sur des situations atypiques.
Conçue comme l’application de partage de photos Instagram, Figure 1 permet de partager des photos de patients, de plaies, de boutons, et de les catégoriser selon le service : pédiatrie, maladies infectieuses, dermatologie ou encore cardiologie. Les catégories sont très précises puisqu’il est possible de parcourir et publier des photos selon les parties du corps concernées. Disponible uniquement en anglais, l’application est en cours de traduction en français, a indiqué l’entreprise.
Ouverte à tous
N’importe qui peut télécharger l’application, sur iPhone et téléphone Android ; en revanche, il faut s’inscrire comme personnel soignant pour avoir l’autorisation de publier une photographie. L’application rappelle certaines règles à adopter avant toute publication : retirer tout élément pouvant identifier le patient, respecter sa dignité, ne partager que des photos à but éducatif ou professionnel. « Appliquez les mêmes principes éthiques dans votre pratique professionnelle que dans votre utilisation de l’application », indiquent les règles du service. Figure 1 rappelle également aux utilisateurs de ne pas partager de photos d’eux-même ou de leur famille.
Avant la publication de chaque photo, le patient doit signer un formulaire attestant de son consentement. Des formulaires personnalisés sont disponibles selon les pays, y compris en français, et le patient signe avec son doigt sur le smartphone du médecin.
Plus de 500 000 utilisateurs
Selon le site spécialisé Fusion, le service compte désormais plus de 500 000 utilisateurs. Si l’application a permis à plusieurs médecins de mieux comprendre des cas atypiques auxquels ils pouvaient être confrontés, les experts interrogés par Fusion soulignent qu’elle est utile surtout pour les cas très rares et originaux. « Nous regardons tous beaucoup la télévision et les dilemmes de diagnostics de Dr. House, mais d’expérience, ils n’arrivent pas aussi souvent dans la réalité », explique au site le docteur Robert Wachter, professeur de médecine à l’université de Californie. Selon le PDG de la start-up, seuls 5 % des utilisateurs publient des photos sur le réseau, et plus de la moitié ne participent jamais et se contentent de regarder. Par ailleurs, le site Fusion souligne que certains hôpitaux ont des règles très strictes contre les photographies de patients.
Les médecins français sont sur Twitter
En France, l’entraide entre médecins est symbolisée sur le réseau social Twitter par le mot-dièse #DocTocToc. Très actif, il a été créé à l’été 2012, selon les données de l’outil Topsy. Les tweets vont de la demande de conseils avec photo de plaie à l’appui, à des questions sur les ordonnances et les arrêts de travail.
« On l’utilise à défaut d’autres réseaux plus adaptés », explique Jean-Jacques Fraslin, médecin généraliste et actif sur #DocTocToc. Utilisateur de Twitter avant la naissance du hashtag, il fait désormais partie des dizaines de professionnels qui interagissent entre eux et s’entraident sur des sujets médicaux ou administratifs.
Pour l’avocat spécialiste des nouvelles technologies Alain Bensoussan, #DocTocToc montre « la détresse des médecins face à certaines situations », comme ce généraliste qui se demande comment aider une femme battue. Une analyse partagée par Jean-Jacques Fraslin, qui estime que « les médecins sont parfois seuls et pour eux il y a les forums et les réseaux sociaux ».
Ce que dit la loi
Le secret médical aussi bien que le droit à l’image interdisent en France à un médecin de partager des informations personnelles sur un patient de manière publique, comme sur Twitter. « Une photo d’une plaie, ce n’est pas une forme qui permet d’identifier quelqu’un », explique Alain Bensoussan. En aucun cas un médecin ne peut partager publiquement des informations confidentielles sur un patient, même avec son consentement. « Sur #DocTocToc je n’ai pas vu d’informations personnelles divulguées », précise l’avocat.
Dans un cas très précis, un médecin peut échanger des informations personnelles sur un patient avec un autre professionnel, uniquement dans l’intérêt du patient et des soins à lui prodiguer, et sauf opposition de la part de ce dernier. Cette communication doit cependant se faire par un moyen sécurisé, chiffré, avec une identification de bout en bout des deux médecins. « Un message privé sur Twitter, ce n’est pas raisonnable bien sûr », tranche Marguerite Brac de La Perrière, directrice du département de santé numérique du cabinet Alain Bensoussan.
Le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) s’intéresse depuis longtemps aux réseaux sociaux, sur lesquels les médecins, comme tous les Français, peuvent agir. Selon un livre blanc paru en 2011, la plupart des médecins utilisent un pseudonyme pour s’exprimer sur Twitter, ce qui leur permet de se protéger ainsi que leurs patients. Le CNOM avait suggéré la création d’un système de pseudonymat enregistré, pour que tout docteur inscrit sur Twitter sous pseudonyme soit identifié sur un registre, par exemple, mais cette idée n’a pas abouti. Sur les réseaux sociaux, les médecins sont toujours soumis à un code déontologique, comme le rappelait le livre blanc du CNOM.
S’il respecte ces règles, Jean-Jacques Fraslin pense arrêter #DocTocToc. « Il y a plus de monde sur Twitter qu’il y a trois ans, et des patients vont finir par nous retrouver », explique-t-il. Il estime que plusieurs médecins songent également à arrêter d’utiliser Twitter de manière professionnelle, et attendent un véritable outil d’entraide et de communication, aussi rapide que Twitter, mais adapté à leur corps de métier.
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