Voici pourquoi les femmes sont loin d'être les égales des hommes au Maroc

Lois archaïques, stéréotypes et manque de volonté politique finissent de figer la femme dans une situation inférieure à celle de l’homme, selon des conclusions du CNDH.

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Santé, lois, stéréotypes, accès au travail : le CNDH passe en revue les inégalités hommes/femmes. Crédit : Daniel Cruz Valle.

Est-ce la loi ou les mentalités qu’il faut changer ? Les deux, répond le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH). Dans son rapport sur l’état de l’égalité et de la parité au Maroc publié le 22 octobre, l’instance liste les freins à une égalité des sexes, et détaille l’ensemble des aspects montrant qu’il ne fait pas bon être femme au Maroc.

Le droit est archaïque

Si le Maroc a réalisé des avancées, en retirant ses réserves à propos de l’article 9 ( transmission par la femme de sa nationalité à ses enfants) et de l’article 16 (liberté de choisir son mari etc.) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), il campe toujours sur sa déclaration interprétative de l’article 2 (qui stipule entre autre, l’abrogation des mesures pénales qui constituent une discrimination à l’égard des femmes) et du paragraphe 4 de l’article 15 (liberté de circulation).

Le code de la famille, bien que réformé en 2004, perpétue les inégalités entre les hommes et les femmes. Parmi elles : le mariage des mineurs et la polygamie toujours autorisés, les règles de l’héritage toujours fondées sur l’idée selon laquelle l’homme doit entretenir le foyer, la dot de mariage pour le valider… Une série de dispositions qui consacrent le paradigme de la Qiwâmah et renvoient à la suprématie/prééminence des hommes sur les femmes.

Le code pénal est lui aussi archaïque en la matière. Par exemple, le texte hiérarchise les victimes de viol (mariées ou pas, vierges ou pas), n’incrimine toujours pas le viol conjugal, pénalise les relations hors mariage et l’avortement.

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Des lois non respectées

Le CNDH recommande la diffusion de la CEDEF auprès des magistrats. Aussi, il regrette la mauvaise interprétation que les juges font du chikak, divorce pour discorde. Nombre d’entre eux le considèrent comme un divorce pour préjudice et demandent ainsi à la femme de prouver le préjudice. Dans un tout autre domaine : le droit du travail n’est pas respecté, et des femmes enceintes se font régulièrement licencier.

Le rapport dénonce également des pratiques administratives contraires à la loi comme par exemple l’obligation pour une femme mariée d’obtenir l’autorisation du père de ses enfants pour voyager en compagnie de ces derniers.

Les femmes arrivent encore moins que les hommes à faire respecter leur droit et à avoir accès à la justice. Par exemple, nombre d’entre elles ne touchent pas la pension alimentaire à laquelle elles ont pourtant droit.

Le législateur ne fait pas assez

Bien que la Constitution le demande, certains textes censés consacrer la parité n’ont toujours pas été adoptés par le parlement. En tête : la loi sur les violences à l’encontre des femmes. Le CNDH appelle notamment à la création de l’APALD (Autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discriminations) et du Conseil consultatif de la famille et de l’enfant.

Des actes de violences impunis

Le taux de prévalence global de la violence fondée sur le genre est de 62,8 %. Près de 3,4 millions de femmes ont subi, à un moment ou à un autre de leur vie, un acte de violence physique (taux de prévalence de 35,3 %) ; 2,1 millions de femmes ont subi un acte de violence sexuelle à un moment ou à un autre de leur vie (taux de prévalence de 22,6 %) ; 4,6 millions de femmes ont subi des violences psychologiques (taux de prévalence de 48,4 %) et enfin, prés de 2,986 millions de femmes ont subi des atteintes à leur liberté individuelle (taux de prévalence 31,3%).

Le rapport du CNDH met en avant l’impunité des agresseurs, les difficiles relations qu’entretiennent les femmes avec la police lorsqu’elles veulent porter plainte, l’absence de disposition spécifique contre les violences domestiques.

Stéréotypes véhiculés et infériorité acceptée

Pour le CNDH, d’un côté le maintien de certaines normes véhicule des stéréotypes et de l’autre ces stéréotypes limitent les réformes. En somme, il s’agit d’un cercle vicieux. D’après l’instance, les stéréotypes sont véhiculés par les médias mais aussi l’école, à travers principalement les manuels de langue arabe et ceux d’instruction islamique, qui montrent une logique figée des relations entre hommes et femmes.

La violence conjugale est fortement acceptée par la société. Dans « l’enquête mondiale sur les valeurs » cité dans ce rapport, il a été demandé aux Marocains s’ils pensaient qu’il est justifié qu’un homme batte son épouse. Or, 47 % des hommes estiment que c’est acceptable (et 27 % des femmes). Le CNDH met en avant le fait que les femmes intègrent le fait qu’elles ne sont pas les bienvenues dans l’espace public. Elles mettent en place « une stratégie pour faciliter l’accès à l’espace public sans se l’approprier complètement », en sortant accompagnées, qu’à certaines heures et vêtues d’une certaine manière.

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Le CNDH montre que la prégnance des stéréotypes a d’autant plus d’impact qu’elle est véhiculée par des acteurs qui sont censés protéger les individus et les droits de l’Homme comme les magistrats et la police. Or, il s’agit justement de corps de métiers peu féminisés.

Un manque d’indépendance financière

Si le Maroc a fait beaucoup de progrès en la matière, les filles sont toujours moins scolarisées que les garçons. Cette inégalité est surtout flagrante au niveau préscolaire dans le monde rural. L’analphabétisme est plus important chez les femmes, celles-ci ont donc plus de difficulté pour se défendre et faire valoir leurs droits.

Aussi, le CNDH déplore que « le Maroc a fortement investi dans l’éducation des femmes sans pour autant promouvoir la légitimation et leur participation dans la sphère publique et économique ». Ainsi, les femmes ont un faible taux d’activité par rapport aux hommes (3 fois moins élevé), taux d’ailleurs en recul régulier depuis les années 2000. Et pourtant, il est clair que le travail est un déterminant essentiel pour garantir l’indépendance et l’autonomie des femmes.

Mais quand bien même elles travaillent, les femmes ont toujours moins de chance d’accéder à des postes à responsabilité, que ce soit dans le secteur privé ou dans la fonction publique. Le CNDH déplore que les syndicats ne s’intéressent pas aux problématiques liées au genre, comme le harcèlement sur le lieu de travail notamment.

Le CNDH fait une recommandation inédite : fournir aux familles à deux actifs, c’est à dire à celles où la femme et l’homme travaillent,  des incitations financières et/ou avantages fiscaux.

Des profils qui cumulent les tares

Pour toutes ces raisons, les femmes sont plus vulnérables. Certaines d’entre elles sont particulièrement isolées et se retrouvent en situation précaire. Le CNDH évoque notamment le cas des femmes âgées (d’autant plus si elles sont veuves ou divorcées), des femmes handicapées, des mères célibataires (90 % des femmes recensées sont exclues de leur milieu familial et social dès leur grossesse, et elles ne peuvent pas bénéficier de la pension alimentaire dispensée par le fonds d’entraide familial), ou encore des femmes détenues.

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