La crise des médias, un boulevard pour le Front national?

DISCLAIMER: Toutes les opinions affichées dans cette colonne reflètent l'avis de l'auteur, pas celle d'Euractiv Media network.

Les médias français accordent une grande visibilité à 5 élus eurosceptiques du Parlement européen. Ce qui pose la question de la mission de service public des chaînes de télé et de radio.

Pervenche Berès est eurodéputée et présidente de la délégation socialiste française au Parlement européen. Elle est membres de la commission des affaires économiques et monétaires et de la délégation pour les relations avec les États-Unis.

Le Parlement européen est incarné, dans les médias français, par très peu de visages : Mme Le Pen, M. Le Pen, Mme Morano, M. Mélenchon et M. Philippot, essentiellement.

Sur 74 eurodéputé-e-s français et 751 européens, cinq noms, c’est peu, de surcroit quand le choix de ces « bons clients » se porte systématiquement sur des élus anti-européens, alors que ces derniers restent très minoritaires dans l’hémicycle strasbourgeois, et ne sont pas particulièrement reconnus pour leur travail en commission parlementaire, ni pour leur influence au sein de l’institution.

Pourquoi une telle visibilité ?

De l’aveu même de nombreux journalistes, victimes comme nous de ce système, ces élus sont des « machines à clics, machines à fric » au moment où les médias traversent une crise économique sans précédent. À l’heure de la domination du « gratuit » financé par la publicité, de la multiplication des canaux de diffusion, de la baisse de la rentabilité et de la concurrence exacerbée qui pousse à la course au buzz, les extrémistes constituent, ironie de l’histoire, une planche de salut pour des médias économiquement à bout de souffle.

Prenons pourtant garde, il suffit de regarder ailleurs en Europe – en Hongrie notamment – pour comprendre à quel danger réel cette dérive à l’audimat expose la démocratie. Le boulevard qu’elle constitue pour le Front national, et les extrêmes de tout bord, -puisqu’il suffit de critiquer pour être invité-, mettent l’Europe et le Parlement européen en première ligne. Les têtes d’affiche à qui sont quotidiennement offert des plateaux sont élus à Strasbourg et ont fait de l’Europe l’ennemi à abattre…

Le monde est devenu plus vaste, plus complexe, plus rapide. Le rôle d’analyse des médias à qui on demande l’instantanéité est d’autant plus difficile. La fragmentation des rapports de force rend impossible une lecture simple de l’actualité. L’Europe et le Parlement européen sont de parfaits exemples de cette complexité : 28 cultures, des centaines de partis politiques, des majorités mouvantes selon le sujet, des situations, des histoires… On est loin d’une grille de lecture façon Facebook, « J’aime » ou « J’aime pas ».

Toutes les crises – économiques, sociales, internationales – depuis 2008 l’ont montré : les réponses, les choix, les actions à mener se situent au niveau européen. Les médias doivent prendre le temps de faire vivre le débat européen et de décrypter le monde dans lequel nous vivons. Radio France remplit, par exemple, ce cahier des charges, avec la déclinaison mensuelle du Téléphone sonne, dans une version spéciale Europe. Des émissions politiques, comme Des paroles et des actes ou Mots croisés, doivent s’inspirer de cette démarche, se délocaliser de temps en temps à Strasbourg : elles pourraient prendre le meilleur du journalisme à l’américaine, qui vise à mettre en lumière des eurodéputé-e-s influents, qui maîtrisent leur sujet et qui pèsent sur la décision européenne et donc sur la vie quotidienne des citoyens.

Il ne faudrait pas que l’Histoire retienne qu’en participant à la course au buzz et à l’audimat, en invitant jusqu’à l’écœurement des fossoyeurs de l’Europe, de la politique en général et de la chose publique nationale, la crise de rentabilité que connaissent les médias ait été une cause non négligeable de l’effondrement des remparts de la démocratie. Cette petite musique de mise à mort qui résonne dans nos télévisions n’a que trop duré.

Dans l’ère du capitalisme de la presse où sont sur-couverts, parce qu’ils attirent la curiosité malsaine de tous les spectateurs que nous sommes, certains aspects de l’actualité, faits divers ou évènements, têtes d’affiche, qui donnent une vision du monde au travers d’un prisme alarmiste et sécuritaire, ne serait-il pas temps de revenir à la responsabilité collective, dont la clef est sans nul doute une meilleure éducation aux médias et un décryptage plus en profondeur du présent. Journalistes et politiques en sortiraient gagnants, mais surtout, celle qui est, en danger : la démocratie.

Cette opinion est initialement parue dans le Huffington Post. 

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