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Internet, l’autre champ de bataille israélo-palestinien

La vague d’attaques au couteau, qui a débuté en octobre, a déplacé le combat sur la Toile, un terrain sans front où les adversaires se dissimulent.

Par  (Jérusalem, correspondant)

Publié le 29 octobre 2015 à 11h29, modifié le 04 novembre 2015 à 13h04

Temps de Lecture 5 min.

Une Arabe israélienne, suspectée de vouloir commettre une attaque au couteau, à Afula le 9 octobre, est cernée puis blessée par balles. Les services israéliens reconnaîtront qu'elle avait des problèmes psychologiques.

Cet été, Anas Khatib s’initiait au théâtre, lors d’un séjour aux Pays-Bas consacré à la coexistence entre communautés. Le 16 octobre, cet Arabe israélien de 19 ans, originaire de la ville de Shfaram (nord), a été arrêté par la police. Il lui est reproché d’avoir posté sur Facebook plusieurs incitations à la violence contre les juifs. « La plupart d’entre vous êtes comme moi, œil pour œil, tête pour tête ! », écrivait le jeune homme. Le 27 octobre, la justice a décidé de le maintenir en détention jusqu’à la fin de l’enquête. Une sévérité censée servir de leçon à d’autres. « Il s’agit d’une politique des autorités visant à réduire les gens au silence, à les priver de la liberté d’expression, assure l’un des avocats du jeune homme, Me Maisana Lorani, du centre juridique Adalah. Ses propos relevaient d’un langage violent, mais n’étaient pas un appel à l’action violente. »

Face aux Palestiniens, le gouvernement israélien est rompu à la répression sur le terrain, pour contenir des émeutiers ou traquer les cellules terroristes. Mais la vague d’attaques au couteau, depuis le début du mois d’octobre, a déplacé le combat sur un terrain sans front, où les adversaires se dissimulent et se dérobent : Internet. « C’est la rencontre entre Oussama Ben Laden et Mark Zuckerberg [fondateur de Facebook] », a résumé le premier ministre, Benyamin Nétanyahou. Le gouvernement a fait savoir qu’il avait convaincu Google et Facebook de retirer plusieurs contenus. La démarche est purement symbolique. Une plainte contre Facebook, signée par 20 000 personnes, a été déposée le 26 octobre à la Cour suprême de l’Etat de New York par une ONG israélienne, Shurat HaDin. Elle estime que le groupe a une « obligation juridique et morale » de bloquer les contenus anti-juifs. Mais derrière Facebook, combien d’autres plates-formes ?

Les images ont toujours joué un rôle crucial dans le conflit israélo-palestinien. Celle du jeune lanceur de pierres contre des soldats nourrit en soi la martyrologie de l’occupé depuis trente ans. En 2000, la visite d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées (mont du Temple pour les juifs) a servi de déclencheur à la seconde Intifada. Mais aujourd’hui, avec un téléphone, chacun est témoin, acteur, commentateur, diffuseur. « En 1948, notre peuple a été expulsé de ses terres, il y a eu des massacres, mais il a fallu des dizaines d’années pour que cette catastrophe soit reconnue par les historiens, souligne Xavier Abou Eid, l’un des porte-parole de l’Organisation pour la libération de la Palestine. Maintenant, tout ce qu’on répétait est documenté et montré à la face du monde. Il n’y a pas besoin d’être politisé pour y être sensible. »

Rôle crucial des images

La grande majorité des vidéos et des textes postés est le fait de particuliers. Mais il y a ensuite des plates-formes d’agrégation, d’information, qui les relaient, les mettent en valeur, souligne Orit Perlov, spécialiste des réseaux sociaux dans le monde arabe à l’Institut des études pour la sécurité nationale de Tel-Aviv. Celle-ci note que le Hamas et la branche nord du Mouvement islamique (organisation légale en Israël) ont cherché à exploiter la vague d’attaques au couteau : « Ils ont décidé d’écrire une histoire collective derrière les histoires individuelles, en les liant à la mosquée Al-Aqsa prétendument menacée par Israël. » L’armée israélienne a aussi noté qu’une majorité du trafic suspect provenait de la bande de Gaza. Un nouveau chapitre dans les tentatives de déstabilisation de l’Autorité palestinienne par le Hamas, qui cherche à épouser la colère populaire ?

