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En Turquie, les maigres espoirs des Kurdes de Diyarbakir

Les électeurs espèrent que la nouvelle majorité du parti gouvernemental, l’AKP, le conduira à relancer le processus de paix avec le Parti des travailleurs du Kurdistan.

Par  (Erbil, correspondance)

Publié le 02 novembre 2015 à 19h02, modifié le 03 novembre 2015 à 15h35

Temps de Lecture 5 min.

Dans le quartier de Sur, à Diyarbakir, en Turquie, le 1er novembre 2015.

Au lendemain du revers électoral subi par le Parti démocratique des peuples (HDP, lié au mouvement kurde), Diyarbakir, la grande ville du sud-est kurde de la Turquie, est dans l’expectative. Le HDP a vu son score chuter de 13 % à 10,7 % par rapport aux élections du 7 juin, qui n’avait pas permis de former un gouvernement majoritaire. Le parti et son électorat, qui reste dominant dans la plupart des régions kurdes, se trouvent dans une situation confuse.

Pourtant, après l’émotion et la colère qui se sont brièvement manifestées à l’annonce des résultats et la déception ressentie par les électeurs du HDP, pointe l’idée que le pire a peut-être été évité. Quoique de justesse, le parti pro kurde est assuré d’entrer au Parlement grâce à la marge de quelques dixièmes de points qui lui permet de franchir le seuil requis pour y être représenté.

Rempart potentiel contre la mécanique du pire

« Il est possible que les choses dégénèrent, étant donné la volonté affichée de l’AKP [le Parti de la justice et du développement, au pouvoir depuis 2002 et vainqueur du scrutin de dimanche] de détruire le mouvement kurde. Mais si le HDP avait échoué à dépasser le barrage des 10 %, il aurait été exclu des institutions turques et la situation aurait pu devenir incontrôlable », indique Nazmi Gür, parlementaire HDP et cadre dirigeant du parti, depuis la capitale Ankara.

Pour certains électeurs du HDP à Diyarbakir, la large majorité obtenue par l’AKP le 1er novembre est perçue comme un rempart potentiel contre la mécanique du pire dans laquelle la Turquie a été emportée depuis les dernières élections, avec successivement la reprise des affrontements avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, branche armée du mouvement kurde) fin juillet, puis la transformation de plusieurs centres-villes du sud-est du pays en champs de bataille entre militants armés kurdes et forces de sécurité.

« Aucune des deux forces ne peut venir à bout de l’autre »

Habitant du quartier populaire de Baglar, coutumier des affrontements entre les mouvements de jeunesse du PKK et la police, Loqman, vingt ans, se montre relativement satisfait par l’issue du vote de dimanche : « Je suis Kurde, j’ai donc voté HDP. J’aurais souhaité que nous entrions au Parlement avec plus de représentants, mais je suis rassuré de voir que l’AKP pourra gouverner seul. Il aurait été impossible que les différents partis turcs forment une coalition et cela aurait été le chaos. »

Dans un café fréquenté par les intellectuels proches du mouvement kurde, situé dans la vieille ville de Diyarbakir, Isak Bingöl, professeur de littérature qui se dit « extrêmement triste et en colère » suite à l’échec relatif du HDP, conserve toutefois une certaine mesure d’optimisme malgré sa perplexité face à l’avenir.

A quelques rues de la mosquée Kursunlu, dont les environs furent le théâtre de violents affrontements entre de jeunes militants kurdes, encadrés par combattants du PKK, et les forces spéciales de la police turque, du 10 au 12 octobre, il espère un retour au dialogue avec le gouvernement : « L’AKP s’est renforcé en se débarrassant de ses rivaux politiques en Turquie, mais le mouvement kurde reste dominant dans le Sud-Est, il continue à définir la politique locale. Aucune de ses deux forces ne peut venir à bout de l’autre. J’espère donc que l’AKP va comprendre la signification des résultats d’hier et relancer le processus de paix avec le PKK. »

« Deux voies se présentent devant nous »

A Diyarbakir, dans le sud-est turc, à majorité kurde, le 1er novembre.

