En France, on peut ne pas résider là où l’on vote. Résidence locale et inscription sur les listes électorales sont en partie découplées. On peut même être élu d’une circonscription, d’une commune ou d’une région où l’on ne réside pas vraiment. Il faut cependant y mettre les formes : louer une chambre dans la maison de sa mère en Aveyron, comme le fait Dominique Reynié, pourtant professeur de science politique à Paris, suscite des accusations de parachutage. Mais quelle est l’ampleur du phénomène?
Il est difficile de l’estimer directement, mais on peut le visualiser. Comparons, pour chaque commune de France métropolitaine, le nombre de résidents majeurs au moment du recensement de 2012 et le nombre de personnes inscrites sur les listes électorales en 2012. A priori ces chiffres devraient correspondre, mais non. La carte ci-contre, qui présente des données lissées, le montre bien.
Il existe une géographie de la sous-inscription et de la sur-inscription. En région parisienne, et dans les sous-préfectures, il y a parfois beaucoup moins d’inscrits majeurs que de résidents. C’est qu’il y a des étrangers (qui n’ont pas le droit de vote), mais aussi parfois beaucoup d’électeurs qui votent ailleurs. Des étudiants, encore attachés à leurs parents. Des propriétaires de résidences secondaires, qui peuvent combiner week-end électoral et week-end de repos. Des personnes nées ailleurs qui votent là où se trouve le cimetière familial.
Et dans une large partie des communes française (environ une sur deux), il y a donc plus d’inscrits majeurs que de résidents. La bordure atlantique, les Pyrénées, le Morvan, les Alpes, la Corse de l’intérieur et le Massif central. La France vide. La France des attachements familiaux. La France d’où l’on vient, et où l’on revient, parfois, pour les vacances.
Certes ces inscrits sur-numéraires ne sont pas très nombreux, rarement plus de 10% des résidents. Mais ils peuvent faire et défaire, au niveau communal, les majorités locales. Parfois, comme le montre Lucie Bargel (Université de Nice) dans ses travaux, le maire lui-même réside ailleurs, ainsi qu’une bonne partie du conseil municipal. Beaucoup de petits villages sont ainsi dirigés depuis la ville : le sénateur-maire-président du conseil général est certes un «enfant du pays», mais il s’en est quand même éloigné.
De cela, il faut tirer des conclusions: dans nos sociétés d’attachements pluriels, le vote aussi est soumis à la mobilité. Résidences partagées, éloignements professionnels, migrations, déménagements, suscitent des procurations et «l’inscription ailleurs».