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Climat

Le cyclone Chapala, nouvelle plaie du Yémen

Un épisode dépressionnaire d'une violence inégalée va frapper lundi le pays du Golfe persique. Une nouvelle illustration du réchauffement ?
par Christian Losson
publié le 30 octobre 2015 à 17h55

Des vagues dépassant les 7 mètres, des vents moyens de 240 kilomètres/heure, des glissements de terrain à répétition : le cyclone Chapala devrait déverser dès lundi soir l'équivalent de six à huit années de pluie en quarante-huit heures sur le Yémen, pays dévasté par la guerre civile. «Un cyclone tropical très rare et potentiellement à fort impact s'est formé dans la mer d'Oman et s'est intensifié très rapidement», a prévenu à la mi-journée Claire Nullis, porte-parole de l'Organisation météorologique mondiale, basée à Genève. Keraunos, l'Observatoire français des tornades et orages violents, le montre ainsi :

Le Met Office, le Météo France britannique, renseigne, lui, clairement sur l’actuelle position du cyclone dans ce tweet publié à 14 heures.

Une image assez précise est également diffusée par le service de météorologie d’Oman :

Chapala, qualifié par les experts de «tempête cyclonique très sévère», devrait devenir une «super-tempête cyclonique», avec des vitesses de vent pouvant atteindre 220 à 240 km/heure, l'équivalent d'un ouragan de catégorie 4 (sur une échelle allant jusqu'à 5). Et même s'il pourrait faiblir à l'approche des côtes du sultanat d'Oman et du nord du Yémen, il s'annonce redoutable dans une région certes désertique et peu peuplée. Le port de Salalah, à Oman, se trouve sur la trajectoire du cyclone, qui pourrait encore gagner en vigueur et atteindre le niveau 5…

«C’est inédit»

Les cyclones sont un phénomène «extrêmement rare» dans cette région du monde, selon les experts de l'ONU. L'OMM ne sait toutefois pas dans quelle mesure ce cyclone peut être attribué au changement climatique. Une chose est sûre, a souligné Claire Nullis, les températures chaudes en mer − comme celles qui prévalent cette année − conduisent à une plus forte activité cyclonique. «Avec le changement climatique, nous nous orientons vers des territoires inconnus», a cependant reconnu la porte-parole de l'OMM.

Même si les climatologues ne sont pas parvenus à un consensus pour montrer le lien entre la multiplication des cyclones, leur violence et le changement climatique, beaucoup reconnaissent que la hausse des températures de surface des océans peut favoriser des cyclones puissants. Quant aux prévisionnistes météo, ils se contentent d'observer. Et notent, comme le confie François Gourand, prévisionniste à Météo France, que l'«on n'a jamais vu un cyclone d'une telle violence. Un autre cyclone, Gonu en 2007, le plus fort cyclone tropical enregistré dans la mer d'Arabie [et qui avait fait 78 victimes et 4 milliards de dollars de dégâts, ndlr], était passé plus au nord. Là, en revanche, il arrive sur l'est du Yémen. C'est inédit».

En revanche, une étude parue le 1er septembre dans la revue Nature, met en garde contre la recrudescence de cyclones dans le Golfe persique en raison du réchauffement climatique. «On ne peut pas toujours s'appuyer sur l'histoire» pour prédire le futur, y assure notamment Ning Lin, de l'université de Princeton. «ll y a quelque chose de particulier cette année, car on a quand même des nombres de cyclones d'une puissance record dans le Pacifique Ouest ou Est», ajoute François Gourand. Chapala compris, la saison cyclonique (entre juin et octobre dans l'hémisphère Nord, et de novembre à avril dans l'hémisphère Sud) n'a jamais connu autant de cyclones : c'est le 26événement cyclonique majeur (de catégorie 3 ou supérieure, soit des vents au minimum de 178 km/h). A l'instar du cyclone Patricia, le plus puissant cyclone tropical jamais observé dans le nord-est du Pacifique, selon le centre national des ouragans de l'Agence océanique et atmosphérique américaine (NOAA).

Stress hydrique

Les cyclones tropicaux se forment au-dessus des eaux chaudes de la zone intertropicale. L'humidité de l'atmosphère et des températures élevées dans les cinquante premiers mètres de l'océan (généralement au-dessus de 26 °C) alimentent ces systèmes et favorisent leur renforcement. Or, leur férocité est renforcée par El Niño, un phénomène qui revient tous les trois à sept ans, réchauffant les eaux du Pacifique, humidifiant l'atmosphère et alimentant les cyclones en énergie. Chapala l'illustre. «Dans la mer d'Arabie, les températures sont entre 1,5 et 3 fois plus chaudes cette année», 2015 risquant bien de dépasser les records de températures historiques de l'année 2014…

Le Yémen, victime d'une guerre qui a fait au moins 5 000 morts, est l'un des pays connaissant le plus de stress hydrique. 50% de sa population n'a pas accès à l'eau potable. Et pas moins de 14,7 millions de Yéménites dépendent de l'aide humanitaire. Par ailleurs, de plus en plus d'études font le lien entre l'impact du changement climatique et le risque de conflit, à l'instar de cette publication par l'Académie des sciences américaine, qui revient sur l'impact de la sécheresse entre 2007 et 2010 sur le conflit syrien.

Pour aller plus loin :

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