Pour Ömer Önem, coprésident de la branche du HDP à Diyarbakir, tout dépendra du gouvernement AKP qui sera prochainement formé à Ankara : « Deux voies se présentent devant nous. Si Recep Tayyip Erdogan poursuit sa politique de terreur et d’intimidation, continue à attaquer des civils innocents, à bombarder les bases du PKK au Kurdistan irakien et à faire pression sur le Rojava [le Kurdistan syrien autonome], les Kurdes de Turquie vont se soulever et ce sera la guerre civile. Si le nouveau gouvernement est responsable, il reviendra à la table des négociations avec le PKK, auquel cas, nous ferons tout notre possible pour que cette nouvelle tentative réussisse. »

Pour ce cadre local du parti, la seule solution consisterait à permettre une reprise de contact avec le chef historique du mouvement kurde, Abdullah Öcalan, emprisonné depuis 1999. Acteur central du processus de paix lancé en 2013, Abdullah Öcalan est de nouveau isolé du mouvement kurde depuis le mois d’avril, les autorités ne lui ayant plus permis de recevoir ses avocats et les responsables du HDP avec qui il entretenait un dialogue.

Le parti majoritaire en position de force

Cependant, si le succès de l’AKP dimanche est partiellement imputable à une reconquête de l’électorat conservateur kurde, inquiet de la reprise des violences dans le sud-est, il tient également au ralliement d’une partie des électeurs nationalistes turcs. Aussi, la position de force acquise par le parti majoritaire pourrait-elle inciter le gouvernement à revoir ses exigences à la hausse vis-à-vis du PKK.

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C’est ce que redoute que Tahir Elçi, bâtonnier du barreau de Diyarbakir, très actif au sein de la société civile kurde et récemment arrêté et inculpé pour avoir dit publiquement que le PKK n’était pas une organisation terroriste : « Afin que le processus de paix reprenne, il est nécessaire que le PKK abandonne la lutte armée. Les résultats des élections ont montré que le mouvement kurde s’est trouvé affaibli par l’état de violence qui est apparu après les élections. »

Dans plusieurs villes kurdes cependant, les affrontements entre les militants kurdes et les forces de sécurité ont donné l’occasion au PKK d’instaurer des poches insurrectionnelles dans les quartiers les plus défavorisés.

A Cizre, ville de 130 000 habitants située près de la frontière syrienne, où les forces de sécurité turques sont lourdement intervenues contre les militants du PKK en septembre, plaçant la ville en état de siège et causant seize morts civiles, le mouvement armé kurde a déclaré l’autodétermination.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Turquie : à Cizre, les Kurdes prêts à la guerre contre Erdogan

Le PKK se déclare prêt à affronter l’Etat turc

Membre du YDG-H, Le Mouvement patriotique de la jeunesse révolutionnaire, l'aile jeune et militante du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), à Cizre, non loin de la frontière irakienne.

Ayant envoyé des combattants expérimentés et lourdement armés pour encadrer une jeunesse militante locale, galvanisée par les succès des alliés du PKK face à l’Etat islamique dans les régions kurdes de Syrie, et qui aspirent à porter la lutte dans leurs villes, le PKK se déclare prêt à affronter l’Etat turc dans des combats de rues qui pourrait se révéler désastreux pour la population.

Pour M. Elçi, qui est également l’auteur d’un rapport sur les exactions imputées aux forces de sécurité turques lors du siège de Cizre, il est nécessaire que l’organisation armée quitte les villes kurdes. « Je veux rester optimiste et compter sur l’esprit de responsabilité des uns et des autres mais l’Etat ne pourra pas accepter que le PKK contrôle militairement certains quartiers des villes kurdes. S’ils ne se retirent pas, nous allons vers des jours très sombres. »

Entre espoirs ténus d’une reprise des négociations entre le gouvernement et risques encore présents d’escalade militaire dans l’arrière-pays, Diyarbakir, comme le reste des régions kurdes de Turquie, entre dans une nouvelle phase d’incertitude.

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