Rip le fav : mais pourquoi diable Twitter a-t-il remplacé l'étoile par un cœur ?

Twitter a abandonné au débotté la fonction “favori” symbolisée par une étoile, pour un cœur appelé “J'aime”, qui rappelle évidemment le “like” de Facebook. Mais au fait, à quoi nous servait le “fav” ?

Par Nicolas Delesalle

Publié le 03 novembre 2015 à 20h07

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h59

Et soudain, sans prévenir, Twitter supprima la touche « Favori » du tableau de bord de ses utilisateurs. C'est un peu comme si l'inventeur du piano avait tout d'un coup ôté toutes les touches noires de son clavier. Adieu les demi-tons. En lieu et place de l'étoile jaune qui figurait la touche « Fav », pulse dorénavant un univoque petit cœur rouge, équivalant du « like » sur Facebook. Le clin d'œil ambigu remplacé par un grand sourire. Soyons calmes et donnons à cette nouvelle la valeur qu'elle mérite : c'est une catastrophe. En adoptant ce cœur idiot, Twitter vide son réseau des sublimes non-dits dont sa touche « Fav » se faisait l'écho léger et se donne le regard de Pascal Papé avant d'entrer en mêlée. Nous recensâmes, naguère, les diverses arrière-pensées dissimulées derrière le pouce tendu de Facebook. Le « Fav », paix à son âme, fut bien plus fourbe, sombre et profond. Recension non exhaustive de ce que pouvait signifier un simple « Fav ».

Le Fav pense-bête (qu'on ne consulte jamais)

Ce fut l'un des usages les plus courants du « Fav ». Un simple marque-page qu'on ne consultait pas vraiment. Quelqu'un faisait mention en termes élogieux du livre La panne de Friedrich Dürrenmatt, et hop, discrètement, on le « favorisait », même si on savait pertinemment qu'on oublierait de le consulter plus tard. Plus qu'un « marque-page », le « Fav » servait à se donner bonne conscience en stockant quelque part une information avant qu'elle ne disparaisse à jamais dans le vortex d'Internet et l'oubli.

Le Fav « Fermons le ban »

Cette discussion sur la peine de mort des migrants pédophiles voleurs d'emplois était vraiment passionnante, mais, cher ami, il va falloir y mettre un terme et reprendre chacun le cours de son existence. En d'autres termes, ce « Fav » permettait t'éteindre une conversation embarrassante d'un petit « Ta gueule » silencieux et précis.

Le Fav du séducteur

Le don Juan des réseaux repérait une jolie frimousse sur un compte un peu mystérieux, il évaluait le niveau de conversation de sa proie, se mettait à la suivre, comme dans la rue, puis, discrètement, à intervalle irréguliers, favorisait les tweets tombés de la bouche de la belle. Ce « Fav » équivalait grosso modo à un regard légèrement appuyé en soirée. Notons qu'à la longue, cette pratique pouvait prendre la forme d'un harcèlement inquiétant.

Le Fav rassurant

@JeanMarcel favorisait tous les « tweets » qui mentionnaient le nom de son dernier bouquin consacré à la chasse à la palombe dans les Landes. Il favorisait aussi tous les tweets qui parlaient de lui. Ce comportement était souvent jugé négativement. Pourtant, chaque « Fav » était un petit miroir braqué vers @JeanMarcel et qui lui renvoyait l'image rassurante de la seule personne vraiment gentille avec lui : @JeanMarcel

Le Fav « oualala bien vu »

Célèbre et apprécié pour la tenue de ses saillies, @JeanBernanos envoyait chaque jour une salve de petits traits aigus et précis, de ceux qui vous aident à mieux comprendre le monde tel qu'il est, qui vous font sourire ou qui font vibrer. Une fois, les trois actions se sont coordonnées après un seul tweet (« La grande colère des imbéciles domine le monde ») et vous aviez favorisé, la larme à l'œil et la truffe humide.

Le Fav du cow-boy qui dit merci comme Clint

Ce « Fav » subtil et délicat permettait de dire merci sans le dire, créant entre les fils électriques qui relient les ordinateurs quelque chose proche de la complicité qui unit deux personnes capables de faire un trajet de 500 kilomètres en voiture sans se parler et sans se faire la gueule.

Le Fav d'amitié lointaine

On ne voit jamais @JeanOlivier, mais on suit ses aventures de loin, son stage de yoga, la naissance de son deuxième enfant, la mort de son chat Youki. A chaque fois, on « favorisait » les aléas de sa vie, comme un discret petit appel de phare de l'autre côté de la départementale de l'existence.

