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A Lesbos, après le calvaire en mer, celui du hotspot

Dans le camp de Moria, le hotspot sur l'île de Lesbos, de longues files d'attente, de 2000 à 3000?personnes de différentes nationalités patientent dans le vent et la pluie. AP

Quatorze morts noyés, dont huit enfants, de nombreux disparus et heureusement plus de 240 personnes secourues. C'était hier le bilan d'une longue bataille nocturne, après la dérive de trois bateaux remplis de migrants dans une mer déchaînée au large de Lesbos. Les ports de Molyvos et de Petra se sont transformés en campements hospitaliers. Médecins, secouristes ou simples habitants se sont affairés toute la nuit pour sauver les rescapés, souffrant d'hypothermie. Plusieurs enfants sont hospitalisés, trois d'entre eux ont été hélitreuillés vers Athènes, pour cause de jambes putrescentes après plus de 24 heures dans l'eau.

Enorme file d'attente

Olivia Freouti, volontaire arrivée depuis une semaine, ne peut retenir ses larmes: «Si cela continue, l'île va devenir un charnier. Ces derniers jours, un canot arrive toutes les 10 minutes avec sa cargaison d'hommes, de femmes, et d'enfants, souvent de très jeunes enfants.» Syriens, Irakiens, Afghans, Erythréens n'hésitent plus même en cas de tempête à prendre la mer pour débarquer enfin en Europe et se croient sauvés quand ils ont échappé à la fureur des eaux.

Mais un autre calvaire les attend. Jusqu'à maintenant, les autorités grecques se contentaient de leur donner un laissez-passer pour rejoindre Athènes et de là, partir vers les pays du Nord. Désormais, après le sommet européen qui a décidé de la création d'un hotspot à Lesbos, le premier d'une série de quatre autres à venir en Grèce (sur les îles avoisinantes de Chios, Samos, Cos et Leros), ces rescapés doivent passer à travers cet entonnoir pour s'enregistrer. C'est le petit village de Moria, perdu dans les oliviers à quelques kilomètres de la capitale Mytilène, que se trouve ce hotspot, un camp entouré de barbelés. Tout au long de la route qui monte au centre, des grappes humaines avancent avec difficulté. Autour des baraquements, de longues files d'attente, de 2000 à 3000 personnes de différentes nationalités patientent dans le vent et la pluie.

Questions piège

Des policiers de Frontex, l'agence de sécurité européenne chargée de la surveillance des frontières, vérifient un par un leurs documents par crainte de faux papiers. Les plus recherchés, parfois achetés à prix d'or dans les bas-fonds Istanbul ou d'Izmir, sont les passeports syriens. Les seuls qui donnent d'emblée le droit au titre salvateur de réfugié politique. Tout est mis en place pour distinguer les vrais Syriens des autres qui se disent de Damas ou d'Alep. Chacun laisse ses empreintes digitales et un traducteur arabe leur pose quelques questions d'allure anodine: nommer la femme du président syrien Assad ou reconnaître un billet de banque syrien. Le test est implacable.

Les rejetés sont relégués dans une autre partie du camp, une aire couverte d'immondices. Ceux-là n'ont droit à rien officiellement, ni aide alimentaire, ni vêtements, ni couvertures, ni soins médicaux. Khaled, un jeune Irakien, en est tout chamboulé: «Les policiers nous ont malmenés, ils nous ont même lancé des gaz lacrymogènes. Comme si on était des criminels.» Les déboutés se sentent soupçonnés d'être des migrants économiques, des profiteurs du flux migratoire pour tenter leur chance vers une vie meilleure. Ils se retrouvent piégés en Grèce, obligés d'attendre, parfois des semaines durant, que l'on examine leur cas. Sans que personne n'ait la solution.

Les autorités grecques sont désemparées devant l'afflux continu de migrants (600 000 depuis le début de l'année). A l'approche de l'hiver, le flux s'accélère: 10 000 par jour rien que pour l'île de Lesbos cette dernière semaine. Ceux qui n'ont pas obtenu le statut de réfugié ont un laissez-passer d'un mois en Grèce, avec interdiction de s'approcher des ports et des frontières. Ceci sur le papier. Car après avoir embarqué sur le bateau pour Athènes, ils tentent de nouveau leur chance en prenant la route vers le Nord, via la Serbie ou la Slovénie. Mais là désormais, les attendent des nouveaux murs. Pour le ministre grec de la Marine, Theodore Dritsas, cette politique est sans issue: «Tant que l'Europe cultivera les égoïsmes nationaux, les passeurs feront d'énormes chiffres d'affaires au détriment de la vie des réfugiés.»