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Première vidéo en hébreu de l’Etat islamique

Selon Mme Perlov, il est possible de distinguer depuis un an plusieurs campagnes organisées, aux succès relatifs. « Après la guerre de l’été 2014 à Gaza, il y a eu des appels à renverser en voiture des Israéliens. Mais la campagne la plus sévère a été dirigée contre Abbas lui-même, appelant à s’en prendre à lui physiquement, explique-t-elle. Les services de sécurité israéliens et palestiniens ont alors arrêté pendant six mois presque tous les militants connus sur Facebook et dans les universités. »

Chaque camp privilégie ses histoires, ses preuves de l’inhumanité supposée de l’autre. Vice-présidente de la société israélienne Buzzilla, qui étudie les conversations sur les réseaux sociaux, Meirav Bornstein explique que des pics spectaculaires de propos anti-Arabes ont été enregistrés début octobre, au début des agressions au couteau. Il y a eu 30 000 conversations – avec de nombreux intervenants pour chacune – la première semaine, soit trois fois plus que fin septembre. Dès que les attaques ont eu lieu en dehors de Jérusalem et de la Cisjordanie, notamment à Tel-Aviv et Raanana les 8 et 13 octobre, le trafic a explosé. « Ceux qui disent qu’il faut tuer les Arabes ne sont pas si nombreux, précise-t-elle. Souhaiter leur mort, ce n’est pas la même chose. C’est une expression, un langage violent, pas une incitation à la violence. » Buzzilla a repéré qu’au cours de la 2e quinzaine d’octobre, un changement qualificatif a eu lieu dans les échanges : les propos anti-Arabes cèdent la place à des invectives plus « analytiques », politiques, cherchant à désigner des responsables, comme Mahmoud Abbas.

Escalade de la violence symbolique

Du côté palestinien, sur les réseaux sociaux, on peut voir des dizaines de photos d’enfants tenant des couteaux de cuisine à la main, qui posent pour leurs parents. De nombreux montages sont réalisés avec des portraits de chahid (« martyrs »), de leur vivant puis morts, c’est-à-dire comblés. On trouve aussi des vidéos plus sophistiquées, avec un ersatz de montage, qui miment une attaque au couteau sur des juifs. Souvent, les assaillants sont présentés comme d’innocentes victimes de l’occupant israélien. Les violences militaires ou policières israéliennes servent d’appels à la mobilisation. A Kiryat Arba, une vidéo a montré un colon plaçant une tranche de porc sur un assaillant palestinien blessé. L’escalade de la violence symbolique est un appel aux représailles.

Mais il arrive aussi que les vidéos pulvérisent les versions officielles. Ce fut le cas avec Fadi Alloun. Tous les jeunes Palestiniens connaissent désormais son nom. Il symbolise à leurs yeux la violence israélienne. Ce jeune homme de 19 ans originaire de Jérusalem-Est a été tué le 3 octobre, après avoir été soupçonné d’agression au couteau. La vidéo, tournée à la porte de Damas, à l’entrée de la Vieille Ville, est devenue virale. On y entend et voit de jeunes juifs appelant un policier à tuer le Palestinien, qui ne tient pourtant aucune arme. Le policier ne le fait pas, s’attirant les invectives des jeunes, avant que d’autres policiers surviennent et abattent Fadi Alloun sans sommation. Selon un rapport d’Amnesty International publié le 27 octobre, il s’agit de l’un des quatre cas avérés où des Palestiniens « ont été délibérément abattus par les forces israéliennes alors qu’ils ne posaient pas de danger immédiat à leur vie, dans ce qui apparaît comme des exécutions extrajudiciaires ». Aucune enquête disciplinaire n’a été ouverte.

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