Le FN sur le web : un double visage pour un double discours
Par Estelle Gross
Publié le
Marine Le Pen devant son ordinateur MARTIN BUREAU / AFP
Dans le livre "Les Faux semblants du Front national", le chercheur Julien Boyadjian se penche sur l'usage du web par le parti frontiste. Bonnes feuilles.
#JesuisMarine. Marine Le Pen arrive devant le tribunal, et Twitter s'emballe. Jugée pour avoir comparé les prières de rue à l'Occupation nazie, la présidente du Front national est aussitôt soutenue au moyen de ce hashtag (calqué sur #JesuisCharlie), qui apparaît sur les comptes de militants, élus ou membres de la direction du parti. La communication en ligne de l'appareil frontiste est une mécanique bien huilée.
Dans le livre "Les Faux semblants du Front national", à paraître le 29 octobre aux presse de Sciences Po (sous la direction de Nonna Mayer, Sylvain Crépon et Alexandre Dézé), des chercheurs se sont penchés sur les évolutions récentes du Front national. Et un chapitre rédigé par Julien Boyadjian analyse des contenus politiques publiés sur le web 2.0. L'Obs en publie de larges extraits à la fin de cet article.
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Des fans, des followers et des fantômes
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de l'étude de Julien Boyadjian. D’abord, l’hégémonie numérique vantée par le parti d’extrême droite reste toute relative. Ainsi, écrit l’auteur, seuls 3% des utilisateurs de Twitter ont voté pour Marine le Pen au premier tour de la présidentielle en 2012, quand bien même son compte Twitter comptait alors 70.000 abonnés.
Et si la présidente du FN se félicitait alors d’avoir "500.000 fans" sur Facebook, l’abonnement à son actualité est aussi à prendre avec mesure. "49% des internautes qui ont consultés les pages web, Facebook ou Twitter des candidats pendant la campagne présidentielle de 2012, déclaraient le faire 'pour être informés sans délai sur la campagne'", et non pas pour soutenir le candidat, relève Julien Boyadjian. Il faut aussi prendre en compte, comme pour la plupart des formations politiques, les faux comptes achetés par le FN. Selon une enquête citée par l’auteur, 85,5% des abonnés de Marine Le Pen sur Twitter étaient alors des faux comptes ou des comptes inactifs.
Reste que le FN et ses militants sont très actifs sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, dont la sociologie des utilisateurs colle davantage avec l’électorat frontiste puisque la population française y est mieux représentée.
Le militant du mois
Pour motiver ses troupes et multiplier ainsi son impact, le parti a mis au point une "conception rationalisée du travail militant" et un système de valorisation "directement issu des campagnes américaines", explique Julien Boyadjian.
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Ainsi sur le réseau social "patriotes.net", chacun cherche à gagner des points en remplissant des missions (diffusion de messages, partages, etc.) et s'efforce de rentrer dans "le top 5 des volontaires". Un bon moyen de diffusion à moindre frais.
Normalisation et radicalisation
Autre enseignement de cette étude : la stratégie web illustre très clairement la stratégie du double discours. D’un côté, la normalisation, avec des messages officiels très informatifs postés sur tous les comptes du parti dans le cadre d’une communication très centralisée, et avec des habillages visuels très proches de ceux des autres formation politique. Une volonté affichée de "démarcation, envers les partis d’extrême gauche et les blogs et sites d’extrême droite", écrit le chercheur.
Et, de l’autre côté, des sympathisants et militants qui "présentent parfois un discours idéologique plus radical".
La fonction de radicalisation idéologique est ainsi en quelque sorte externalisée."
L’analyste prend ainsi en exemple le cas des candidats qui dérapent. Sur la centaine de candidats épinglés par la presse, notamment par "l’Obs", seul 31 cas ont été examinés par la commission des conflits et 16 ont été définitivement exclus. Le chercheur rappelle également que plusieurs candidats exclus lors des précédentes élections pour des propos illicites ont ensuite été réintégré. "Le FN semble trouver un certain intérêt à conserver des candidats éloignés de sa stratégie de normalisation".
Estelle Gross
"Les Faux semblants du Front national, Sociologie d'un parti politique" (Presse de Sciences Po, 29 octobre 2015), sous la direction de Nonna Mayer, Sylvain Crépon et Alexandre Dézé.
Extraits :
publié par NouvelObs.com