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Les plus pauvres émettent 2 000 fois moins de gaz à effet de serre que les plus riches

Les économistes Lucas Chancel et Thomas Piketty ont étudié la répartition des émissions de CO2 dans l’atmosphère, non pas entre pays mais entre individus.

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Publié le 03 novembre 2015 à 17h27, modifié le 04 novembre 2015 à 11h32

Temps de Lecture 4 min.

Des inondations au Malawi en janvier 2015.

Les quantités de gaz à effet de serre émises dans l’atmosphère ne présagent pas seulement de l’évolution du changement climatique à venir, elles constituent aussi un solide indicateur des énormes disparités économiques dans le monde. C’est sous cet angle-là que les économistes Lucas Chancel et Thomas Piketty abordent la question de l’atténuation du réchauffement dans leur étude « Carbone et inégalité : de Kyoto à Paris », rendue publique mardi 3 novembre.

Dans leur analyse, qui s’appuie sur des données reflétant la forte hausse des émissions de ces gaz depuis 1998, les deux chercheurs de l’Ecole d’économie de Paris – l’un à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), le second en tant que directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) – remettent en cause l’approche par pays. C’est pourtant celle qui va prévaloir lors des négociations entre Etats qui doivent aboutir à un accord international lors de la Conférence des Nations unies sur le climat (COP21) qui se tiendra à Paris, début décembre.

13 tonnes pour un Européen, 6 pour un Chinois

Certes, tous deux rappellent que chaque Américain émet environ 20 tonnes d’équivalent CO2 (tCO2e) par an, soit au moins deux fois plus qu’en habitant typique d’Europe de l’Ouest ou de Russie (qui en produit environ 9 tonnes), et plus encore d’un résident du Moyen-Orient comme de Chine (autour de 8 tonnes). Les statistiques en Asie du Sud et en Afrique ne dépassent pas 2,4 tonnes par tête, bien en dessous de la moyenne mondiale qui s’établit à 6,2 tCO2e.

Or ces données sont directement liées à la production par pays. Il semble alors plus judicieux de considérer les niveaux de consommation, qui eux intègrent les émissions « importées ». Dans les pays développés, les enseignes vendent par exemple des biens produits en Chine à des consommateurs vêtus de t-shirts cousus au Bangladesh. Avec ce prisme-là, les résultats se creusent encore : la moyenne passe à 22,5 tCO2e pour un Nord-Américain, 13,1 tonnes pour un Européen de l’Ouest, 7,4 tonnes pour un habitant du Moyen-Orient, 6 tonnes pour un Chinois qui rejoint alors à peu près la moyenne mondiale, 4,4 pour un Latino-Américain, 2,2 pour un Sud Asiatique, 1,9 pour un Africain.

Si elles reflètent mieux la réalité des échanges internationaux, ces estimations ne rendent pas compte pour autant des inégalités à l’intérieur de chacune de ces sociétés. Lucas Chancel et Thomas Piketty se sont donc penchés sur les 10 % des individus responsables de près de la moitié des émissions totales. A l’autre bout de l’échelle, la moitié la plus économe de la population produit moins de 13 % des rejets carbonés. Ils notent au passage que dans le monde, les différences entre individus tendent à diminuer depuis 1998, et y voient le signe que les revenus des classes moyennes se sont améliorés dans les pays émergents alors qu’ils ont eu tendance à stagner dans les pays industrialisés.

Pour dessiner une nouvelle géographie de la problématique climatique, les deux auteurs de l’étude se sont aussi arrêtés sur le cas des plus gros producteurs de gaz à effet de serre, c’est-à-dire ceux qui émettent au moins 9 fois plus que la moyenne. Ces 1 % d’individus – domiciliés aux Etats-Unis, au Luxembourg, à Singapour ou en Arabie saoudite – génèrent plus de 200 tCO2e par personne et par an. A titre de comparaison, les habitants les plus démunis du Honduras, du Mozambique, du Rwanda ou du Malawi ont des émissions 2 000 fois plus faibles, proches de 0,1 tCO2e.

Mettre à contribution les plus gros émetteurs

Si les auteurs de l’étude s’emploient à dessiner une autre géographie de la problématique climatique, ce n’est pas pour présenter de nouvelles statistiques, mais pour ouvrir le débat sur la répartition des efforts à fournir. Pour atteindre 150 milliards d’euros par an nécessaires, selon eux, pour financer l’adaptation au changement climatique, tous deux suggèrent d’imposer des taxes progressives à tous ceux qui se situent au-dessus de la moyenne mondiale, en proportion de leurs émissions. Une autre stratégie consisterait à faire payer les 1 % des individus qui sont responsables de la plus grande quantité de gaz à effet de serre.

La première hypothèse conduirait les Nord-Américains à prendre à leur charge 46 % de la contribution totale, pour 16 % pour les Européens et 12 % pour les Chinois. Dans la seconde, celle reposant sur les 1 % les plus pollueurs, les proportions s’établiraient respectivement à 57 %, 15 % et 6 % du montant global. Dans tous les cas, l’apport de l’Europe, même s’il diminue proportionnellement, augmenterait en valeur absolue par rapport à aujourd’hui. Il pourrait même tripler, alors que la quote-part actuelle de l’Union européenne représente déjà plus de la moitié des financements.

Enfin, les chercheurs envisagent la généralisation d’une « taxe progressive généralisée sur les billets d’avion ». Selon leurs calculs, à raison de 180 euros sur tous les billets de première classe et de 20 euros sur ceux des sièges économiques, la mesure – simple à appliquer – suffirait à générer les fameux 150 milliards par an, mais « ciblerait moins bien les grands émetteurs individuels ». Elle serait, en somme, moins juste.

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