Les agriculteurs menacent les eurodéputés de délocaliser

Les émissions d'ammoniac et de méthane proviennent du bétail. [glasseyes view/Flickr]

Si les élus européens votent pour la limitation des gaz à effet de serre issus de l’agriculture, la production agricole quittera l’UE selon le lobby agricole.

Le mercredi 28 octobre, les eurodéputés voteront sur le rapport de la commission de l’environnement sur la révision de la directive sur les plafonds d’émissions nationaux (PEN), qui limite les différents types d’émissions dans les États membres.

L’agriculture, dont le lobby est très influent, est responsable de 40 % des émissions de méthane et de 95 % de la pollution à l’ammoniac de l’UE, selon le Bureau européen de l’environnement (BEE). Les eurodéputés ont reçu du lobby de l’agriculture, Copa-Cogeca, une lettre menaçant une délocalisation massive si l’issue du vote est contraire à ses attentes. Le BEE a qualifié cette initiative de chantage.

Contacté par EURACTIV, le lobby a pourtant contesté la menace. « Nous ne disons pas que nous quitterons l’UE, mais nous appelons à des objectifs réalistes, sinon la production se déplacera vers des pays hors UE où les émissions sont encore pires », a indiqué un porte-parole.

Le méthane est un gaz à effet de serre d’une durée de vie limitée, mais qui a un effet bien plus intense que le dioxyde de carbone (CO2). Il se transforme également en ozone, un polluant atmosphérique. L’ammoniac cause quant à lui une acidification et une nitrification des sols.

>> Lire : L’agriculture traditionnelle menace environnement et biodiversité en Allemagne

La directive PEN révisée est la première tentative par la Commission de limiter les émissions de méthane. L’exécutif européen voudrait imposer une réduction de 30 % des émissions de méthane et de 27 % des émissions d’ammoniac d’ici 2030. La commission de l’environnement a validé le taux de réduction du méthane, et élevé à 29 % celui de l’ammoniac.

Copa-Cogeca est un lobby bruxellois représentant les coopératives agricoles et agriculteurs-éleveurs européens. C’est le secrétaire général du groupe, Pekka Pesonen, qui a envoyé un email aux eurodéputés. EURACTIV a pu avoir accès à ce texte.

« Les objectifs […] sont sans aucun doute nuisibles à la communauté agricole européenne, à l’environnement, à l’économie et à la société tout entière parce que la seule façon de les atteindre est de réduire la production en Europe et de la déplacer vers des pays tiers. Ce changement structurel énorme aura des conséquences pour la grande majorité des exploitations agricoles européennes et modifiera la manière dont notre modèle agricole est organisé », peut-on lire dans cette lettre.

Le Parti populaire européen (PPE), le plus grand groupe du Parlement européen, a déjà présenté des amendements supprimant les limites de la proposition de révision de la directive. Copa-Cogeca aurait donc envoyé son mail à des eurodéputés des autres groupes.

Chantage

Les défenseurs de l’environnement ont réagi avec mépris à ce qu’ils qualifient de menace scandaleuse, mais vide. Ils soulignent que le secteur agricole est le seul à exiger un traitement préférentiel. Contrairement à d’autres secteurs, la réduction des émissions demandée aux agriculteurs est limitée, alors même qu’il existe des solutions peu chères pour arriver à de bons résultats.

« Les eurodéputés ne doivent pas tomber dans le panneau de ces arguments, qui sont en soi du chantage », estime Pieter de Pous, directeur politique du BEE. « Les amendements exemptant les agriculteurs des limitations de pollution bénéficieront certainement aux grands exploitants agricoles qui produisent le plus d’émissions, mais elles ne vont absolument pas dans le sens de l’intérêt général. »

Un groupe de neuf ONG de défenses de l’environnement, dont le BEE, ont également écrit aux eurodéputés la semaine dernière, leur rappelant que la pollution de l’air tue plus de 400 000 personnes tous les ans.

Les ONG estiment que 42 865 vies pourraient être sauvées chaque année si le rapport de la commission de l’environnement était soutenu par le Parlement.

Objectifs 2030

Pekka Pesonen, de Copa-Cogeca, assure pourtant que la directive PEN n’est pas le cadre adapté pour limiter les émissions de méthane. Comme il s’agit d’un gaz à effet de serre, il devrait être inclus dans les règles liées aux objectifs climat et énergie 2030, estime-t-il.

En octobre 2014, les dirigeants européens se sont mis d’accord sur une réduction d’au moins 40 % des gaz à effet de serre d’ici 2030, en comparaison avec les niveaux de 1990. Cet engagement est la pierre angulaire de la position de négociation du groupe pour les négociations de la conférence de l’ONU sur le climat qui se déroulera à Paris et a pour objectif de limiter le réchauffement climatique à deux degrés au-dessus des niveaux préindustriels.

En juillet, la commission du Parlement européen sur l’environnement a soutenu des objectifs plus stricts que ceux qui avaient été initialement avancés par la Commission. Avant ce vote, la commission parlementaire pour l’agriculture avait voté pour que les objectifs méthane et ammoniac soient retirés du projet de loi.

À la commission de l’environnement, le rapport sur la directive PEN était passé sans grande marge, puisque 38 membres se sont exprimés en faveur de ce rapport, 28 s’y sont opposés et 2 se sont abstenus.

