Pendant les "affaires", les affaires continuent. Un mois après que le scandale Volkswagen a éclaté à la face de l'union européenne, les États membre de l'UE remettent le couvert. Profitant de l'accalmie médiatique sur le diesel, ils font pression sur la Commission européenne pour que les normes d'émission de particules fines soient modifiées. Dans quel sens ? Plus strictes, afin de protéger notre santé de la pollution ? Non ! Plus souples, afin de protéger l'industrie automobile européenne...
Ce crime organisé vient donc renforcer l'idée que nos dirigeants n'agissent clairement plus au nom de l'intérêt général. Et encore moins au nom des citoyens européens. Au nom de quelques intérêts privés et d'une vision court-termiste, ils sont prêts à perpétuer le mensonge du "diesel propre", et à nous arnaquer en maintenant des rabais fiscaux pour inciter l'achat de véhicules diesel. Et les dernières révélations mettant en cause l'ancien Commissaire Antonio Tajani - au courant des fraudes depuis 2013-, viennent encore le confirmer.
On aurait pu craindre que cette histoire soit du pain béni pour le Front National, jamais en rade d'accusation et de slogans provocateurs - mais toujours si peu inspiré quand il s'agit de proposer une alternative autre que le simple retour en arrière.
Sauf qu'en l'occurrence, Marine Le Pen se réfugie dans un silence assourdissant. Mais où est passée la grande prêtresse des petits contre les gros, des modestes contre les nantis, des Français contre les assauts étrangers? Envolée, la madone reste invisible au radar. A croire que Jeanne d'Arc est devenue sourde aux voix des Français.
Comment l'expliquer?
D'abord par son cynisme incontestable. Car au fond Marine Le Pen n'attend qu'une chose: que l'UE et François Hollande lâchent le diesel et les milliers d'emplois qui vont avec. Ainsi elle pourra brocarder à nouveau la caste au pouvoir, incapable de défendre la France et les Français comme jadis Charles Martel à Poitiers. Et récupérer dans les urnes les vaincus d'une mondialisation agressive et porteuse d'inégalités, comme elle s'en est fait spécialiste.
Sauf que manque de chance, les travailleurs sont victimes non de la mondialisation, mais d'un mensonge industriel à grande échelle. Et la France et ses voisins mettent une pression maximale sur Bruxelles non seulement pour défendre le diesel, mais aussi pour garantir son développement futur au nom d'un improbable chantage à l'emploi -rappelant étrangement au passage la défense du nucléaire. Avec le risque assumé de jouer notre santé à la roulette russe...
L'autre explication tient à la vision de l'Europe portée par Le Pen: une Europe purement intergouvernementale, avec 28 pays ramenés aux frontières nationales et mis chacun sous la direction d'un État fort et omnipotent. Sauf que là aussi, elle est bloquée.
Car c'est justement là que le bât blesse dans le scandale Volkswagen : ce sont bel et bien les États, obsédés par la concurrence qu'ils se font sur le marché automobile, qui défendent mordicus le diesel aux dépends de notre santé. Ce sont eux, les présidents et chefs de gouvernement, qui couvrent aujourd'hui les mensonges éhontés des constructeurs, ces soi-disant "champions nationaux" qui n'hésitent pas à tuer des milliers de "leurs" concitoyens pour préserver leurs profits et écouler leurs stocks de voitures-poubelles sur nos routes et dans nos villes asphyxiées.
Alors que faire, quand on s'appelle Marine Le Pen, face au scandale Volkswagen ? Se taire. Ou alors, ouvrir les yeux et voir la réalité en face: à ce scandale européen, il n'y aura de solution qu'européenne.
Les États membres couvrent leurs industriels automobiles? Que la Commission et le Parlement européen lancent de véritables enquêtes sur ce scandale et fassent la lumière sur les contournements du droit dont Volkswagen s'est rendu coupable.
Les tests d'émission de particules diesel sont trustés par les constructeurs nationaux afin d'organiser en amont le mensonge industriel? Et bien créons une agence européenne indépendante pour opérer les contrôles !
Les constructeurs ont profité d'aides d'Etat pour travailler à un diesel propre ? Et bien appliquons le droit européen, pour dénoncer ce dumping social et sanitaire bâti sur le dos des citoyens, contribuables et consommateurs européens !
Mais qui peut imaginer le Front National se mettre à relayer la faillite des États ? Personne, et surtout pas sa cheffe.
L'affaire Volkswagen, en clair, montre bien l'impasse dans laquelle se trouve Marine Le Pen. Face à un tel scandale, la vérité est qu'elle ne ferait pas mieux que Hollande. Pire, suivant sa stratégie de retour au tout-France, elle ferait même exactement la même bêtise, au nom de sa défense de la France éternelle (comprendre "France éternellement diesel"). Comme lui, elle se retrouve aujourd'hui prisonnière du mensonge: mensonge sur le diesel propre, mensonge sur la capacité de l'Etat à se soustraire à l'influence des lobbies, mensonge sur sa capacité à agir au service de ses citoyens, et à protéger la santé de toutes et tous.
Au fond ce qui manque à Marine Le Pen comme à celles et ceux qu'elle vilipende, c'est la volonté d'en finir avec le productivisme d'Etat hérité des années 70, et d'assumer un nouvel imaginaire politique, social, économique et culturel pour le XXIème siècle.
N'en déplaise à la candidate du FN aux régionales dans le Nord-Pas de Calais-Picardie, cet imaginaire passera forcément par l'Europe si l'on veut enclencher, enfin, le tournant écologique. C'est la condition de sortie du diesel en Europe, à moins de voir ce mensonge industriel être perpétué, et la liste de ses victimes européennes s'allonger.