Olympe de Gouges fait tourner les têtes à l’Assemblée nationale

C’est le premier buste de femme à entrer au palais Bourbon, et il fait grincer certaines dents. Notamment celles de Gilbert Collard (FN), qui lui en veut de prendre la place du “penseur chrétien” Albert de Mun.

Par Gilles Heuré

Publié le 26 octobre 2015 à 10h55

Le buste a encore besoin de quelques coups de ciseaux, mais il sera bientôt en bonne place dans la salle des Quatre Colonnes de l’Assemblée nationale. Olympe de Gouges (1748-1793), candidate malheureuse au Panthéon, sera donc très prochainement accueillie au palais Bourbon, qui ne compte encore que 27 % (155) de femmes députées. Honneur loin d’être illégitime. Née Marie Gouze, au mitan du XVIIIe siècle, cette fille naturelle du marquis de Pompignan, bâtarde donc — elle s’en flattera —, veuve avant même d’avoir atteint l’âge de 20 ans, fut une belle figure de la période de la Révolution française.

Auteure de nombreuses pièces, dès 1778, de romans et surtout de textes politiques, proche des Girondins, elle défendra les droits des enfants nés hors mariage, réfutera que le mariage est garant du bonheur des femmes, au point de le désigner comme « le tombeau de l’amour et de la confiance », et se révoltera contre les violences raciales ou sexuelles. Opposée à la peine de mort, elle se proposera, comme « loyale et franche républicaine », pour défendre le roi Louis XVI devant la Convention. Elle sera guillotinée le 3 novembre 1793, et ce n’est que bien plus tard qu’on reconnaîtra l’envergure de celle qui fut l’auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne de 1791. La Chambre des députés est donc bien inspirée de la recevoir en son sein.

Albert de Mun, dégagé au salon Pujol

Le hic, car il y en a un, c’est que son buste prend la place de celui d’Albert de Mun (1841-1914) qui faisait face à celui de Jean Jaurès, les deux hommes politiques morts en 1914, encadrant la porte face au jardin dans la salle des Quatre colonnes. De Mun est donc déplacé au salon Pujol, « par tradition le lieu de rencontre des députés de droite » comme l’indique le site de l’Assemblée nationale. Ce qui ne plaît pas à certains, comme le député Gilbert Collard, apparenté Front national, qui proteste contre cette décision et vitupère par tweet, canal désormais historique de l’expression politique, contre le déplacement de ce « penseur chrétien ».

Le fait est que dégager Albert de Mun quasiment manu militari, double offense pour un ancien capitaine de cavalerie, manque un peu d’élégance. D’autant que le face-à-face entre le député du Tarn, Jean Jaurès, et celui du Morbihan a fait les beaux jours des débats parlementaires, même lorsque les deux orateurs, parmi les plus brillants de la Troisième République aux côtés de Georges Clemenceau ou Aristide Briand, ne s’apostrophaient pas directement.

Le 25 juillet 1884 (1), Albert de Mun fait un beau discours sur la question sociale. « L’homme, l’être vivant, écrit-il à propos de la crise économique que traverse la France à la suite du krach de la Banque de l’union générale survenu en 1882, avec son âme et son corps, a disparu devant le calcul du produit matériel. Les liens sociaux, les devoirs réciproques ont été rompus… » S’il exonère un peu rapidement les industriels français de ces « abus », il reconnaît que, « en France aussi, on a livré sans mesure à l’atelier la femme et son enfant avec elle et, partout où on l’a fait, on a compromis la famille et troublé le foyer ». Et s’il redoute les grèves ouvrières et les dangers politiques qu’elles peuvent engendrer, il en appelle à chercher « la cause et le remède », qui passe, selon lui, par une organisation du travail plus consensuelle entre ouvriers et patrons.

Du nouveau pour Jean Jaurès

Bien qu’opposé au processus de laïcisation, source à ses yeux de dislocation, au moins pointe-t-il régulièrement la misère sociale. Le 13 janvier 1898, en revanche, son ouverture d’esprit connaîtra quelques ratés quand, aux côtés des antidreyfusards, il s’insurgera contre le « J’accuse » d’Emile Zola, article publié par l’Aurore qui met justement en accusation l’état-major coupable d’avoir falsifié des pièces pour faire condamner le capitaine Dreyfus.

Député et théoricien du catholicisme social, académicien et monarchiste, plus favorable aux corporations qu’aux syndicats, Albert de Mun ne pourra plus débattre avec Jean Jaurès, les deux hommes entretenant, selon l’historien Philippe Levillain (2), une « estime discrète » et « réciproque ». Jaurès, leader socialiste, était bien l’ennemi intime, partisan d’un renouveau de l’Eglise plus proche et plus compréhensive du monde moderne, comme il l’exprima à plusieurs reprises dans ses articles sur « la question religieuse ». Mais s’il saluait les initiatives prises en ce sens et exprimées par le pape Léon XIII, Jaurès redoutait toutefois le retour d’un mouvement clérical plus offensif. Dommage donc que le dialogue silencieux entre les deux orateurs soit interrompu.

Premier buste de femme à pénétrer au palais Bourbon, celui d’Olympe de Gouges, en dégageant celui d’Albert de Mun, est donc fidèle à la femme du XVIIIe siècle qu’il représente : indépendante, passionnée et hors-norme. Le « déplacé » pourra désormais converser au salon Pujol avec les élus de droite d’aujourd’hui, dont les idées sont sans doute bien moins sociales que n’étaient les siennes. Quant au nouveau face-à-face Jaurès / de Gouges, il devrait évidemment bien se passer. Le bâtiment du centre de recherches Olympe de Gouge est déjà à l’université Jean-Jaurès de Toulouse.

(1) Lire Les Grands Discours parlementaires de la Troisième République, textes présentés par Jean Guarrigues, éd. Armand Colin, 2004.
(2) « Jaurès et les catholiques sociaux », in Madeleine Rebérioux et Gilles Candar (dir), Jaurès et les intellectuels, éd. de l’Atelier.

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