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Enquête

Comment la Chine veut mettre fin au désastre écologique

Par Alain Ruello

Publié le 2 nov. 2015 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

François Hollande démarre ce lundi une visite d'Etat à Pékin pour chercher l'appui de Xi Jinping en amont de la COP21. Conséquence d'une croissance hors contrôle, la Chine fait face à un désastre écologique sans précédent. Et pourtant, les choses changent. Conscient du risque d'instabilité sociale, le pouvoir impose des normes de plus en plus draconiennes. Mais il faudra des années pour revenir à la normale.

Michel Sapin a de la chance. Quand il s'est réveillé ce samedi de septembre à Pékin, le ministre des Finances a pu respirer un air quasiment pur et admirer un ciel plus bleu qu'en Méditerranée. La pollution qui empoisonne la capitale chinoise depuis des années ? Aucune trace quand le cortège officiel a quitté aux aurores l'hôtel Westin, à l'ouest de la Cité interdite, où était logée la délégation française venue faire avancer la relation bilatérale et préparer la visite de François Hollande qui démarre ce lundi. Après un premier arrêt à Badaling, le « spot » le plus touristique de la Grande Muraille, les voitures sont reparties comme elles étaient arrivées, sur les chapeaux de roue. Direction, la « tour EDF », à quelques encablures de là. La « tour EDF » ? Un immense laboratoire au milieu d'une vaste plaine entourée de montagnes. C'est ici, entre autres, que la Chine prépare son futur énergétique.

Des dizaines de panneaux solaires au sol réfléchissent la lumière vers l'une des trois bouches d'une grande torsade de béton, évasée à son pied et haute de 188 mètres. Tout est testé : miroirs, orientations, formes, circuits de réchauffement, de refroidissement, mais surtout une technologie « très prometteuse », explique Hervé Machenaud, le délégué général local de l'électricien français, partenaire de l'institut chinois d'électricité de l'Académie des sciences. Cette technologie, c'est le stockage de l'énergie solaire à concentration dans du sel fondu, là où aujourd'hui on utilise le plus souvent un mélange eau-huile.

Outre son prix bas et la quantité accessible élevée (le Chili en regorge), le sel de nitrate permet de conserver l'énergie une dizaine d'heures. Tout cela n'en est encore qu'au stade expérimental. Mais EDF y croit suffisamment pour que ses ingénieurs basés sur place essaient d'extrapoler les résultats des tests à des centrales de grande capacité, même si, pour des raisons techniques, cette technologie ne peut s'appliquer que dans deux bandes de latitude. « La Chine est surtout intéressée par le plateau tibétain », poursuit Hervé Machenaud. Avec seulement 30 gigawatts sur les 1.350 gigawatts de capacités de production électrique, le solaire n'est encore qu'une promesse en Chine. Mais une promesse en plein essor, tant le gouvernement a compris qu'il doit absolument remettre d'aplomb son environnement, massacré par des années de croissance hors contrôle.

Fortes amendes

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Ma Wenjing s'y emploie, à son niveau. Cette jeune femme d'une trentaine d'années a rejoint le bureau de contrôle de l'environnement de Pékin en 2008, après avoir étudié l'écologie et travaillé sur le traitement de l'eau. Ils sont une trentaine comme elle, uniformes bleu noir et casquette, répartis en trois équipes qui vérifient, trois et quatre fois par semaine, si les entreprises respectent les standards d'émissions toxiques. « Nous intervenons sur signalement des riverains ou par contrôle aléatoire », explique-t-elle.

Avec deux collègues, ils ont choisi cet après-midi de rendre une visite impromptue à la centrale électrique à gaz du China Resources. Tout démarre par une présentation de ce que fait l'entreprise. Les mains jointes sur son cahier, le responsable de la production déroule son argumentaire sereinement. Mais on sent qu'il ne prend pas l'exercice à la légère, quitte à demander du renfort à l'un de ses adjoints. C'est qu'à Pékin les pollueurs risquent gros dorénavant : depuis janvier, l'administration de la capitale a infligé 100 millions de yuans d'amendes et commence à instaurer un système d'astreinte journalière pour ceux qui n'obtempèrent pas.

La présentation tourne essentiellement autour des rejets de nitrate de sodium. Ma Wenjing demande à voir. Cheminée, plomberie, armoires de contrôle : l'entreprise affirme avoir investi 25 millions de yuans pour faire passer ses rejets en dessous de 30 milligrammes par mètre cube, nouvelle norme depuis juillet. Avec 6 milligrammes en moyenne, le contrat est rempli. D'autant que l'équipement sera doublé sous peu. « C'est peut-être le seul de ce genre à Pékin, voire en Chine », fait remarquer l'inspectrice, visiblement convaincue. Et l'eau, mélangée à un produit chimique, qui est utilisée dans le procédé ? Elle est entièrement nettoyée par filtration et électrolyse, poursuit le responsable. La visite se termine au laboratoire chargé de mesurer les concentrations de produits dangereux. Verdict : la loi est respectée, à quelques aménagements mineurs près, qui sont couchés dans le procès-verbal, imprimé sur place. « Il y a encore deux ans, les entreprises avaient du mal à coopérer quand on leur demandait de réduire leur production. Aujourd'hui, les problèmes sont moins nombreux, mais aussi moins évidents à détecter, témoigne-t-elle. Il y a eu beaucoup de progrès. »

Des progrès ? Fabienne Rond en convient. Cette Française qui dirige l'implantation chinoise d'Environnement SA, une PME française de 400 salariés, sait de quoi elle parle avec ses quinze années passées en Chine. La réglementation en matière d'émissions est à peu près la même qu'aux Etats-Unis ou en Europe. La différence, évidemment, c'est son respect. « Progressivement, les amendes sont de plus en plus fortes, les incitations de plus en plus marquées et les contrôles de plus en plus fréquents », a-t-elle constaté.