Le Fav collector

Parfois, les tweets quittent le réel et atteignent une autre dimension. Ils deviennent des œuvres d'art à part entière et on a envie de les avoir dans nos salons virtuels pour s'y mirer de temps à autre en réfléchissant à la place de l'homme dans l'univers. Le 18 novembre 2011, à 18h41, quelqu'un a tweeté cette idée : « Lorsqu'on aime beaucoup trop on pense que la personne ne nous aime largement moins pourtant c'est parfois le contraire ». Le « Fav » permettait de punaiser ce type de jaillissement à tout jamais sur la patère de notre ennui.

Le Fav de fiel

Votre ennemi intime @JeanChristian, qui a couché avec votre femme, dont votre chien est amoureux et qui a empêché votre promotion trois années de suite en débinant auprès des chefs votre travail, venait de dire ce qu'on appelle, en bon Français, une ânerie : « Je ne suis pas raciste, j'ai des amis plus noirs que des Arabes ». Il s'était pris immédiatement une volée d'insultes. Satisfait, vous l'aviez vu se noyer, perdu dans un tourbillon de rage et, délicatement, comme on coupe le dernier fil qui retient l'alpiniste suspendu dans le vide, tandis que votre chien ululait à la lune dans la cour, vous aviez favorisé son tweet d'une leste pression de la pulpe du pouce sur la touche.

Le Fav sondage

Un « Fav » accessoire, au sens propre, puisqu'il servait d'outil pour réaliser un sondage en direct sur sa Timeline. Si tu aimes les slips, RT, si tu préfères les hélicoptères, Fav. Beaucoup de sondages sur le cœur et l'étoile du « Fav » ont cours actuellement sur le réseau.

Le Fav veule

C'était typiquement le genre de fonction du « Fav » qui permettait d'être courageux en dénonçant Pinochet à 15 000 kilomètres de Santiago. @JeanDaniel avait pris un gros risque en tweetant un avis très négatif sur l'interprétation des Variations de Goldberg par Alexandre Tharaud : « Quelle horreur ! Tharaud fait dégouliner Bach ! » Ce tweet avait provoqué une bronca sur Twitter, qui adore les polémiques sur la musique classique. Nous, on était bien d'accord avec @JeanDaniel et d'ailleurs on l'aurait bien RT en public si on seulement avait eu un tant soit peu de tripes. Hélas, ça ne s'est pas fait, alors, on l'avait « fav » en reniflant la morve qui nous coulait du nez.

Le Fav menaçant

Très inspiré, vous tweetiez en rentrant de soirée ces incroyables photos de vous en train de vomir dans un aquarium chez votre hôte ou bien ce concours de moulage de seins au plâtre organisé à la va-vite mais si réussi. Immédiatement, votre patron, votre mère et votre moitié « favorisaient » ces faits de gloire, à votre grande joie sur l'instant. Le lendemain matin, vous compreniez que ces « Fav » n'étaient pas très amicaux. Tout bien réfléchi, ils étaient l'expression d'une menace d'un triple licenciement.

Le Fav du copain

Le lien de « nutscape » lancé par @JeanPatrick est vraiment formidable. Un site qui recense des dizaines de photos de paysages magnifiques subtilement obturés par la rondeur velue d'un testicule en premier plan. Vous avez vraiment beaucoup ri devant ces images mais, parce que parfois vous êtes à jeun, parce que des traces de surmoi surnagent à la surface de votre conscience, vous ne pensez pas que cela soit vraiment nécessaire de le retweeter. Ce « fav »-là était une tape discrète sur l'épaule de votre pote : « Haha, que t'es con @JeanFancis. »

Le « Fav-like »

C'était le « Fav » le plus simple du monde puis qu'il voulait dire : « Je l'aime bien ce tweet, il me touche, il est beau, il m'émeut, je ne le partage pas, parce que c'est comme un secret entre toi et moi, mais tu me secoues vraiment @JeanAlain. »

Le Fav sans raison

Le doigt ripait. On « favorisait » sans le savoir un tweet de @JeanKévin : « Wesh, TWITTER ILS ONT ENLEVER LES FAV ILS ONT MIT DES J'AIMES C'EST QUOI CE MERDIER LA ???? ». [tweet réel ndlr] L'action semblait si peu décisive qu'on ne cherchait même pas à « défavoriser » le tweet visé par erreur et la vie poursuivait son cours. Au pire, de l'autre côté, @JeanKévin se sentait avalisé par ce « Fav » ou même  s'interrogeait sur sa signification. C'était du lien social déroulé par erreur, mais du lien quand même. 

Voilà. Il reste beaucoup d'autres sous-textes inexplorés ici. Au fond, ce qui était beau avec « le Fav » étoilé, c'est que l'auteur du tweet « favorisé » ne pouvait jamais vraiment deviner les intentions de l'émetteur. Il fallait imaginer, se mettre dans la peau de l'autre, quitte à se tromper. Cette relation ambiguë, ce demi-ton sur les touches du piano, créait un charme qui, d'un coup, cet après-midi, dans un nuage de petits cœurs rouges, s'est envolé.

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