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DéSINTOX

Comment Sarkozy truande les chiffres de la délinquance

Le président de LR cite des chiffres «incontestables» de l'Observatoire national de la délinquance. Lequel met au contraire en garde sur le fait qu'ils doivent être pris avec la plus grande prudence.
par Cédric Mathiot
publié le 3 novembre 2015 à 17h07

INTOX. En quatre années passées au ministère de l'Intérieur, puis cinq années passées à l'Elysée, combien de fois Nicolas Sarkozy a-t-il cité les chiffres de la délinquance ? Et pendant ces longues années, combien de fois les responsables de l'OND (Observatoire national de la délinquance), devenu ONDRP (Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales), ont-ils dû soupirer d'un air mi-las mi-consterné, devant le toupet de ce grand jongleur de la statistique ? Et aujourd'hui, encore…

Ce matin, Nicolas Sarkozy a rejoué la partition archi-rodée de la gauche qui fait grimper la délinquance. Voilà ce qu'il a déclaré : «L'insécurité est devenue la règle. Nous avons des chiffres, qui sont absolument incontestables, puisqu'ils viennent de l'Observatoire national indépendant de la délinquance, qui compare la situation que nous avons laissée à la situation d'aujourd'hui. Les cambriolages ? +8% Les vols ? +14% Les atteintes à l'intégrité physique ? +12% Les violences sexuelles ? +31%» (des chiffres également présents dans son interview du matin au Parisien).

DESINTOX. Les chiffres bruts sont assez aisés à trouver. L'ONDRP, donc, publie chaque mois un bulletin mensuel donnant les chiffres de la délinquance constatée par les forces de l'ordre sur douze mois glissants. Un coup d'œil sur la dernière livraison de ce bulletin permet de comparer les chiffres des douze mois de septembre 2011 à août 2012 à ceux de septembre 2014 à août 2015. Soit, pour reprendre l'expression de Nicolas Sarkozy : «La situation que nous avons laissée à la situation d'aujourd'hui.»

En additionnant les chiffres de la gendarmerie et de la police, puis en comparant les deux périodes, on arrive peu ou prou aux valeurs citées par le président de LR. Mais cela nous fait il des chiffres «incontestables» ?

Eh bien non. Car ils sont contestés… par l'ONDRP qui les émet. En effet, l'essentiel du bulletin sur lequel s'appuie Nicolas Sarkozy s'échine à expliquer que l'évolution des chiffres bruts de la délinquance a obéi à des ruptures statistiques s'expliquant par la modification des outils d'enregistrements des faits de délinquance par la gendarmerie et la police. Le bulletin commence ainsi par un avertissement prévenant que l'ONDRP ayant constaté des fortes ruptures statistiques dans les chiffres de la gendarmerie (depuis 2012) puis de la police nationale (depuis 2013) s'interdit désormais de commenter les tendances en raison de forts doutes sur la comparatibilité des chiffres. Bref, si l'ONDRP publie malgré tout les chiffre par «transparence», le thermomètre est cassé. Il ne sert plus à rien de le regarder.

Après quoi l'ONDRP consacre même plusieurs pages à mettre en avant les statistiques illustrant lesdites ruptures et produits deux tableaux «d'infractions ayant connu avec une forte certitude un décalage dû au nouvel outil d'enregistrement de la gendarmerie nationale» puis d'infractions en zone police «dont les variations sur 12 mois entre août 2013 et août 2015 soulèvent, au minimum, des interrogations quant à la continuité des pratiques d'enregistrement les concernant».

Et que croyez-vous qu’on retrouve dans ces deux tableaux ? Notamment des infractions constituant les agrégats que cite Nicolas Sarkozy : à savoir les cambriolages, les vols, les atteintes à l’intégrité physiques ou les agressions sexuelles. Autant d’indicateurs sur lesquels il est donc au moins aventureux de tirer des conclusions.

Le bulletin écrit : «Dans un tel contexte, l'Observatoire invite donc chacun à la plus grande prudence dans l'exploitation des données sur la délinquance enregistrée.» Mais Nicolas Sarkozy, lui, a préféré décliner.

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