Publié le 28 octobre 2015
Quels seraient les pays les plus pollueurs si les émissions liées à la consommation, et non pas seulement à la production, étaient prises en compte dans les calculs officiels ? C’est à cette question qu’a voulu répondre Elisabeth Laville, fondatrice du cabinet de conseil Utopies et de l’observatoire de la consommation responsableMesCoursesPourLaPlanete.com. Au niveau mondial, les cartes seraient complètement rebattues et pourraient modifier l’équilibre des forces dans les négociations climatiques internationales. Entretien.

Novethic. Quels sont les principaux résultats du rapport sur "Les omissions de CO2, le rôle caché de notre consommation dans notre impact climatique" sur lequel vous travaillez actuellement ?
Elisabeth Laville. La principale conclusion est que l’approche utilisée depuis le protocole de Kyoto n’est pas la bonne. Celle-ci  privilégie les émissions de CO2 sur un territoire à partir de ce qui est produit dans le pays, ce qui profite surtout aux Occidentaux, car ils importent de plus en plus ce qu’ils consomment. Nous militons pour une approche globale qui prenne en compte la consommation.
Prenons le cas de la France : si nous intégrions les émissions liées à l’importation des produits consommés sur notre territoire, nos émissions de CO2 seraient en hausse de 41 % ! Pour arriver à ce résultat, nous avons calculé le solde entre les émissions liées aux importations et celles liées aux exportations. Cela veut dire qu’en réalité nous émettons 41 % de plus que ce qui est dit. Evidemment, cet écart va se creuser au fil du temps car la France est un pays en voie de désindustrialisation.
Si l’on prend en compte les omissions de CO2, on voit bien que les entreprises ont une part de responsabilité très importante, bien plus que les ménages. Par ailleurs, l’agriculture apparaît comme le secteur le plus contributeur, la France important notamment beaucoup de produits d’Afrique où l’agriculture sur brûlis par exemple est encore largement pratiquée.  

 

Novethic. En quoi ces résultats modifient-ils la carte actuelle des pays les plus pollueurs ?   
Elisabeth Laville. Ils la modifient complètement ! D’après nos calculs, il y a trois catégories de pays. D’abord, les pays lésés : ce sont ceux qui ne consomment quasiment rien pour l’instant mais qui émettent beaucoup car ce sont des pays exportateurs comme le Cameroun (- 82 % par rapport à ce qu’il émet actuellement selon les calculs traditionnels), l’Algérie (- 86 %), l’Ethiopie (- 359 %), le Ghana (-185 %) ou encore le Qatar (- 76 %).
Dans le deuxième groupe,  on trouve les pays pour qui l’impact serait très important. Il s’agit des pays occidentaux, peu émetteurs selon les chiffres officiels, mais en réalité très émissifs parce qu’ils importent beaucoup et produisent de moins en moins. C’est le cas de la France (+ 41  %), du Royaume-Uni (+ 43 %), du Japon (+ 38 %), de l’Allemagne (+ 28 %) et des petits pays qui importent beaucoup comme Monaco (+ 100 %) ou le Luxembourg (+ 62 %).
Enfin le dernier groupe, ce sont les pays pour lesquels ça ne change rien car ils exportent autant qu’ils consomment. C’est le cas par exemple du Brésil (+3 %), de l’Inde (- 4 %), de l’Indonésie (- 3 %) ou encore du Vietnam (- 6 %).  

Novethic. Qu’en est-il de la Chine et des Etats-Unis, premiers pollueurs mondiaux ?  
Elisabeth Laville. Pour les Etats-Unis, qui sont à la fois un gros producteur et un gros consommateur de gaz à effet de serre, cela ne change pas fondamentalement la donne : il resterait parmi les plus gros émetteurs. Mais ses émissions réelles seraient tout de même en hausse de 16 %.
La Chine, le premier émetteur de gaz à effet de serre de la planète selon le mode de calcul basé sur la production, resterait le plus gros pollueur. Mais si l’on adopte le mode de calcul basé sur la consommation, le pays émettrait en réalité 13 % de GES en moins ! Tout simplement parce qu’une large part de ses émissions est encore due aux produits exportés pour notre consommation en Occident. Mais cette tendance est train de s’inverser du fait de la forte hausse de la consommation intérieure chinoise. La Chine faisait récemment partie du dernier groupe mais est en train de rejoindre le deuxième.  



Novethic. Quelles pourraient être les conséquences au niveau des négociations climatiques internationales ?  
Elisabeth Laville. Cela pourrait changer le prisme des discours entre les pays. Cela pourrait même aider à conclure à des accords si l’on posait bien le problème. J’aime bien la phrase du philosophe Henri Bergson qui dit qu’un problème bien posé est à moitié résolu. Je pense que c’est vers cela que nous devons tendre, même si nous n’avons pas la solution. Par ailleurs, ce qui est sûr c’est que pendant longtemps les Chinois ont été pointés du doigt alors qu’à l’époque ils n’étaient pas les principaux responsables. Si nous avions utilisé notre mode de calcul,  il aurait été plus facile de les emmener avec nous dans la discussion.  

Novethic. Quelle est la position de la France par rapport à ce mode de calcul ?  
Elisabeth Laville. La France est l’un des seuls pays à avoir posé plusieurs fois le problème. Elle dispose d’ailleurs déjà d’un indicateur global, l’empreinte carbone, qui prend en compte la consommation, dans le cadre de la stratégie nationale de développement durable. Mais cela ne sert malheureusement pas à grand-chose car le gouvernement n’a fixé aucun objectif de réduction par rapport à cet indicateur. Tout ce qui est fait politiquement sur le climat ne prend en compte que la production et jamais la consommation. Avec l’accueil de la COP21, la France pourrait justement s’ériger en modèle en étant le premier pays à suivre un indicateur global et à s’engager à le réduire. C’est un enjeu important.  

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