Crash du Sinaï : des hypothèses qui gênent Moscou

Accident ou attentat, le pouvoir russe est certainement choqué, mais aussi politiquement embarrassé par la plus grande catastrophe aérienne de son histoire.

Par

S'il s'agit d'un attentat, cela signifie que les civils russes paient l'implication de leur pays en Syrie. Si c'est un accident, c'est un nouveau coup dur pour l'aéronautique russe, dont la réputation est exécrable.
S'il s'agit d'un attentat, cela signifie que les civils russes paient l'implication de leur pays en Syrie. Si c'est un accident, c'est un nouveau coup dur pour l'aéronautique russe, dont la réputation est exécrable. © AFP

Temps de lecture : 4 min

Quatre minutes, c'est le temps qui s'est écoulé entre les derniers mots prononcés par les pilotes de l'A321 russe et le silence du désastre. Seule indication qui ait été donnée par la tour de contrôle du Caire qui était en contact suivi avec l'avion de Metrojet depuis son décollage 23 minutes plus tôt de l'aéroport de Charm el-Cheikh : dans les minutes qui ont précédé la chute brutale de l'appareil, on a perçu un bruit « qui ne semblait pas caractéristique de la conduite normale d'un vol ». C'est tout. Rien de plus précis. Sinon que les enquêteurs rappellent que, contrairement à certaines informations données après le crash, « à aucun moment l'équipage n'a signalé une situation d'urgence ».

La newsletter débats et opinions

Tous les vendredis à 7h30

Recevez notre sélection d’articles tirée de notre rubrique Débats, pour comprendre les vrais enjeux du monde d’aujourd’hui et de notre société

Votre adresse email n'est pas valide

Veuillez renseigner votre adresse email

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

Quand on constate que les débris de l'A321-200 sont répandus sur près de 20 km2, on voit bien que dans cette dispersion il y a des similitudes avec l'attentat qui avait détruit le Boeing 747 de la Panam au-dessus de Lockerbie en Irlande en 1988. Bilan : 270 morts. Ou avec celui du DC10 d'UTA, en 1989, au-dessus du désert du Ténéré qui avait coûté la vie à 170 passagers et membres d'équipage. D'autant que l'enquête sur Lockerbie a démontré qu'il suffisait d'un petit explosif, caché dans un transistor, pour provoquer une déflagration entraînant la dépressurisation brutale de l'avion et son explosion en vol. Il semble que l'étude des enregistrements faits par les satellites américains qui suivent, pour des raisons évidentes, avec une attention particulière la région du Sinaï ait montré qu'ils avaient capté une boule de feu, à l'heure où l'Airbus se désintégrait.

Engin explosif ? Kamikaze ?

L'examen des boîtes noires, qui a commencé en Égypte avec l'aide de spécialistes russes et français, devrait prendre une à deux semaines. Il permettra peut-être de savoir s'il y a eu une explosion intentionnellement provoquée à bord. En effet, s'il y a eu attentat, la seule possibilité est celle d'un engin explosif introduit dans l'avion ou d'un kamikaze se faisant sauter avec son engin de mort. L'altitude de 9 000 mètres qu'avait atteint l'appareil ne permettait pas de l'abattre du sol avec les missiles sol-air manuellement portés dont disposent les terroristes liés à l'organisation État islamique et à Al-Qaïda qui sont partout dans ce désert. Leur portée, en effet, n'excède pas 3 000 mètres.

Si cette hypothèse, qui reste sérieusement ouverte, était vérifiée par l'analyse des boîtes noires, ce serait un double coup dur pour Poutine. D'abord parce qu'il montrerait que les islamistes ont tenu leur promesse de se venger des Russes, qui, depuis le 30 septembre, ont commencé une campagne de bombardements bien plus massive que celle menée par les Américains et leurs alliés (dont la France) depuis un an. Après le début de ses frappes contre les groupes terroristes ou supposés tels, en Syrie, la Russie s'attendait à des actions préparées sur son sol par ses irrédentistes islamistes. Mais sans doute pas à une attaque de ce type qui porte d'un seul coup à 224 ses pertes, du fait de son engagement dans ce conflit. Ensuite, l'attentat, si c'en était un, montrerait également que les citoyens russes, même les civils, sont maintenant menacés chaque fois qu'ils se déplacent. Ce n'est certainement pas ce genre de réputation, jadis apanage des Américains, que cherche un Poutine, toujours en quête de maintenir sa popularité dans une Russie dont les performances économiques sont par ailleurs en chute libre.

Quelques faits troublants...

Cela dit, comme l'a confirmé le chef des renseignements américains, appuyant sur ce point les précautions demandées par le président de l'agence de transport aérien russe, « il n'y a pas de signe pour l'instant d'un acte terroriste, même si on ne peut pas l'exclure ».

Si Alexander Smirnov, le responsable de la compagnie Metrojet, exclut, lui, toute erreur de pilotage ou toute défaillance technique de son avion, les enquêteurs, en Égypte comme à Moscou, ont relevé quelques faits troublants. D'abord, il semble se confirmer que l'un des deux pilotes ait eu sa fille au téléphone, peu de temps avant le décollage, et se soit plaint de l'état technique général de l'avion, et notamment de ses moyens de communication. Ensuite, en examinant l'histoire de l'appareil, qui vole depuis 18 ans, on s'est aperçu qu'il avait eu en 2001 un choc à l'empennage qui avait nécessité une immobilisation de trois mois. Enfin, un procureur russe a ouvert une enquête contre Metrojet et fait perquisitionner ses bureaux. Les magistrats russes se sont aperçus à cette occasion que le personnel de la compagnie n'était pas payé depuis deux mois.

Rien dans cette succession de faits disparates ne conduit à la conclusion que l'appareil n'aurait jamais dû décoller. Mais, compte tenu de la réputation de sécurité plus que moyenne de l'aéronautique russe - 167 catastrophes aériennes en un peu plus de vingt ans -, on peut se demander si par exemple l'empennage réparé, il y a 14 ans, mais dont on dit qu'il avait des criques apparentes, n'a pas cédé brutalement. Ce qui aurait entraîné la dépressurisation explosive de l'avion.

Là aussi, tout comme les familles des victimes et les ingénieurs d'Airbus, Poutine va attendre avec impatience le résultat du décryptage des deux boîtes noires. Les compagnies aériennes russes traversent une mauvaise passe. Négligences, malfonctionnement, corruption. Transaero, la deuxième compagnie du pays, vient d'être contrainte de déposer son bilan. Les autorités russes venaient de décider de lui retirer ses autorisations de vol. Motif : sécurité insuffisante.

À ne pas manquer

Ce service est réservé aux abonnés. S’identifier
Vous ne pouvez plus réagir aux articles suite à la soumission de contributions ne répondant pas à la charte de modération du Point.

0 / 2000

Voir les conditions d'utilisation
Lire la charte de modération

Commentaires (7)

  • Laurentbkk

    Je me rend en Russie 2 ou 3 fois par an, je voyage sur Aeroflot en vols intérieurs entre plusieurs villes sans aucun soucis. C'est vrai que certaines compagnies sont plus a craindre que d'autres. Mais il ne faut pas généraliser non plus.

  • Forban78

    Peuvent comprendre pourquoi il faut éviter d'y mettre les pieds...

  • dlesage

    Lockerbie ne serait-il pas plutôt en Écosse qu'en Irlande ?