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Dans le golfe du Maine, le réchauffement a eu raison de la morue

Les gestionnaires américains de la pêcherie ont ignoré le réchauffement dans le calcul des quotas.

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Publié le 29 octobre 2015 à 20h15, modifié le 30 octobre 2015 à 10h16

Temps de Lecture 3 min.

Un morue pêchée au large du Maine, à Portland, le 29 octobre.

En novembre 2014, les autorités fédérales américaines fermaient la pêche commerciale et récréative à la morue dans le golfe du Maine. Le stock de Gadus morhua – dont l’exploitation a été, du XVIIe au début du XXe siècle, le socle de l’économie de la Nouvelle-Angleterre –, avait atteint un minimum record. Selon la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), la démographie de l’espèce oscillait entre 3 % et 4 % de la population-plancher, nécessaire à sa survie. Dans les communautés de pêcheurs de la région, le désarroi était d’autant plus grand que les quotas imposés pour éviter l’effondrement de la pêcherie, avaient été scrupuleusement respectés.

Un an plus tard, une équipe de biologistes américains conduits par Andrew Pershing (Gulf of Maine Research Institute, à Portland) estime que le réchauffement a joué un rôle-clé dans la quasi-disparition de la morue du golfe du Maine. Dans une étude publiée vendredi 30 octobre par la revue Science, les auteurs ont réanalysé la vitesse de réchauffement des eaux de cette région du nord-est américain. « Au cours de la dernière décennie, les températures de surface de la mer dans le golfe du Maine ont augmenté plus vite que dans 99 % des océans de la planète », écrivent-ils. Ce sursaut, provoqué par un décalage vers le nord du Gulf Stream – le courant chaud qui prend naissance dans le golfe du Mexique – auquel s’est superposé la tendance lourde du réchauffement, a conduit à « une réduction de la survie de la morue de l’Atlantique et à une mortalité régionale accrue ».

Les chercheurs mettent en cause les méthodes de gestion de la pêcherie. « Les autorités ont réduit les quotas, mais les populations de morue ont continué à décroître », selon M. Pershing. De fait, expliquent en substance les chercheurs, les modèles numériques utilisés pour calculer les niveaux de prises acceptables n’ont pas tenu compte des effets de l’augmentation des températures. « Les pêcheurs ont respecté les quotas, mais ont malgré tout pris plus de poissons que ce que pouvait supporter la population », écrivent les chercheurs. « Cela crée une situation de frustration qui contribue à la défiance entre pêcheurs, scientifiques et gestionnaires des pêcheries », déclare M. Pershing.

Bouleversement de la répartition du plancton

Dans le port de pêche de Portland, le 28 octobre.

Ce constat n’étonne guère le biologiste Philippe Cury, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et spécialiste de gestion des écosystèmes marins. « Les changements environnementaux ne sont pas pris en compte dans la gestion des pêcheries, explique-t-il. Beaucoup de connaissances s’accumulent sur ces bouleversements mais les intégrer dans la gestion des ressources prend beaucoup de temps, beaucoup trop de temps par rapport à la vitesse à laquelle ces changements sont observés. »

De fait, la fragilité de la morue face au réchauffement de l’océan est documentée depuis de nombreuses années. Une équipe internationale conduite par le biologiste français Grégory Beaugrand (CNRS, université Lille-I) avait montré, en 2003 dans la revue Nature, qu’en mer du Nord, le réchauffement a induit un profond remaniement de l’écosystème défavorable à la survie des jeunes morues.

« En quarante ans, les températures de surface de la mer du Nord ont augmenté d’environ 1 0C en moyenne annuelle, ce qui suffit à induire des changements majeurs dans la répartition et l’abondance du plancton », explique M. Beaugrand. Non seulement le zooplancton est globalement moins abondant, mais les espèces favorisées par le réchauffement ont un cycle de vie différent de celles qu’elles remplacent : leur pic d’abondance survient trop tard dans l’année pour servir de pitance aux larves de morue. Dans le golfe du Maine, à la limite orientale de son aire de répartition, le biologiste français estime que « vu le réchauffement en cours, la pérennité de l’espèce ne peut être garantie ».

Des quotas à 5 000 tonnes en 2030

A Portland (Maine), le 29 octobre.

Andrew Pershing et ses coauteurs sont plus optimistes et estiment qu’après la reconstruction des stocks, l’adaptation des quotas à un scénario de réchauffement modéré pourrait permettre, d’ici à 2030, de prélever 5 000 tonnes de morue par an dans le golfe du Maine. Un scénario de réchauffement plus fort devrait quant à lui obliger à s’en tenir à 1 800 tonnes par an…

Dans une récente tribune publiée par le New York Times, l’historien Jeffrey Bolster (université du New Hampshire) rappelle que le golfe du Maine offrait généreusement aux hommes 70 000 tonnes de morue par an en 1861, 54 000 tonnes par an en 1880, et environ 20 000 tonnes par an en 1920, pour rebondir dans les années 1980 à quelque 25 000 tonnes par an. Et l’historien de citer Edwin W. Gould, commissaire des pêches du golfe du Maine, qui mettait en garde, en 1892 : « C’est toujours la même histoire : le bison a disparu, la baleine est en train de disparaître, le phoque est menacé de destruction… Le poisson doit être protégé. »

Les optimistes noteront toutefois qu’au cours de la dernière décennie la situation semble avoir profité à d’autres espèces… comme le homard.

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