Les eurodéputés de la commission de l’environnement souhaite imposer des plafonds nationaux pour six polluants (soufre, dioxyde, oxyde d’azote, ammoniac, méthane, matières particulaires et composés organiques volatils), que les pays devront les respecter d’ici à 2030.

Ils ont soutenu des objectifs contraignants pour 2025 pour tous les polluants, excepté le méthane. Les objectifs méthane ont été repoussés jusqu’en 2030 pour laisser le temps au secteur agricole de s’adapter.

Le rapport de la commission augmente également de 2 % la réduction d’émissions d’ammoniac, qui passerait donc des 27 % de la proposition de la Commission à 29 %. La Copa-Cogeca souhaite supprimer ces 2 % supplémentaire. 

>> Lire : Les ministres de l’Environnement européens rétropédalent sur la pollution de l’air

Divisions

Le vote du 28 octobre déterminera la position du Parlement avant que la révision de la directive ne passe aux mains du Conseil. Les deux institutions doivent se mettre d’accord sur le texte avant que celui-ci ne devienne une loi.

Le 15 juin, les ministres de l’Environnement ont demandé plus de flexibilité pour atteindre les objectifs de l’UE en matière de pollution de l’air, et ce, juste après avoir supprimé la mesure limitant les émissions de méthane de leur version de la directive.

>> Lire : Les États membres refusent de limiter les émissions de méthane

L’eurodéputée conservatrice Julie Girling, qui est responsable de la proposition, a voté contre son propre rapport après qu’une coalition d’eurodéputés libéraux et de gauche l’ait amendé pour y intégrer des objectifs plus ambitieux.

Elle estime en effet que des objectifs plus élevés ne passeraient pas au Conseil des ministres. Les positions du Conseil et du Parlement sur le sujet sont extrêmement différentes que la révision a failli disparaitre dans le cadre de l’initiative de « mieux réguler ».

>> Lire : Le spectre du « mieux légiférer » menace la loi sur la pollution de l’air

En décembre, Frans Timmermans a annoncé que le règlement serait modifié lors d’un trilogue entre les institutions afin de faciliter un accord.

« Le processus législatif a été complètement assombri par le risque que la Commission retire sa proposition et par son intention déclarée de procéder à une révision après que le Parlement a adopté sa position initiale », avait déclaré Julie Girling à l’époque. 

La pollution de l'air comprend plusieurs matières particulaires : la fumée, la saleté et la poussière issues des grosses particules (PM10) ; les métaux et fumées toxiques issues de la fonte de métaux, des gaz d'échappement, des centrales nucléaires et de l'incinération des déchets (matières à fines particules PM2.5).

La directive de 2008 sur la qualité de l'air vise à harmoniser et à renforcer la réglementation européenne en matière de normes pour la pollution et l'air. Elle est en cours de révision.

Selon cette directive, les États membres sont tenus de réduire l'exposition aux matières à fines particules de 20 % en moyenne d'ici 2020, par rapport aux niveaux de 2010.

La plupart des politiques appliquées proviennent de la stratégie sur la qualité de l'air, qui vise à réduire les émissions de dioxyde de soufre (SO2) de 82 %, les émissions d'oxyde d'azote (NOx) de 60 %, les émissions de composés organiques volatiles de 51 %, les émissions d'ammoniac (NH3) de 27 %, et les particules primaires de 59 % par rapport aux niveaux de 2000.

Les groupes de protection de la santé pensent que les coûts engendrés par la réduction des émissions, grâce à des filtres de fumées d'usine, des véhicules propres et l'adoption de carburants renouvelables, seraient plus que compensés en évitant les complications liées à la mauvaise qualité de l'air.

La directive sur le plafond d'émission national (PEN) faisait partie du paquet législatif. Elle prévoit des plafonds d'émissions à atteindre d'ici 2020 pour six polluants atmosphériques, comme les matières particulaires et l'oxyde d'azote.

Jean-Claude Juncker, le nouveau président de la Commission européenne, a promis de recentrer l'attention de l'exécutif européen sur les thématiques les plus importantes à l'heure actuelle et de supprimer les lois non nécessaires, ou qui entravent les activités commerciales.

Le vice-président de la Commission, Frans Timmermans a reçu du président Jean-Claude Juncker la mission d'alléger l'appareil administratif et de mettre en place une « meilleure législation » dans l'UE.

Il a notamment analysé les projets de législation non aboutis de la Commission Barroso et décidé d'abandonner certaines mesures.

La volonté de la Commission d'une « meilleure législation » a suscité les inquiétudes des organisations environnementales, des syndicats et des groupes de consommateurs, qui ont appelé la Commission à ne pas abandonner les projets de loi sur l'environnement et l'égalité des genres. Ces organisations ont exhorté la Commission a ne pas supprimer ces sujets du programme de travail de la Commission pour l'année 2015, qui a été présenté en décembre.

En réponse à ces réactions, Frans Timmermans a annoncé que la Commission abandonnerait le paquet sur l'économie circulaire pour la remplacer par une législation « plus ambitieuse » en 2015, et modifierait la directive PEN pour faciliter son adoption.

  • 28 octobre : Vote en séance plénière au Parlement (Strasbourg).
  • 30 novembre : Début de la conférende de l'ONU sur le climat à Paris (COP21).

ONG

Associations de représentation

  • Site Internet : Copa-Cogeca (lobby de l’agriculture)

Parlement européen

Commission européenne

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