Désintox

Non, un «réfugié politique» n’a pas droit à 700 euros par mois

Le montant avancé par Pierre Lellouche correspond en fait, approximativement, à celui d'une famille de six personnes hébergées en centre d’accueil pour demandeurs d’asile.
par Pauline Moullot
publié le 2 novembre 2015 à 16h08

INTOX. La rengaine d'intox sur les réfugiés n'est pas près de s'arrêter. Pierre Lellouche commence fort cette semaine en tapant sur les aides accordées aux demandeurs d'asile, censées être beaucoup trop élevées. Ce lundi, sur RMC, le député Les Républicains (LR) de Paris, qui s'était déjà fait attraper par la patrouille Désintox pour une salve d'âneries sur l'immigration, a fait part de ses difficultés à expliquer à une famille modeste pourquoi, «aujourd'hui, un réfugié politique en France a droit à 700 euros par mois».

«Ce n'est pas tout à fait vrai», a osé timidement Jean-Jacques Bourdin quelques secondes plus tôt, quand l'élu LR déclarait que «le dernier arrivé a droit à presque tout» alors qu'une personne modeste «n'a droit à rien».

DÉSINTOX. Et en effet, ce n'est pas tout à fait vrai. Voire tout à fait faux. C'est d'abord imprécis puisque Lellouche utilise le terme de «réfugié politique» à la place de demandeur d'asile. C'est inexact ensuite concernant le montant des prestations que touchent les demandeurs. En parlant de 700 euros par mois, Pierre Lellouche se réfère au montant arrondi de l'allocation mensuelle de subsistance (AMS) accordée jusqu'au 1er novembre… à une famille de six personnes hébergée en centre d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada). Six personnes, donc. Pas une.

Jusqu'à la loi relative à la réforme du droit d'asile de juillet 2015, dont le décret d'application est entré en vigueur dimanche, les demandeurs d'asile bénéficiaient pendant l'instruction de leur demande de deux types de prestations : soit de l'AMS, donc, soit l'allocation temporaire d'attente (ATA).

Cette dernière était versée par Pôle Emploi aux demandeurs d'asile ne bénéficiant pas de place en Cada et disposant de ressources inférieures au RSA (524,16 euros pour une personne seule). Elle s'élevait à 11,45 euros par jour par adulte, soit 343,50 euros par mois (pour un mois de trente jours).

En cas d'hébergement en Cada, les demandeurs d'asile bénéficiaient alors de l'AMS, calculée selon leur situation familiale et le mode de prise en charge de leur centre d'accueil, versée par les Cada. Ainsi, une personne seule bénéficiant de restauration collective touchait 91 euros par mois. En cas de restauration individuelle (aucun repas fourni par le centre d'hébergement), cette allocation montait à 202 euros par mois. Et ce, si les ressources du demandeur d'asile sont inférieures à ces allocations. Le chiffre de 700 euros évoqué par le député de Paris concerne donc en réalité une famille de six personnes dont les repas ne sont pas compris. Les allocations accordées à la famille s'élèveraient alors à exactement 718 euros par mois.

Source : arrêté du 31 mars 2008 portant application de l’article R. 348-4 du code de l’action sociale et des familles

Mais, depuis dimanche, ce système est simplifié. La loi du 23 juillet 2015 relative à la réforme de l'asile a fusionné l'ATA et l'AMS en une seule allocation pour demandeurs d'asile (ADA). Un décret publié le 21 octobre fixe ses modalités de calcul et de versement à compter du 1er novembre. Tous les demandeurs d'asile de plus de 18 ans ayant accepté d'être hébergés en Cada et dont les revenus sont inférieurs au RSA peuvent bénéficier de cette allocation calculée selon la composition de la famille du demandeur et versée par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii). «Lorsqu'un même foyer compte plusieurs demandeurs d'asile, une seule allocation peut être versée au foyer», précise le texte. Ainsi, une personne seule bénéficiera de 6,80 euros par jour, tandis qu'une famille de six personnes se verra octroyer 23,80 euros. Soit 714 euros par mois pour toute la famille.

Source : Décret n° 2015-1329 du 21 octobre 2015 relatif à l’allocation pour demandeur d’asile

Chaque demandeur d'asile majeur n'ayant pas obtenu de place en CADA ou dans un hébergement d'urgence bénéficiera en plus d'une allocation de 4,20 euros par jour. Toutefois, les personnes qui ne sont pas hébergées dans un centre d'accueil et dont le montant versé par l'ADA serait inférieur à ce qu'elles touchaient précédemment avec l'ATA pourront continuer de percevoir cette allocation. Le dispositif est réservé aux adultes isolés, couples sans enfants, familles composées de deux adultes et de moins de quatre enfants et aux familles monoparentales comptant un seul enfant. Mais, dans tous les cas, que ce soit avec l'ancien dispositif ou le nouveau, le chiffre de 700 euros pour un demandeur d'asile est totalement inexact.

EDIT, lundi 2 novembre à 18h. un passage à la télévision a-t-il le pouvoir de doper la propension à l'intox d'un responsable politique? On peut le croire. Car Pierre Lellouche connaît en réalité moins mal le dossier des demandeurs d'asile qu'on a pu le croire en l'écoutant sur BFM TV. Il y a un petit mois, il évoquait exactement le même sujet devant les députés de la Commission des affaires étrangères. Voilà ce qu'il disait : «de plus en plus de gens disent qu'il vaut mieux être aujourd'hui une personne qui arrive en France, laquelle a droit à un logement et à 200 euros par mois ou à 700 euros dans le cas d'une famille, qu'une personne qui galère pour trouver un logement et un emploi. Voilà ce que j'entends. Telle est la gravité du problème». Le député de Paris sait donc très bien que le montant de 700 euros ne s'applique que pour une famille, et non pour un demandeur seul comme il l'affirme pourtant sur BFM. De même, on aura noté qu'il se limite à évoquer devant les députés le fait que les demandeurs d'asile ont un logement (ce qui est vrai puisqu'ils sont hébergés en centre d'accueil pour demandeurs d'asile ou en centre d'hébergement d'urgence), alors que sur BFM, il leur prête une «priorité au logement», totalement fictive, en revanche. Vous avez dit cynisme?

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