Nous sommes au début de l’année 1919, et des centaines de milliers, voire des millions de soldats alliés, venus du Royaume-Uni et de ses dominions, sont en garnison en Grande-Bretagne et dans le nord-ouest de l’Europe. Epuisés, et pour beaucoup marqués à vie, ces survivants du conflit, alors que la paix devient pour eux une réalité, sont animés d’une force et d’une énergie renouvelées. Il faut donc leur trouver de quoi s’occuper alors qu’ils attendent d’être démobilisés.

Ces combattants viennent du monde entier, mais nous ne nous intéresserons qu’à ceux qui sont originaires d’Angleterre, du Pays de Galles, d’Ecosse, d’Irlande, de Nouvelle-Zélande, d’Afrique du Sud, d’Australie, du Canada et, plus tard, de France. Presque tous les joueurs de rugby de cette génération se trouvent alors sous les drapeaux – d’anciens ou futurs internationaux – , et 137 d’entre eux ont été tués au combat.

Le rugby a remarquablement “profité” de la guerre, autant que cela soit possible. Les joueurs, toujours en pointe dans les opérations, se sont couverts de gloire. Au point que le sport a supplanté le football en tant qu’activité de choix dans les forces armées, et est très apprécié des généraux, et même de la monarchie, le roi Georges V étant un passionné. C’est également le sport de prédilection de l’empire en hiver, et la Nouvelle-Zélande, l’Australie et l’Afrique du Sud font déjà la preuve de leur grand talent dans ce domaine.

Retour à l’Europe du nord crevassée de cratères d’obus, avec tous ces jeunes gens en pleine forme, attendant cette démobilisation qui tarde à venir et un bateau pour rentrer chez eux. Que faire ? Du sport, bien sûr, du matin au soir. Tout d’abord au niveau de la compagnie, puis de la division, puis dans des compétitions interarmes.

Et c’est ainsi que naît la King’s Cup, la Coupe du Roi, baptisée à l’origine “tournoi de rugby interarmes”, avant que le roi lui-même ne fasse don du trophée. Les forces armées néo-zélandaises, australiennes et sud-africaines sont invitées à constituer des équipes de leurs meilleurs joueurs. Les Canadiens aussi sont conviés à la fête, bien que n’étant que de piètres rugbymen, car ils ont fait la preuve de leur excellence martiale, et ils jouissent d’une formidable popularité.

Au départ, chaque arme de l’armée britannique devait aligner sa propre équipe, mais finalement, tous les joueurs originaires d’Angleterre, d’Ecosse, du Pays de Galles et d’Irlande se retrouvent sous le maillot d’une seule et même formation. Le concept est autant politique que sportif. Ces fils de l’empire viennent de gagner la plus sanglante des guerres, et sous bien des aspects, le tournoi est comme une sorte de tour d’honneur pour les participants. Il est cependant impossible d’en ignorer les nuances politiques. Les dominions commencent en effet à être reconnus comme les nations indépendantes qu’elles sont, tout en réaffirmant leurs liens culturels et du sang avec la métropole.

C’est l’armée néo-zélandaise qui l’emporte, sachant que leur équipe comprenait sept anciens et six futurs All Blacks. Après avoir battu la Mère patrie lors de la finale à Twickenham, ils défont l’armée française au cours d’une rencontre de gala – les Français ayant été délibérément exclus du tournoi avec les dominions.

L’équipe d’Australie de l’époque, elle, est dirigée par le lieutenant William “Billy” Watson, né en Nouvelle-Zélande, et qui a déjà une carrière de joueur chevronné derrière lui. En 1912, il avait d’ailleurs pris part à la tournée décevante des Australiens en Amérique du Nord, au cours de laquelle les rugbymen des Antipodes avaient trouvé le moyen de perdre tous leurs matchs contre le Canada.

En octobre 1918, à la toute fin de la guerre, Watson avait été victime d’une attaque au gaz moutarde, et l’année suivante, il est encore régulièrement sujet à des éruptions cutanées qui ne cicatrisaient que difficilement. Pendant la King’s Cup, juste avant le match au sommet contre la Nouvelle-Zélande, il a d’ailleurs calmement demandé à un médecin de traiter ses plaies et de les bander aussi solidement que possible. Puis, affublé de bandages ensanglantés, il s’est rué sur le terrain. Pour ces hommes qui arrivaient littéralement tout droit du champ de bataille, c’était là un comportement tout à fait normal. Les temps ont bien changé.

Comme nous l’avons vu, la King’s Cup a surtout été une affaire britannique et impériale. Les Français n’y ont été conviés qu’à la fin, et l’armée américaine, elle, n’a même pas été invitée à constituer une équipe, ce qui était quand même un peu méprisant.

Toute cette épopée, considérée avec le recul du temps, semble avoir été aussi glorieuse que joyeusement confuse. Mais elle est longtemps restée un événement unique. Avec la démobilisation, les armées se sont dispersées, et chacun est rentré chez soi.

En ce temps où l’amateurisme régnait, il avait fallu une guerre mondiale pour accoucher d’un tel tournoi. L’Ovalie n’était pas encore prête à avoir sa coupe du monde.

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