« Et nos SDF ? » : une page Facebook épingle la « crème » des commentaires haineux

Lassés de la réplique « Aider les réfugiés ? Mais qui s’occupe de nos SDF ? » comme prétexte au rejet de l’autre, trois citoyens gèrent une page Facebook de dénonciation des commentaires haineux.

Georges Lekeu
« Et nos SDF ? » : une page Facebook épingle la « crème » des commentaires haineux
Et nos SDF ? ©Facebook

Comment endiguer la montée en puissance des commentaires haineux sur les réseaux sociaux?

En les épinglant sur une page Facebook, tranche les administrateurs de «Et nos SDF? Le best of».

Epaulée par «Sam, 29 ans, infirmier» et «Tom, 34 ans, instituteur», «Sophie, 36 ans, indépendante» moissonne et publie les captures d'écran des réactions les plus odieuses «sur la crise de l'accueil des réfugiés.»

Le détonateurde cette montée aux barricades anonyme: l'exploitation du traitement réservé aux sans-abri comme «argument bateau pour justifier le rejet de l'autre.»

+ Cliquer ici pour découvrir la page Facebook «Et nos SDF? Le best of»

Pour nouer le dialogue avec l’équipe de cette page, le secret et l’anonymat sont plus que jamais de mise à l’heure de décrypter leur initiative.

Morceaux choisis d’un échange entretenu sur… Messenger, la messagerie instantanée de Facebook.

Hystérie collective

«La page a été lancée (…) en réaction face aux nombreux commentaires racistes, idiots, ou souvent les deux, qui ont soudain explosé sous les articles qui traitaient de la question de l'accueil des candidats réfugiés», nous écrit Sophie («qui n'est de toute manière pas mon vrai nom»), retranchée derrière son écran.

«Cette histoire a rapidement tourné à l’hystérie collective et on a vite constaté une escalade, tant dans le caractère profondément raciste de certains commentaires, que dans l’étalage de l’ignorance et de la mauvaise foi populaires. On y retrouvait tous les fantasmes habituels : invasion, perte d’identité, crainte pour son pouvoir d’achat, etc.»

Les médias pointés du doigt

«Les gens conspuent les réfugiés parce qu'ils ont peur pour leurs fins de mois, pour leur travail, pour leurs allocations, etc.», poursuit Sophie. «Alors que cette crainte n'a aucun fondement.»

«Cette crainte est juste entretenue par les médias qui veulent toujours plus d’audience et n’hésitent pas à jouer la stratégie de la « pute à clic » pour attirer toujours plus de commentaires sur leurs sites, quitte à s’asseoir sur la déontologie (…)

La page doit aussi susciter une réflexion par rapport à cette réalité : la plupart des commentaires mis en lumière ne sont pas rédigés par des fachos de base, juste par des gens qui sont mal informés. La faute à qui ? Aux journalistes qui font mal leur métier.»

Combattre l’ignorance

«Pour l’avenir, il nous semble qu’il y a une réflexion à engager avec les médias, le Conseil de déontologie journalistique, les associations de lutte contre le racisme, peut-être même avec les écoles.

Notre page est un témoignage assez fidèle de ce qu’engendre l’ignorance. Il y a un travail de fond à faire à ce niveau-là, parce que ça commence à devenir effrayant. Et les médias doivent assumer leur part de responsabilité. Idem au niveau de l’enseignement. Autant d’ignorance sur notre histoire, c’est hallucinant. »

«Ce n’est pas de la délation»

Renforcée par l’écho inquiétant de projets similaires, une page comme «Et nos SDF? Le best of» se focalise sur les commentaires publiés sur Facebook sous les articles diffusés par la presse sur le réseau social cher à Mark Zuckerberg.

Au moment d’affronter ces réactions haineuses, quelle est la responsabilité exacted’un média?

«Elle est double», tranche Ricardo Gutiérrez, secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes.

«Elle est juridique, d’abord. Un média est responsable des propos qu’il relaie, même s’il ne les approuve pas. Cela commence à poser problème dès que ces commentaires relèvent par exemple de l’incitation à commettre des actes violents.

La responsabilité est morale, ensuite. Les médias sont des balises pour les citoyens. Ils sont des liants de la société censés les aider à décrypter les faits de l’actualité».

Quant à la déontologie invoquée par l'administratrice de la page «Et nos SDF?», «elle contient des règles qui interdisent d'attiser la haine, même de façon indirecte», précise Ricardo Gutiérrez. «La déontologie précise aussi que le journaliste est responsable de la modération des commentaires.

Même si je conçois qu’il est compliqué, pour des questions de moyens, de tout surveiller constamment, ce qui compte, c’est la manière dont on utilise l’outil.

Quelqu’un qui déverse sa haine sous un article continuera si on ne l’arrête pas. Il rameutera d’autres interlocuteurs. Il faut un modérateur qui interagit et qui adopte une attitude responsable pour ne pas laisser ces propos se propager sans réaction.»

Publier une sélection des commentaires haineux sur Facebook, le secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes comprend la démarche.

«J’ai entendu certain crier à la délation. Ce n’est pas de la délation. Ces propos ont été tenus publiquement. Ils bénéficient via ces pages d’une exposition qui incitera peut être leurs auteurs à ne plus dépasser les limites. Cela leur rappelle qu’ils expriment leur opinion à la face du monde. Ils doivent assumer.

Je comprends la démarche de ces pages. Je ne le ferais pas, mais je trouve ça bien, je salue l’initiative, tout en percevant ses limites. Il faut aller plus loin, notamment en termes d’éducation et d’interaction.»

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