Start-up balbutiantes

« Avant 2012, la loi obligeait de mesurer 3 composants : particules fines de 10 microns de diamètre, dioxyde de soufre et oxydes d'azote. Depuis, trois autres ont été ajoutés : PM 2,5, dioxyde de carbone et ozone. Avant, les mesures étaient le fait des provinces uniquement. Désormais, le gouvernement a mis en place un réseau de mesures national », explique Zhang Hongyu, un ingénieur passé par la Suède. La province du Hebei, l'une des pires en termes de pollution, a même décidé de se doter de 9 « superstations », capables de détecter et de quantifier les particules de 1 micron, le sulfure d'hydrogène ou encore les composés organiques volatils.

Tant mieux pour Environnement SA, car la pollution, c'est aussi un marché : pour pouvoir lutter contre les émissions, encore faut-il les mesurer. C'est exactement le credo de la PME française, qui conçoit et vend ses équipements aux industriels ou aux administrations en charge de l'environnement. Il y aurait entre 1.000 et 1.500 stations de mesure dans tout le pays, dont une trentaine à Pékin, à remplacer tous les six ans. Le marché est donc bien orienté.

Un train est donc en marche, mais il faudra des années avant que l'air soit respirable. Sans parler des autres dégâts causés à la nature. Ceux dont on parle moins et qui, selon Julian Zhu, analyste de Goldman Sachs, sont bien plus graves. En Chine, environ 19 % des terres arables sont pleines de métaux lourds. Et que dire de l'eau ? On estime que 60 % des nappes phréatiques sont impropres à la consommation. « La pire pollution en Chine n'est pas dans l'air, elle est dans ses sols », résume Julian Zhu.

Dans la zone industrielle de Tianjin, tristement connue depuis l'explosion qui a coûté la vie à 165 personnes en août, on en a pris conscience. Ici, 600.000 personnes travaillent dans 14.000 sociétés. Autant dire que la gestion des déchets est devenue cruciale. Recevant mi-septembre une délégation française conduite par le député UDE (écologiste) François-Michel Lambert, venue voir ce que la Chine fait en matière d'économie circulaire, Geraint Feng, une des personnes chargées du centre écologique de Teda - l'acronyme anglais pour la zone de développement économique de Tianjin -, arborait fièrement la troisième place nationale décernée par le ministère du Commerce en matière d'environnement. Les « power points » succèdent aux « power points », suivis par un petit tour dans un showroom plein de technos vertes. Le discours est sincère, mais qu'en est-il de la réalité ?

La première visite laisse perplexe. L'entreprise Foqiang se présente comme un « pionnier du renouvelable » avec des clients aussi prestigieux que Samsung, Toyota ou encore Fujifilm. Son activité ? Le recyclage de déchets industriels de base, les DIB pour les connaisseurs. Et son modèle ? Veolia, pas moins. L'un des responsables évoque une capacité de traitement de 400.000 tonnes annuelles. « Impossible », jugent les membres de la délégation au vu de l'activité du site. Aussi bien le premier que le second hall sont quasiment à l'arrêt, donnant au site une image d'usine Potemkine. Une heure plus tard, l'activité est plus soutenue et laisse dévoiler la vraie nature de l'entreprise : le tri et le conditionnement de plastiques, de cartons et de polystyrènes. En clair, la société fait du négoce de déchets. Une tonne de papier achetée 800 yuans peut en rapporter une centaine à la revente. On est donc loin d'une vraie revalorisation des rebuts industriels. Mais c'est toujours cela de moins qui finit dans les décharges sauvages.

La deuxième visite, elle aussi, pourrait laisser sur sa faim. Tai Ding, une société sino-taïwanaise, fait dans le recyclage électronique, là encore un sujet brûlant en Chine, devenue le deuxième producteur au monde derrière les Etats-Unis avec 6 millions de tonnes en 2014, selon Julian Zhu. Les premières impressions évoquent plutôt Calcutta. Ballots empilés remplis d'ordinateurs, de téléviseurs, ou encore lave-vaisselle... Saleté... Vétusté... Et pourtant, conclut François-Michel Lambert, une fois la visite avalée, l'installation est loin d'être infamante.

Les plus gros composants électroniques sont grattés, les plus petits récupérés en faisant chauffer les circuits imprimés, les supports sont ensuite broyés pour faire du combustible. Une installation flambant neuve aspire les vapeurs d'étain et les normes de sécurité semblent sérieuses, au port des chaussures près, notent certains membres de la délégation. Officiellement, le site peut traiter jusqu'à 30.000 tonnes de déchets. Après quelques allers-retours de traduction, on apprend que l'activité tourne autour de 3.000 à 5.000 tonnes par an seulement. Le chiffre est modeste, traduction sans doute d'une prise de conscience tardive en Chine. Tardive mais réelle.

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Les points à retenir

Le gouvernement chinois a compris qu'il doit remédier à des années de croissance dévastatrices pour l'environnement.

Les entreprises sont désormais davantage contrôlées pour s'assurer qu'elles respectent les standards d'émissions toxiques.

Un réseau de mesures national doté d'un millier de stations surveille aussi la qualité de l'air.

Le recyclage électronique et des déchets industriels fait ses premiers pas.

Reste le problème de l'eau : on estime que 60 % des nappes phréatiques sont impropres à la consommation.

Correspondant à Pékin Alain Ruello

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