Troisième Goncourt pour Actes Sud, petit éditeur au grand flair
La maison arlésienne prouve la pertinence de son modèle de « militantisme littéraire ».
Par Paul Molga
Nouveau coup d’éclat d’Actes Sud : l’éditeur s’offre, avec Mathias Enard, le troisième prix Goncourtde son histoire – après Laurent Gaudé en 2004 et Jérôme Ferrari en 2012 –, et couronne une année 2015 exceptionnelle : la maison arlésienne publie également les œuvres de Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature 2015, le dernier opus de la saga suédoise « Millenium »et le best-seller mondial « Le charme discret de l’intestin », de l’allemande Giulia Enders, longtemps classé numéro un des ventes en France.
Créée en 1978 loin de l’orbite d’attraction littéraire parisienne, la maison Actes Sud a pris son essor en publiant d’abord des auteurs étrangers. Avec beaucoup de flair, Hubert Nyssen, décédé en 2011, et Bernard Py, directeur éditorial de la première heure, repèrent les plumes juvéniles qui vont marquer l’époque.
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Règle d’or
La règle d’or de la maison n’a pas changé depuis : « Publier exclusivement des livres qu’on a envie de défendre, sans succomber à la facilité de l’air du temps ». Le duo prend des risques, accepte de publier des auteurs dont personne ne veut, comme Paul Auster (« Cité de Verre »), alors refusé par plusieurs maisons d’édition américaines.
Depuis, les romans publiés chez Actes Sud collectionnent les prix littéraires. Boosté par le premier Goncourt de l’éditeur (2004), « Le soleil des Scorta » s’écoule à plus de 360.000 exemplaires qui permettent à la petite maison de racheter les Editions du Rouergue.
En 2006, c’est le jackpot : coup sur coup, Actes Sud remporte le prix Femina (pour « Lignes de faille » de Nancy Huston), celui de la meilleure bande dessinée de l’année (« Notes pour une histoire de guerre », de Gipi), et rafle surtout les droits pour la France du premier tome du polar « Millenium », de Stieg Larsson.
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Politique d’auteurs
Plus de 10 millions d’exemplaires sont vendus dans le monde (dont près de 3 millions en France). La trilogie a, depuis, généré dans l’Hexagone près de 30 millions d’euros de chiffre d’affaires, grâce auxquels Actes Sud a pu acquérir 65 % du capital des Editions Textuel en 2009. « Notre force tient à notre politique d’auteurs », insiste Françoise Nyssen, la fille d’Hubert aujourd’hui présidente du directoire. Une politique qui tient du « militantisme littéraire ».
Pour mieux sentir les attentes des lecteurs, et défendre « un maillon essentiel de la chaîne du livre », les Nyssen ont constitué un pôle librairie autour du magasin d’Arles, en volant d’abord au secours de la librairie historique marseillaise Maupetit (menacée de fermeture en 1998), puis en créant ou rachetant plusieurs autres boutiques à Paris (la Librairie du Rond-Point, Epona, la Librairie du Parc, à la Villette, Chaîne d’Encre, chez Hermès) ou à Calais (Librairie du Channel), ainsi qu’une dizaine de petites maisons d’édition (Sindbad, Solin…).
Elles permettent d’écouler un catalogue de plus de 10.000 titres qui s’enrichit chaque année de 600 à 700 nouveaux ouvrages : romans, beaux livres, théâtre, jeunesse, bande dessinée. Actes Sud possède également sa propre collection de poche, Babel. L’ensemble a réalisé l’an passé 71 millions d’euros de chiffre d’affaires et compte près de 300 salariés.