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«La Double Vague» : vers un renouveau du cinéma français ?

Dans les année 50 naissait la Nouvelle Vague contre «les films de papa». Depuis les années 2000 grandit, dans les quartiers, un nouveau mouvement décidé à en découdre avec l'entre-soi.
par Claire Diao, Du Bondy Blog
publié le 26 octobre 2015 à 18h42

On pourrait l'appeler la «Double Vague», cette nouvelle génération de cinéastes français ayant grandi en banlieue ou dans des quartiers populaires. Double, parce que défendant la double culture de ceux qui l'entourent ; vague, parce que déferlant sur un cinéma français considéré comme trop parisien, trop «rive gauche», trop dans l'entre-soi. Mais surtout, trop nostalgique de sa Nouvelle Vague : «Je pense qu'il faut inventer un nouveau cinéma avec de nouvelles énergies, un nouvel esthétisme», déclarait ainsi Uda Benyamina, lauréate 2014 de la fondation GAN pour le cinéma, avec son premier long métrage Bâtarde. «Le génie français ne nous bouscule plus comme il a pu le faire longtemps, note l'acteur et réalisateur Jalil Naciri, à l'affiche du film Brooklyn de Pascal Tessaud. Avant on riait, aujourd'hui, on ricane.»

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«Combien de fils d'ouvriers accèdent à la réalisation de longs métrages et combien font carrière ?» interroge ce même Pascal Tessaud, dont le premier film de fiction autoproduit, Brooklyn, découvert dans la section «ACID» du Festival de Cannes 2014, est toujours à l'affiche, cinq semaines après sa sortie. Trente ans après le Thé au harem d'Archimède, vingt après la Haine et dix ans après les révoltes sociales, ces cinéastes ont pour objectif commun de prendre à contre-pied le cinéma français qui les caricature et les enrobe de clichés. «Dès que tu veux faire un film en banlieue, tu as les producteurs et les diffuseurs qui demandent qu'il y ait un peu de ci, un peu de ça, parce que les gens sont habitués», regrette Yassine Qnia, plus jeune lauréat de l'Aide au film court de Cinémas93, remarqué en 2011 avec son court métrage Fais croquer.

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Autodidactes du cinéma mais néanmoins diplômés (du BEP au Bac+5, voire agrégés), ils ne veulent pas filmer «la banlieue» mais bien ceux qui y vivent, loin des «clichés» que le cinéma de l'Hexagone projette sur ce territoire fantasmé. Auteure de plusieurs documentaires tournés en banlieue (Clichy pour l'exemple ; la Mort de Danton, Vers la tendresse), la réalisatrice Alice Diop s'attache à filmer cette zone géographique «pour donner un visage et un nom à des gens que l'on voit peu».

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Dans le cinéma français, la figure du «jeune de banlieue» se résume à des personnes basanées, souvent fumeurs de joints, portant casquette et jogging roulé, qui ne montent sur Paris que pour s'embrouiller.

Or, dans les films de la «Double Vague», on trouve aussi bien des femmes fortes (Sur la route du paradis de Uda Benyamina, Brooklyn de Pascal Tessaud) que des souffre-douleur (Fais croquer de Yassine Qnia), des rêveurs (Chroniques d'une cour de récré de Brahim Fritah) et des amoureux (Donoma de Djinn Carrénard, Rengaine de Rachid Djaïdani), voire des homosexuels (la Tête froide de Nicolas Mesdom, le Retour de Yohann Kouam)… «De Paris à Marseille, en banlieue, on a les mêmes problèmes», témoignait, auprès du média participatif Citypost, un spectateur marseillais après la projection d'Ils l'ont fait, long métrage autoproduit à Mantes-la-Jolie (Yvelines) par Saïd Bahij et Rachid Akiyahou.

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Parmi les cinéastes de la «Double Vague», beaucoup ont d'abord été acteurs avant de passer derrière la caméra. Jean-Pascal Zadi (African Gangster, Sans pudeur ni morale) a quitté le Cours Simon au bout de deux semaines lorsqu'on lui a dit qu'il ne serait pas crédible en jouant Molière. Steve Achiepo, prochainement à l'affiche de Tout, tout de suite de Richard Berry, est passé à la réalisation à force d'interpréter des rôles de sans-papiers, de dealers ou d'Africains : «On pense que c'est un cliché mais ça ne l'est pas. Un jour, un directeur de casting m'a dit : "Les réalisateurs en France pensent que les Noirs ne savent pas jouer".» Meryem Benm'barek-Aloïsi, (Nor, Jennah), a postulé à l'Institut supérieur des arts de Bruxelles (Insas) après avoir compris qu'elle ne faisait «pas assez "rebeu" ou pas assez Françoise».

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Faut-il poursuivre la (longue) liste des acteurs frustrés devenus réalisateurs ? «Les scénaristes ne devraient pas penser en termes de "rebeu", de "renoi" ou de "Gaulois", mais en termes d'acteurs», conseille le Franco-Marocain Hicham Ayouch, réalisateur de Fièvres, Etalon d'Or du Fespaco 2015, dont les acteurs Didier Michon et Slimane Dazi ont remporté le prix d'interprétation masculine du Festival du film de Marrakech 2013 des mains de Martin Scorsese. Ce dernier, né aux Etats-Unis de parents siciliens, issu de la classe ouvrière, les a tous influencés et a fait la renommée du cinéma américain (1).

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Aujourd'hui, un cinéaste qui a l'habitude de côtoyer des personnes dites «de banlieue» est en quête de personnages. Celui qui n'en a jamais (ou si peu) fréquenté cherche à personnifier. Comme si la couleur de peau, la religion ou les origines d'un comédien devaient forcément justifier son embauche. A qui la faute ? Aux réalisateurs, aux directeurs de casting, aux scénarios ? Aurait-on peur de se dire que le Gabin du XXIsiècle pourrait s'appeler Steve Tientcheu et que des talents comme Sébastien Houbani ou Emilia Derou-Bernal sont sous-exploités ? Ou bien ne sait-on même pas qu'ils existent et qu'ils savent jouer ? En 2015 encore, il semble que «le jeune de banlieue» est, comme «le provincial», un simple faire-valoir du «Parisien», figure de proue du cinéma français.

(1) Exposition et rétrospective «Martin Scorsese» à la Cinémathèque française, du 14 octobre au 14 février. 

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Claire Diao a 30 ans. Journaliste, elle écrit pour le Bondy Blog depuis 2012.

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